Ex-conseiller diplomatique de François Mitterrand, puis ministre des affaires étrangères sous Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002), Hubert Védrine dirige aujourd’hui une société de conseil en stratégie géopolitique. Entretien.
Le G8 semble discrédité, délégitimé par l’arrivée de nouvelles puissances et dépassé par les enjeux globaux. Faut-il le fermer?
Non. Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait empêcher une rencontre entre des pays, quelqu’ils soient. Au départ, les chefs d’Etats des cinq principaux pays industrialisés étaient conviés à Rambouillet pour une concertation informelle autour des désordres économiques et pour éviter que les pays ne réagissent pas en ordre dispersé, comme ils l’avaient fait pendant la crise de 1929. Puis, on est passé à sept puis à huit, avec la Russie, pour aider Gorbatchev à sortir l’URSS de la période glaciaire, sous l’impulsion de Mitterrand et de Tchatcher, plus que de Bush père. Sert-il encore à quelque chose? Il est comme toutes les réunions internationales. Elles forment un processus continu de négociations et de tensions. Elles ont du mal à aboutir, et provoquent une impatience légitime. Doit-on pour autant le supprimer? Rien ne dit que le monde irait mieux sans: il irait peut-être plus mal.
Mais c’est le G8 lui-même qui s’est posé en directoire d’un monde, multipliant les communiqués sur la marche de la planète…
C’est vrai. Le G8 donne lieu à une surinterprétation, résultat d’une triple dérive. Des pays membres qui ont roulé des mécaniques, présente cette rencontre de façon grandiloquente comme si c’était la réunion la plus importante de la terre. Des médias entrés dans la ronde ont encouragé ce mode hyperbolique et crée des attentes folles. Des altermondialistes, par la suite, ont fait comme s’il s’agissait vraiment du directoire d’un monde dont ils ne veulent pas. C’était commode pour savoir où manifester. A l’arrivée, le G8 c’est devenu une sorte de jeu de rôle, un cinéma collectif.
Pourquoi cette dérive?
Parce qu’il est trop sorti de son domaine de base: la concertation macro économique et quelques grands problèmes. Le G7 des affaires étrangères ne sert à rien. Le G7 finances, lui, est utile. Le G8 au sommet s’est lancé dans une fuite en avant sur les questions globales. Et chaque pays a poussé son propre agenda pour se vanter auprès de son opinion publique. Résultat, le G8, c’est un inventaire à la Prévert, en plus enflé.
C’est surtout un florilège de promesses non tenues. Sur l’aide à l’Afrique, l’accès universel au traitement antisida, la lutte contre le réchauffement climatique, l’impuissance semble le disputer à l’inconscience…
Il devrait être plus pragmatique et plus concret. Cela dit les déclarations d’intention du G8, ses bonnes intentions, ne sont pas plus absurdes que les Objectifs du Millénaire de l’ONU, en 2000, parlant par exemple de diminuer de moitié la pauvreté dans le monde d’ici 2015 qui tiennent de la lettre au père Noël. Personne n’a conclu pour autant que les Nations unies étaient devenues illégitimes…ou inutiles…
Mais c’est l’Onu, cela n’a rien à voir, elle est dans son rôle universaliste…
Non, c’est propre à toutes les réunions internationales qui se déroulent dans une hystérisation médiatique et des leaders qui s’y prêtent. En plus, avec le temps, le G8 s’est aussi bureaucratisé. Fini les discussions autour du feu de bois, quasi impromptue. Place aux sherpas, aux conseillers diplomatiques, qui, toute l’année précédent la rencontre, tentent de se mettre d’accord sur des communiqués qui du coup, traitent de tout. Place aux énormes délégations, et chaque pays a ses priorités. Tout cela nourrit l’exagération et l’enflure. Le contraste entre les attentes et les résultats devient grotesque. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas que ces pays se voient pour se concerter. Mais il faut revenir à l’esprit d’origine.
Et ne pas intégrer d’autres grands pays émergents, comme le préconise désormais la France ou la Grande-Bretagne, qui ont jusqu’à présent un strapontin pour la photo?
Bien sûr qu’il le faut. Cela fait 20 ans qu’on pense les associer depuis l’invitation en 1989, par François Mitterrand, de pays du Sud. C’est d’autant plus important que l’élargissement souhaitable du conseil de sécurité de l’Onu qui requiert l’accord des cinq membres permanents et des deux-tiers de l’Assemblée générale n’a pas abouti jusqu’ici. Un G13 (Chine, Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud, avec au moins un pays arabe), voir un G20 seraient un progrès.
Comment, à un moment de basculement du monde avec les crises financières, énergétique, climatique, alimentaire; une année 2008 les pays du Sud vont produire plus de richesses que les pays du Nord, peut-on jeter les bases d’une réelle gouvernance mondiale?
La «gouvernance», ce mot hérité de la Banque mondiale après la chute du mur, où l’on croyait à la fin de l’histoire, est une illusion techniciste. Ensuite, les pays du monde peuvent-ils mieux gérer ensemble les problèmes et les crises internationales? Oui, évidemment. En élargissant le conseil de sécurité à 5 autres pays, et le G8 à un G13, on l’a dit. Pour réduire l’incohérence entre les différents systèmes du monde multilatéral. Pour avoir un lieu de concertation, on pourrait par exemple, tenir tous les deux ans un sommet du Conseil économique et social des Nations unies, organe dormant à l’heure actuelle, au sein duquel on pourrait tenter de réduire les contradictions entre le système ONU (OIT, PNUE, etc), le système Bretton-Woods (FMI, Banque mondiale) et le système OMC, où la hiérarchie commerciale prime sur le reste. Mais il ne faut pas chercher à créer un système global parfait, c’est une idée totalitaire.
Vous oubliez un acteur, la société civile internationale, qui à travers les ONG, les syndicats, les coalitions alter, fait entendre un autre voix, celle de l’intérêt général?
La société civile ne peut pas représenter ni plus ni mieux l’intérêt général que les gens élus, même si elle apporte quelque chose de précieux. Les ONG, qui doivent également être aussi transparentes que la transparence qu’elles demandent aux Etats, ne vont pas se substituer aux gouvernements. On ne peut avoir une vision ingénue des ONG, qui luttent entre elles comme le font les Etats. On est dans l’étape suivante: celle de la complémentarité avec les Etats. L’idée que tout gouvernement soit néfaste est démodée. Cela marque aussi la fin d’une croyance très forte depuis une génération: la mort de l’Etat nation. Même le FMI ou la Banque mondiale le reconnaissent aujourd’hui: la régulation est impossible sans des Etats forts et capables. L’alliance du gauchisme et du libéralisme contre l’Etat semble révolue, au moins dans sa forme la plus virulente.
Pour autant, la société civile pourrait être mieux associée par exemple sous la forme d’une assemblée consultative d’ONG qui se réunirait avant l’assemblée générale des Nations unies, avec un pouvoir d’interpellation.
Recueilli par Christian Losson
Ex-conseiller diplomatique de François Mitterrand, puis ministre des affaires étrangères sous Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002), Hubert Védrine dirige aujourd’hui une société de conseil en stratégie géopolitique. Entretien.
Le G8 semble discrédité, délégitimé par l’arrivée de nouvelles puissances et dépassé par les enjeux globaux. Faut-il le fermer?
Non. Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait empêcher une rencontre entre des pays, quelqu’ils soient. Au départ, les chefs d’Etats des cinq principaux pays industrialisés étaient conviés à Rambouillet pour une concertation informelle autour des désordres économiques et pour éviter que les pays ne réagissent pas en ordre dispersé, comme ils l’avaient fait pendant la crise de 1929. Puis, on est passé à sept puis à huit, avec la Russie, pour aider Gorbatchev à sortir l’URSS de la période glaciaire, sous l’impulsion de Mitterrand et de Tchatcher, plus que de Bush père. Sert-il encore à quelque chose? Il est comme toutes les réunions internationales. Elles forment un processus continu de négociations et de tensions. Elles ont du mal à aboutir, et provoquent une impatience légitime. Doit-on pour autant le supprimer? Rien ne dit que le monde irait mieux sans: il irait peut-être plus mal.
Mais c’est le G8 lui-même qui s’est posé en directoire d’un monde, multipliant les communiqués sur la marche de la planète…
C’est vrai. Le G8 donne lieu à une surinterprétation, résultat d’une triple dérive. Des pays membres qui ont roulé des mécaniques, présente cette rencontre de façon grandiloquente comme si c’était la réunion la plus importante de la terre. Des médias entrés dans la ronde ont encouragé ce mode hyperbolique et crée des attentes folles. Des altermondialistes, par la suite, ont fait comme s’il s’agissait vraiment du directoire d’un monde dont ils ne veulent pas. C’était commode pour savoir où manifester. A l’arrivée, le G8 c’est devenu une sorte de jeu de rôle, un cinéma collectif.
Pourquoi cette dérive?
Parce qu’il est trop sorti de son domaine de base: la concertation macro économique et quelques grands problèmes. Le G7 des affaires étrangères ne sert à rien. Le G7 finances, lui, est utile. Le G8 au sommet s’est lancé dans une fuite en avant sur les questions globales. Et chaque pays a poussé son propre agenda pour se vanter auprès de son opinion publique. Résultat, le G8, c’est un inventaire à la Prévert, en plus enflé.
C’est surtout un florilège de promesses non tenues. Sur l’aide à l’Afrique, l’accès universel au traitement antisida, la lutte contre le réchauffement climatique, l’impuissance semble le disputer à l’inconscience…
Il devrait être plus pragmatique et plus concret. Cela dit les déclarations d’intention du G8, ses bonnes intentions, ne sont pas plus absurdes que les Objectifs du Millénaire de l’ONU, en 2000, parlant par exemple de diminuer de moitié la pauvreté dans le monde d’ici 2015 qui tiennent de la lettre au père Noël. Personne n’a conclu pour autant que les Nations unies étaient devenues illégitimes…ou inutiles…
Mais c’est l’Onu, cela n’a rien à voir, elle est dans son rôle universaliste…
Non, c’est propre à toutes les réunions internationales qui se déroulent dans une hystérisation médiatique et des leaders qui s’y prêtent. En plus, avec le temps, le G8 s’est aussi bureaucratisé. Fini les discussions autour du feu de bois, quasi impromptue. Place aux sherpas, aux conseillers diplomatiques, qui, toute l’année précédent la rencontre, tentent de se mettre d’accord sur des communiqués qui du coup, traitent de tout. Place aux énormes délégations, et chaque pays a ses priorités. Tout cela nourrit l’exagération et l’enflure. Le contraste entre les attentes et les résultats devient grotesque. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas que ces pays se voient pour se concerter. Mais il faut revenir à l’esprit d’origine.
Et ne pas intégrer d’autres grands pays émergents, comme le préconise désormais la France ou la Grande-Bretagne, qui ont jusqu’à présent un strapontin pour la photo?
Bien sûr qu’il le faut. Cela fait 20 ans qu’on pense les associer depuis l’invitation en 1989, par François Mitterrand, de pays du Sud. C’est d’autant plus important que l’élargissement souhaitable du conseil de sécurité de l’Onu qui requiert l’accord des cinq membres permanents et des deux-tiers de l’Assemblée générale n’a pas abouti jusqu’ici. Un G13 (Chine, Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud, avec au moins un pays arabe), voir un G20 seraient un progrès.
Comment, à un moment de basculement du monde avec les crises financières, énergétique, climatique, alimentaire; une année 2008 les pays du Sud vont produire plus de richesses que les pays du Nord, peut-on jeter les bases d’une réelle gouvernance mondiale?
La «gouvernance», ce mot hérité de la Banque mondiale après la chute du mur, où l’on croyait à la fin de l’histoire, est une illusion techniciste. Ensuite, les pays du monde peuvent-ils mieux gérer ensemble les problèmes et les crises internationales? Oui, évidemment. En élargissant le conseil de sécurité à 5 autres pays, et le G8 à un G13, on l’a dit. Pour réduire l’incohérence entre les différents systèmes du monde multilatéral. Pour avoir un lieu de concertation, on pourrait par exemple, tenir tous les deux ans un sommet du Conseil économique et social des Nations unies, organe dormant à l’heure actuelle, au sein duquel on pourrait tenter de réduire les contradictions entre le système ONU (OIT, PNUE, etc), le système Bretton-Woods (FMI, Banque mondiale) et le système OMC, où la hiérarchie commerciale prime sur le reste. Mais il ne faut pas chercher à créer un système global parfait, c’est une idée totalitaire.
Vous oubliez un acteur, la société civile internationale, qui à travers les ONG, les syndicats, les coalitions alter, fait entendre un autre voix, celle de l’intérêt général?
La société civile ne peut pas représenter ni plus ni mieux l’intérêt général que les gens élus, même si elle apporte quelque chose de précieux. Les ONG, qui doivent également être aussi transparentes que la transparence qu’elles demandent aux Etats, ne vont pas se substituer aux gouvernements. On ne peut avoir une vision ingénue des ONG, qui luttent entre elles comme le font les Etats. On est dans l’étape suivante: celle de la complémentarité avec les Etats. L’idée que tout gouvernement soit néfaste est démodée. Cela marque aussi la fin d’une croyance très forte depuis une génération: la mort de l’Etat nation. Même le FMI ou la Banque mondiale le reconnaissent aujourd’hui: la régulation est impossible sans des Etats forts et capables. L’alliance du gauchisme et du libéralisme contre l’Etat semble révolue, au moins dans sa forme la plus virulente.
Pour autant, la société civile pourrait être mieux associée par exemple sous la forme d’une assemblée consultative d’ONG qui se réunirait avant l’assemblée générale des Nations unies, avec un pouvoir d’interpellation.
Recueilli par Christian Losson