Une participation record et aucun incident : malgré un long déroulé avant de connaître le vainqueur, la démocratie américaine sort-elle renforcée de cette élection présidentielle?
En effet, malgré les bizarreries de leur système électoral et des batailles judiciaires d’arrière-garde du président battu, on a la preuve que la démocratie américaine fonctionne toujours. Les Républicains vont lâcher Trump pour préserver leur avenir, et Joe Biden entrera à la Maison Blanche le 20 janvier.
Joe Biden peut-il réduire les fractures béantes qui blessent ce pays ? En a-t-il les capacités ? Et en aura-t-il les moyens avec un Sénat à majorité républicaine ?
Il a déclaré tout de suite qu’il voulait réconcilier les Américains. C’est une nécessité évidente, et c’est honorable. Mais n’oubliez pas qu’il aura aussi à obtenir la cohésion des Démocrates, divisés entre une aile centriste, derrière lui, une aile gauche (d’Elizabeth Warren et Bernie Sanders) avec laquelle il pourra passer des compromis, et différents courants gauchistes, très offensifs, au nom des femmes ou diverses minorités, qui seront beaucoup plus difficiles à discipliner et vont lui mener la vie dure. Et, en même temps, il va en effet essayer de renouer avec les Républicains dans le but de reconclure avec eux des accords bi-partisans, ce qui faisait naguère la force du système américain. C’est d’autant plus indispensable pour lui, qu’en principe, sauf si les Démocrates remportaient en janvier les élections en Géorgie, ils n’auront pas la majorité au Sénat. Vaste programme !
Comprenez-vous ce qui pousse Donald Trump dans cette attitude jusqu’au boutiste de Trump pour ne pas reconnaître la victoire de Joe Biden ? Prépare-t-il déjà, vis-à-vis de sa base d’inconditionnels, la présidentielle 2024 ?
Étant donné le caractère et la psychologie de Donald Trump, on aurait été étonnés qu’il reconnaisse rapidement et élégamment sa défaite ! Quant à ses projets d’avenir, je pense que personne n’en sait rien, même pas lui, et qu’il va d’abord devoir essayer de neutraliser les différentes actions judiciaires qui vont être relancées contre lui. On verra bien.
Trump a rassemblé sur son nom plus de 70 millions d’électeurs. Considérez-vous ce score comme une nouvelle démonstration de l’attrait des populistes sur les électorats des pays occidentaux ?
Je crois en effet que, dans les pays occidentaux démocratiques, les classes populaires et une partie des classes moyennes, ont décroché. Elles ne croient plus que la mondialisation soit bonne pour elles. Et en Europe, elles ont des sentiments pour le moins mitigés par rapport à la construction européenne. Il faut avoir cela en tête, sinon on ne comprend pas le Brexit, le succès des partis protestataires en France, etc. Trump aura été une caricature, mais pas une aberration et son électorat n’a pas disparu. À partir de là, les dirigeants peuvent essayer de contrer cette évolution, mais les élites ne peuvent pas convaincre les classes populaires, puisque celles-ci les détestent, surtout en condamnant le « populisme » ! Le populisme intégral consiste à exciter les populations sans avoir rien à proposer. Il faut en traiter les causes. Cela peut étonner. Je pense que tous les dirigeants démocratique devront à l’avenir être un peu populistes. Je ne veux pas dire par là qu’ils devront se montrer grossiers, menteurs et agressifs, mais qu’ils devront écouter les demandes des gens, en tenir compte, et y répondre le moins mal possible. Ce qui veut dire infléchir le cours de la mondialisation, et le fonctionnement du l’Union Européenne.
La forme risque de changer du tout au tout, mais sur le fond, la politique étrangère de Joe Biden sera-t-elle radicalement différente de celle de Donald Trump ? Le retour à une forme de multilatéralisme est-il envisageable ?
Oui, la forme va être radicalement différente, et redevenir normale. L’administration Biden va revenir dans l’Accord de Paris sur le climat, débloquer l’Organisation Mondiale du Commerce, relancer l’OMS, peut-être, même si c’est moins sûr, revivifier l’accord sur le nucléaire iranien. Mais il ne faut pas s’illusionner sur le « multilatéralisme ». Si les États-Unis reviennent dans le système multilatéral, c’est pour y exercer leur leadership. La compétition commerciale, type Boeing contre Airbus, ne va pas cesser, au contraire. La politique choquante de sanctions extraterritoriales américaines qui est pratiquée depuis des décennies, non plus. Les Démocrates vont soutenir les GAFA contre les excellents projets de régulation de l’Union Européenne, etc. Les Européens ne doivent pas seulement se réjouir mais se préparer à cette nouvelle donne, et aborder les relations avec la nouvelle administration sur la base de leur propre agenda.
Renforcer la sécurité, repenser l’espace Schengen, quelles seraient selon vous les priorités en matière de lutte contre le terrorisme à nos frontières ?
Indépendamment même du risque terroriste (qui comme le virus, aime la libre circulation !), il est évident qu’il faut repenser l’espace Schengen. Nous avons absolument besoin de gérer plus sérieusement les demandes d’asile, (un droit aujourd’hui massivement détourné de son objet). Et, ce qui est un autre sujet, d’une cogestion des flux migratoires, entre les pays de départ, de transit et d’arrivée (un nouveau Schengen), y compris par des quotas. Des contrôles plus rigoureux aux frontières (frontières extérieures de Schengen, et quand c’est nécessaire, frontières nationales), ne peuvent que contribuer, entre autres, à la lutte contre le terrorisme, même si celle-ci comporte bien d’autres volets. Le président Macron a eu raison d’aborder ce problème de front. Et il est courageux de le faire.
Dans votre livre « Et après ? », vous vous interrogiez sur ce qui devait demeurer et ce qui devait être changé après la pandémie. Quelques mois plus tard, votre réflexion sur le sujet a-t-elle évolué ?
Je pense toujours qu’il faudra faire, quand le monde sortira de cette pandémie et aura appris à vivre avec ce virus, ce qui n’est pas encore le cas une évaluation systématique des politiques menées par les gouvernements et toutes les institutions concernées, pour être mieux préparé à faire face dans le futur, à une autre pandémie, ce qui sera réalisable quand les Etats-Unis seront revenus dans l’OMS. Pour le reste, je pense plus que jamais qu’il y a une course de vitesse entre le dérèglement de la planète et la nécessaire écologisation de toutes les activités humaines, et que c’est celle-ci qui sera le moteur de l’économie de demain.
L’union européenne a-t-elle finalement été au niveau des enjeux de la crise sanitaire et de la crise économique en actant le principe d’un emprunt commun pour un plan de relance initié par le couple franco-allemand ?
Elle a été dans son rôle. L’Union Européenne n’a pas de compétence sanitaire. Les critiques initiales contre elle en tant qu’institution étaient infondées. Les décisions de Madame Lagarde et de Madame Von der Leyen, en matière économique, ont été rapides et importantes, le Green Deal de Madame Von der Leyen est remarquable. Le plan de relance économique Macron/Merkel, finalement accepté par les 27, est une forte réponse, qui va finir par être mis en œuvre, et qu’il faudra peut-être compléter. Au-delà de cela, je n’ai pas noté que les peuples européens veulent que ce genre de grande crise sanitaire soit toute entière gérée par un commissaire européen. Ils se sont plutôt tournés vers les autorités locales, régionales et nationales. Bien sûr, il y a beaucoup à améliorer et à perfectionner au niveau de l’UE pour réagir plus vite, se coordonner mieux, coopérer plus et fixer quelques règles de base (ex : réserves de masques). Chaque institution doit jouer son rôle.
Propos recueillis par Vincent COSTE
Une participation record et aucun incident : malgré un long déroulé avant de connaître le vainqueur, la démocratie américaine sort-elle renforcée de cette élection présidentielle?
En effet, malgré les bizarreries de leur système électoral et des batailles judiciaires d’arrière-garde du président battu, on a la preuve que la démocratie américaine fonctionne toujours. Les Républicains vont lâcher Trump pour préserver leur avenir, et Joe Biden entrera à la Maison Blanche le 20 janvier.
Joe Biden peut-il réduire les fractures béantes qui blessent ce pays ? En a-t-il les capacités ? Et en aura-t-il les moyens avec un Sénat à majorité républicaine ?
Il a déclaré tout de suite qu’il voulait réconcilier les Américains. C’est une nécessité évidente, et c’est honorable. Mais n’oubliez pas qu’il aura aussi à obtenir la cohésion des Démocrates, divisés entre une aile centriste, derrière lui, une aile gauche (d’Elizabeth Warren et Bernie Sanders) avec laquelle il pourra passer des compromis, et différents courants gauchistes, très offensifs, au nom des femmes ou diverses minorités, qui seront beaucoup plus difficiles à discipliner et vont lui mener la vie dure. Et, en même temps, il va en effet essayer de renouer avec les Républicains dans le but de reconclure avec eux des accords bi-partisans, ce qui faisait naguère la force du système américain. C’est d’autant plus indispensable pour lui, qu’en principe, sauf si les Démocrates remportaient en janvier les élections en Géorgie, ils n’auront pas la majorité au Sénat. Vaste programme !
Comprenez-vous ce qui pousse Donald Trump dans cette attitude jusqu’au boutiste de Trump pour ne pas reconnaître la victoire de Joe Biden ? Prépare-t-il déjà, vis-à-vis de sa base d’inconditionnels, la présidentielle 2024 ?
Étant donné le caractère et la psychologie de Donald Trump, on aurait été étonnés qu’il reconnaisse rapidement et élégamment sa défaite ! Quant à ses projets d’avenir, je pense que personne n’en sait rien, même pas lui, et qu’il va d’abord devoir essayer de neutraliser les différentes actions judiciaires qui vont être relancées contre lui. On verra bien.
Trump a rassemblé sur son nom plus de 70 millions d’électeurs. Considérez-vous ce score comme une nouvelle démonstration de l’attrait des populistes sur les électorats des pays occidentaux ?
Je crois en effet que, dans les pays occidentaux démocratiques, les classes populaires et une partie des classes moyennes, ont décroché. Elles ne croient plus que la mondialisation soit bonne pour elles. Et en Europe, elles ont des sentiments pour le moins mitigés par rapport à la construction européenne. Il faut avoir cela en tête, sinon on ne comprend pas le Brexit, le succès des partis protestataires en France, etc. Trump aura été une caricature, mais pas une aberration et son électorat n’a pas disparu. À partir de là, les dirigeants peuvent essayer de contrer cette évolution, mais les élites ne peuvent pas convaincre les classes populaires, puisque celles-ci les détestent, surtout en condamnant le « populisme » ! Le populisme intégral consiste à exciter les populations sans avoir rien à proposer. Il faut en traiter les causes. Cela peut étonner. Je pense que tous les dirigeants démocratique devront à l’avenir être un peu populistes. Je ne veux pas dire par là qu’ils devront se montrer grossiers, menteurs et agressifs, mais qu’ils devront écouter les demandes des gens, en tenir compte, et y répondre le moins mal possible. Ce qui veut dire infléchir le cours de la mondialisation, et le fonctionnement du l’Union Européenne.
La forme risque de changer du tout au tout, mais sur le fond, la politique étrangère de Joe Biden sera-t-elle radicalement différente de celle de Donald Trump ? Le retour à une forme de multilatéralisme est-il envisageable ?
Oui, la forme va être radicalement différente, et redevenir normale. L’administration Biden va revenir dans l’Accord de Paris sur le climat, débloquer l’Organisation Mondiale du Commerce, relancer l’OMS, peut-être, même si c’est moins sûr, revivifier l’accord sur le nucléaire iranien. Mais il ne faut pas s’illusionner sur le « multilatéralisme ». Si les États-Unis reviennent dans le système multilatéral, c’est pour y exercer leur leadership. La compétition commerciale, type Boeing contre Airbus, ne va pas cesser, au contraire. La politique choquante de sanctions extraterritoriales américaines qui est pratiquée depuis des décennies, non plus. Les Démocrates vont soutenir les GAFA contre les excellents projets de régulation de l’Union Européenne, etc. Les Européens ne doivent pas seulement se réjouir mais se préparer à cette nouvelle donne, et aborder les relations avec la nouvelle administration sur la base de leur propre agenda.
Renforcer la sécurité, repenser l’espace Schengen, quelles seraient selon vous les priorités en matière de lutte contre le terrorisme à nos frontières ?
Indépendamment même du risque terroriste (qui comme le virus, aime la libre circulation !), il est évident qu’il faut repenser l’espace Schengen. Nous avons absolument besoin de gérer plus sérieusement les demandes d’asile, (un droit aujourd’hui massivement détourné de son objet). Et, ce qui est un autre sujet, d’une cogestion des flux migratoires, entre les pays de départ, de transit et d’arrivée (un nouveau Schengen), y compris par des quotas. Des contrôles plus rigoureux aux frontières (frontières extérieures de Schengen, et quand c’est nécessaire, frontières nationales), ne peuvent que contribuer, entre autres, à la lutte contre le terrorisme, même si celle-ci comporte bien d’autres volets. Le président Macron a eu raison d’aborder ce problème de front. Et il est courageux de le faire.
Dans votre livre « Et après ? », vous vous interrogiez sur ce qui devait demeurer et ce qui devait être changé après la pandémie. Quelques mois plus tard, votre réflexion sur le sujet a-t-elle évolué ?
Je pense toujours qu’il faudra faire, quand le monde sortira de cette pandémie et aura appris à vivre avec ce virus, ce qui n’est pas encore le cas une évaluation systématique des politiques menées par les gouvernements et toutes les institutions concernées, pour être mieux préparé à faire face dans le futur, à une autre pandémie, ce qui sera réalisable quand les Etats-Unis seront revenus dans l’OMS. Pour le reste, je pense plus que jamais qu’il y a une course de vitesse entre le dérèglement de la planète et la nécessaire écologisation de toutes les activités humaines, et que c’est celle-ci qui sera le moteur de l’économie de demain.
L’union européenne a-t-elle finalement été au niveau des enjeux de la crise sanitaire et de la crise économique en actant le principe d’un emprunt commun pour un plan de relance initié par le couple franco-allemand ?
Elle a été dans son rôle. L’Union Européenne n’a pas de compétence sanitaire. Les critiques initiales contre elle en tant qu’institution étaient infondées. Les décisions de Madame Lagarde et de Madame Von der Leyen, en matière économique, ont été rapides et importantes, le Green Deal de Madame Von der Leyen est remarquable. Le plan de relance économique Macron/Merkel, finalement accepté par les 27, est une forte réponse, qui va finir par être mis en œuvre, et qu’il faudra peut-être compléter. Au-delà de cela, je n’ai pas noté que les peuples européens veulent que ce genre de grande crise sanitaire soit toute entière gérée par un commissaire européen. Ils se sont plutôt tournés vers les autorités locales, régionales et nationales. Bien sûr, il y a beaucoup à améliorer et à perfectionner au niveau de l’UE pour réagir plus vite, se coordonner mieux, coopérer plus et fixer quelques règles de base (ex : réserves de masques). Chaque institution doit jouer son rôle.
Propos recueillis par Vincent COSTE