«Certes», nous disent les colonels Pierre Joseph Givre et Nicolas Le Nen, «la guerre a reculé de plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe». «Certes, la tentation est grande – pour les européens – de penser que la guerre appartient à l’histoire ancienne». Mais de toutes leurs forces de Saint Cyriens, de brevetés de l’école de guerre, et de combattants aguerris sur la plupart des théâtres des vingt dernières années, les deux auteurs de ce petit essai percutant, véritable «voyage au centre de la guerre», nous affirment que «la période exceptionnelle de paix dans laquelle nous vivons depuis trois générations pourrait n’être rien d’autre qu’une veillée d’armes». Inquiétant…
Il faut dire qu’après avoir commandé le 27ème bataillon de chasseurs alpins à Annecy, les deux colonels ont participé aux opérationsles plus difficiles en ex-Yougoslavie, en Afrique, en Afghanistan. Et qu’ils en ont tiré, comme de tous les autres grands évènements stratégiques de la période qui va de la fin de l’URSS à aujourd’hui, (Guerre du Golfe, 11 septembre 2001, Guerre d’Irak), des leçons et des réflexions éclairantes, nourries en outre de références aux grands théoriciens historiques de l’art militaire et de la stratégie, comme aux grands chefs de guerre des deux guerres mondiales. L’évolution des opinions occidentales et européennes depuis la décennie 90 les inquièted’autant plus: Elles reconnaissent que des guerres sont toujours présentes. Mais elles les voient comme des guerres limitées, et éloignées, «qui ne mettent pas en jeu les intérêts vitaux de l’Occident, encore habité par le spectre de la big war».
Les auteurs sont donc préoccupés de l’état actuel de la «remarquable trinité» – formule de Clausewitz –: armée, État, population. Et de la fragilité de son épicentre, la population, c’est-à-dire aujourd’hui l’opinion publique, plus encore que le corps électoral, dont les stratégies terroristes visent précisément à briser la volonté de combattre. «Cette période est le temps de l’illusion naïve et criminelle de la toute puissance du verbe et des bonnes intentions humanitaires comme leviers pour neutraliser le langage des armes»…
La mise en garde est martelée: «la période exceptionnelle de paix qui continue de bercer la vie de l’Europe ne doit pas faire croire au mirage de la paix perpétuelle». En un mot comme en cent, énumérant les diverses zones géographiques à risque, et les théâtres variés (terre, air, mer, espace, cyberespace) des possibles combatsfuturs, ils nous redisent après l’auteur latin «Si vis Pacem para bellum». S’ils insistent autant, c’est parce qu’ils doutent de la lucidité des opinions, et de leur détermination.
L’adresse est rude. Mais même pour ceux qui voudraient croire – ou qui œuvrent – à un monde pacifié par la mondialisation, et l’évolution naturelle des esprits, et à l’avènement un jour, d’une sécurité collective, dans une vraie «communauté» internationale, l’avenir de notre monde est si incertain que cette salubre mise en garde de grands professionnels mérite d’être entendue, méditée, et précisée.
Cela dit, le préalable est d’abord de savoir de quelles menaces parle-t-on à court et long terme, et des menaces pour qui? Ce point étant clarifié, viendra le temps des réponses politiques et démocratiques aux questions ainsi justement posées: quelle défense: nationale? Européenne, peut-être? De l’alliance (atlantique, ou d’une alliance ad hoc)? Quelle combinaison de stratégies, et de moyens, défensifs, dissuasifs voire offensifs (?). Quelles conditions politiques, légales, légitimes d’engagement? Quels moyens de projection des forces? Voilà de quoi nourrir de vrais débats. Nul doute que ce texte incisif va aiguiser utilement, à un moment où de nouvelles réflexions sont lancées, la pensée stratégique dans notre pays.
Hubert Védrine
«Certes», nous disent les colonels Pierre Joseph Givre et Nicolas Le Nen, «la guerre a reculé de plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe». «Certes, la tentation est grande – pour les européens – de penser que la guerre appartient à l’histoire ancienne». Mais de toutes leurs forces de Saint Cyriens, de brevetés de l’école de guerre, et de combattants aguerris sur la plupart des théâtres des vingt dernières années, les deux auteurs de ce petit essai percutant, véritable «voyage au centre de la guerre», nous affirment que «la période exceptionnelle de paix dans laquelle nous vivons depuis trois générations pourrait n’être rien d’autre qu’une veillée d’armes». Inquiétant…
Il faut dire qu’après avoir commandé le 27ème bataillon de chasseurs alpins à Annecy, les deux colonels ont participé aux opérationsles plus difficiles en ex-Yougoslavie, en Afrique, en Afghanistan. Et qu’ils en ont tiré, comme de tous les autres grands évènements stratégiques de la période qui va de la fin de l’URSS à aujourd’hui, (Guerre du Golfe, 11 septembre 2001, Guerre d’Irak), des leçons et des réflexions éclairantes, nourries en outre de références aux grands théoriciens historiques de l’art militaire et de la stratégie, comme aux grands chefs de guerre des deux guerres mondiales. L’évolution des opinions occidentales et européennes depuis la décennie 90 les inquièted’autant plus: Elles reconnaissent que des guerres sont toujours présentes. Mais elles les voient comme des guerres limitées, et éloignées, «qui ne mettent pas en jeu les intérêts vitaux de l’Occident, encore habité par le spectre de la big war».
Les auteurs sont donc préoccupés de l’état actuel de la «remarquable trinité» – formule de Clausewitz –: armée, État, population. Et de la fragilité de son épicentre, la population, c’est-à-dire aujourd’hui l’opinion publique, plus encore que le corps électoral, dont les stratégies terroristes visent précisément à briser la volonté de combattre. «Cette période est le temps de l’illusion naïve et criminelle de la toute puissance du verbe et des bonnes intentions humanitaires comme leviers pour neutraliser le langage des armes»…
La mise en garde est martelée: «la période exceptionnelle de paix qui continue de bercer la vie de l’Europe ne doit pas faire croire au mirage de la paix perpétuelle». En un mot comme en cent, énumérant les diverses zones géographiques à risque, et les théâtres variés (terre, air, mer, espace, cyberespace) des possibles combatsfuturs, ils nous redisent après l’auteur latin «Si vis Pacem para bellum». S’ils insistent autant, c’est parce qu’ils doutent de la lucidité des opinions, et de leur détermination.
L’adresse est rude. Mais même pour ceux qui voudraient croire – ou qui œuvrent – à un monde pacifié par la mondialisation, et l’évolution naturelle des esprits, et à l’avènement un jour, d’une sécurité collective, dans une vraie «communauté» internationale, l’avenir de notre monde est si incertain que cette salubre mise en garde de grands professionnels mérite d’être entendue, méditée, et précisée.
Cela dit, le préalable est d’abord de savoir de quelles menaces parle-t-on à court et long terme, et des menaces pour qui? Ce point étant clarifié, viendra le temps des réponses politiques et démocratiques aux questions ainsi justement posées: quelle défense: nationale? Européenne, peut-être? De l’alliance (atlantique, ou d’une alliance ad hoc)? Quelle combinaison de stratégies, et de moyens, défensifs, dissuasifs voire offensifs (?). Quelles conditions politiques, légales, légitimes d’engagement? Quels moyens de projection des forces? Voilà de quoi nourrir de vrais débats. Nul doute que ce texte incisif va aiguiser utilement, à un moment où de nouvelles réflexions sont lancées, la pensée stratégique dans notre pays.
Hubert Védrine