Andreï Gratchev a été un des conseillers, et le porte parole, de Gorbatchev. A ce titre il a pu observer et vivre «par le haut» cette «révolution politique» dont le but était de «faire revenir un pays immense vers le cours normal de son histoire», et le réconcilier avec le reste du monde en mettant fin à la Guerre Froide.
Si il a décidé d’écrire ce «pari de Gorbatchev» (en anglais, ce «Gorbatchev’s gamble») vingt ans après la fin de l’URSS, c’est parce que selon lui «les origines de ce bouleversement historiques ne sont toujours pas correctement comprises». Il écrit avec la conviction et la détermination de quelqu’un dont on a volé l’histoire et escamoté le héros.
En clair, les occidentaux, après avoir tardé à comprendre Gorbatchev et n’avoir pas voulu l’aider vraiment (à quelques rares exceptions près dont Mitterrand, dont Gratchev parle très positivement) comme s’ils avaient craint qu’il ne réussisse in extremis à moderniser l’URSS, continuent de minimiser son rôle. Ils n’expliquent la disparition de l’URSS que par laes quarante cinq années de politique occidentale «d’endiguement» et de pression. C’est la thèse de James Baker, le secrétaire d’État de George Bush père: «la contrainte a payé». D’autres l’expliquent par le piège de la coexistence pacifique, et de l’ostpolitik, mais cela revient au même.
Ces thèses ont en commun de juger pour marginal ce qui s’est passé, avant même 1985, au sein du système soviétique, les «fissures» qui sont apparus dans le monolithe, la vision démocratique, moderne et sincère de Gorbatchev, stupéfiant vu son cursus, l’audace et l’honnêteté de l’équipe qui a conçu et mis en œuvre ce qu’ils avaient appelé «la nouvelle pensée politique», c’est-à-dire la rupture avec le soviétisme.
On comprend que cette présentation occidentalo-centrée ait indigné Andreï Gratchev, et que cela l’ait décidé à relater l’audacieuse, incroyable et titanesque entreprise de Gorbatchev, d’Alexandre Iakovlev, d’Edouard Chevanadze, d’Anatole Tchernaïev, de Vadim Medvedev, contre les gigantesques et «monstrueux» complexes militaro-industriel et militaro-diplomatique soviétiques (Brejnev, Oustinov, Gronyko), et tout simplement la bureaucratie.
Andreï Gratchev est loyal et fidèle à Gorbatchev. Il est aussi clairvoyant. Dès son introduction il reconnait que les réformateurs gorbatcheviens initiaux étaient incapables d’imaginer les conséquences de l’introduction en URSS de réformes politiques aussi profondes et de la logique du marché, et encore moins l’implosion de l’état multinational et la chute brutale de l’autorité du pays et que, par conséquent, leur espérance d’une évolution sans heurts vers une sorte de social-démocratie était illusoire. Ce qui n’enlève rien – sauf aux yeux de russes assez nombreux– à la grandeur historique de leur projet.
Cette volonté d’Andreï Gratchev nous vaut un livre passionnant, fourmillant de faits et de citations significatives, d’une grande rigueur intellectuelle, sur ce combat épique à rebondissements multiples. Il part de la genèse du changement, avant même l’arrivée au pouvoir suprême de Gorbatchev, et va jusqu’à la fin de l’année 1991. Les affrontements au sein du pouvoir soviétique sont relatés de façon saisissante. L’analyse de la politique et des buts – pas identiques- des principaux partenaires occidentaux de Gorbatchev – Bush père, Mitterrand, Thatcher, Kohl et leurs ministres et de la forte relation entre Gorbatchev et chacun d’entre eux- est exacte et honnête.
Un des apports remarquable de l’ouvrage est la confirmation de la volonté très claire de Gorbatchev, dès 1986, de ne plus jamais agir en Europe de l’Est comme lors des répressions des révoltes de Budapest en 1956 et de Prague en 1967, et donc de ne plus y employer la force, ce qui faisait des «démocraties populaires» (!), quatre ans avant la réunification allemande, des morts en sursis. On voit clairement que la «chute du mur» (en fait l’ouverture) a été une conséquence de la politique de Gorbatchev et non un point de départ.
Mais on le sait, au bout du compte, Gorbatchev a perdu son pari sur la modernisation de l’URSS elle-même. L’amertume de A. Gratchev est très nette dans les pages consacrées au «sommet de la dernière chance» (perdue, écrit-il): le G7 de Londres en juillet 1991 élargi en G8 partiel, à la demande de François Mitterrand et de Helmut Kohl, mais où les États-Unis et la Grande Bretagne n’ont pas accepté que soient accordée à l’URSS l’aide économique dont Gorbatchev pensait encore, quand je l’ai interrogé en septembre 2009, qu’elle aurait évité le putsch archéo communiste de l’été 1991. Au contraire, Gorbatchev en reste convaincu, Washington obtenait dans le même temps du roi d’Arabie Saoudite l’augmentation de la production de pétrole pour en faire effondrer le prix, et tarir ainsi les ressources de l’URSS, et condamner à l’échec la perestroïka. En somme, même une équipe aussi peu animée de l’esprit de croisade que celle de Bush père et de James Baker (si différente de Reagan et plus encore des néo conservateurs de Bush fils) ne pouvaient pas prendre le risque que l’utopie gorbatchévienne se concrétise. Le débat reste ouvert entre historiens mais A. Gratchev pense en tout cas que Gorbatchev aurait pu obtenir de l’Ouest un «meilleur prix» pour sa politique …
En fait aux yeux des Américains, la guerre froide ne pouvait se conduire que par l’élimination complète de l’un des deux. Ce fut l’URSS.
Ce livre passionnant, qui remet Gorbatchev à sa vraie place, permet aux occidentaux d’aujourd’hui de mieux comprendre la Russie post soviétique, et donc la compétition multipolaire du dont elle est un des éléments, et de réfléchir à ce que devront être son attitude et sa politique face à d’autres immenses changements géopolitiques à venir, dont certains sont déjà entamés.
Andreï Gratchev a été un des conseillers, et le porte parole, de Gorbatchev. A ce titre il a pu observer et vivre «par le haut» cette «révolution politique» dont le but était de «faire revenir un pays immense vers le cours normal de son histoire», et le réconcilier avec le reste du monde en mettant fin à la Guerre Froide.
Si il a décidé d’écrire ce «pari de Gorbatchev» (en anglais, ce «Gorbatchev’s gamble») vingt ans après la fin de l’URSS, c’est parce que selon lui «les origines de ce bouleversement historiques ne sont toujours pas correctement comprises». Il écrit avec la conviction et la détermination de quelqu’un dont on a volé l’histoire et escamoté le héros.
En clair, les occidentaux, après avoir tardé à comprendre Gorbatchev et n’avoir pas voulu l’aider vraiment (à quelques rares exceptions près dont Mitterrand, dont Gratchev parle très positivement) comme s’ils avaient craint qu’il ne réussisse in extremis à moderniser l’URSS, continuent de minimiser son rôle. Ils n’expliquent la disparition de l’URSS que par laes quarante cinq années de politique occidentale «d’endiguement» et de pression. C’est la thèse de James Baker, le secrétaire d’État de George Bush père: «la contrainte a payé». D’autres l’expliquent par le piège de la coexistence pacifique, et de l’ostpolitik, mais cela revient au même.
Ces thèses ont en commun de juger pour marginal ce qui s’est passé, avant même 1985, au sein du système soviétique, les «fissures» qui sont apparus dans le monolithe, la vision démocratique, moderne et sincère de Gorbatchev, stupéfiant vu son cursus, l’audace et l’honnêteté de l’équipe qui a conçu et mis en œuvre ce qu’ils avaient appelé «la nouvelle pensée politique», c’est-à-dire la rupture avec le soviétisme.
On comprend que cette présentation occidentalo-centrée ait indigné Andreï Gratchev, et que cela l’ait décidé à relater l’audacieuse, incroyable et titanesque entreprise de Gorbatchev, d’Alexandre Iakovlev, d’Edouard Chevanadze, d’Anatole Tchernaïev, de Vadim Medvedev, contre les gigantesques et «monstrueux» complexes militaro-industriel et militaro-diplomatique soviétiques (Brejnev, Oustinov, Gronyko), et tout simplement la bureaucratie.
Andreï Gratchev est loyal et fidèle à Gorbatchev. Il est aussi clairvoyant. Dès son introduction il reconnait que les réformateurs gorbatcheviens initiaux étaient incapables d’imaginer les conséquences de l’introduction en URSS de réformes politiques aussi profondes et de la logique du marché, et encore moins l’implosion de l’état multinational et la chute brutale de l’autorité du pays et que, par conséquent, leur espérance d’une évolution sans heurts vers une sorte de social-démocratie était illusoire. Ce qui n’enlève rien – sauf aux yeux de russes assez nombreux– à la grandeur historique de leur projet.
Cette volonté d’Andreï Gratchev nous vaut un livre passionnant, fourmillant de faits et de citations significatives, d’une grande rigueur intellectuelle, sur ce combat épique à rebondissements multiples. Il part de la genèse du changement, avant même l’arrivée au pouvoir suprême de Gorbatchev, et va jusqu’à la fin de l’année 1991. Les affrontements au sein du pouvoir soviétique sont relatés de façon saisissante. L’analyse de la politique et des buts – pas identiques- des principaux partenaires occidentaux de Gorbatchev – Bush père, Mitterrand, Thatcher, Kohl et leurs ministres et de la forte relation entre Gorbatchev et chacun d’entre eux- est exacte et honnête.
Un des apports remarquable de l’ouvrage est la confirmation de la volonté très claire de Gorbatchev, dès 1986, de ne plus jamais agir en Europe de l’Est comme lors des répressions des révoltes de Budapest en 1956 et de Prague en 1967, et donc de ne plus y employer la force, ce qui faisait des «démocraties populaires» (!), quatre ans avant la réunification allemande, des morts en sursis. On voit clairement que la «chute du mur» (en fait l’ouverture) a été une conséquence de la politique de Gorbatchev et non un point de départ.
Mais on le sait, au bout du compte, Gorbatchev a perdu son pari sur la modernisation de l’URSS elle-même. L’amertume de A. Gratchev est très nette dans les pages consacrées au «sommet de la dernière chance» (perdue, écrit-il): le G7 de Londres en juillet 1991 élargi en G8 partiel, à la demande de François Mitterrand et de Helmut Kohl, mais où les États-Unis et la Grande Bretagne n’ont pas accepté que soient accordée à l’URSS l’aide économique dont Gorbatchev pensait encore, quand je l’ai interrogé en septembre 2009, qu’elle aurait évité le putsch archéo communiste de l’été 1991. Au contraire, Gorbatchev en reste convaincu, Washington obtenait dans le même temps du roi d’Arabie Saoudite l’augmentation de la production de pétrole pour en faire effondrer le prix, et tarir ainsi les ressources de l’URSS, et condamner à l’échec la perestroïka. En somme, même une équipe aussi peu animée de l’esprit de croisade que celle de Bush père et de James Baker (si différente de Reagan et plus encore des néo conservateurs de Bush fils) ne pouvaient pas prendre le risque que l’utopie gorbatchévienne se concrétise. Le débat reste ouvert entre historiens mais A. Gratchev pense en tout cas que Gorbatchev aurait pu obtenir de l’Ouest un «meilleur prix» pour sa politique …
En fait aux yeux des Américains, la guerre froide ne pouvait se conduire que par l’élimination complète de l’un des deux. Ce fut l’URSS.
Ce livre passionnant, qui remet Gorbatchev à sa vraie place, permet aux occidentaux d’aujourd’hui de mieux comprendre la Russie post soviétique, et donc la compétition multipolaire du dont elle est un des éléments, et de réfléchir à ce que devront être son attitude et sa politique face à d’autres immenses changements géopolitiques à venir, dont certains sont déjà entamés.