En 1999, l’OTAN a bloqué le dictateur yougoslave brutal, Slobodan Milosevic, dans sa tentative d’expulser une grande partie de la population albanaise ethnique de sa patrie. La décision d’intervenir (au Kosovo) a été prise sans l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU et a été critiquée par certains comme une violation de la souveraineté yougoslave. Vu que l’OTAN fonctionne par consensus, cette action humanitaire n’aurait pas pu être mise en place sans le soutien du Ministre des Affaires Etrangères de la France, Hubert Védrine, et pourtant sa décision de l’appuyer était contraire à quelques-uns de ses instincts les plus forts. En tant que partisan du droit international, H. Védrine a hésité à saper le prestige du Conseil de Sécurité qui, dans ce cas, ne pouvait pas agir à cause de la menace d’un veto russe. En tant que réaliste, le Ministre des affaires étrangères a hésité également à utiliser la force tout en estimant que l’indignation morale ne devrait pas être l’élément déclencheur de l’intervention militaire. Cette conviction s’appuyait sur son opinion selon laquelle la satisfaction de soi et la sagesse sont souvent opposées l’une à l’autre, et que les actions qui sont motivées par la morale ne conduisent pas forcément à des résultats moraux. Enfin, en tant que Français fier, M. Védrine était inévitablement préoccupé par une opération qui a été perçue par beaucoup comme une confirmation du leadership américain dans l’après-Guerre Froide.
Alors, pourquoi H. Védrine a-t-il soutenu finalement l’intervention au Kosovo? La réponse est simple: c’était ce qu’il fallait faire. Ni les Etats-Unis, ni la France, ni les alliés n’étaient prêts à regarder passivement des milliers d’innocents être déplacés et tués au cœur de l’Europe. L’action de l’OTAN a servi la justice, elle a sauvé un grand nombre de vies et a annoncé la fin du désastreux régime politique de M. Milosevic. Ces conséquences positives ne suggèrent pas que les inquiétudes de H. Védrine manquaient de fondement. Par la rigueur de ses questions, H. Védrine a convaincu que le cas du Kosovo devrait rester une exception et non pas un précèdent pour des actions futures. L’Amérique n’avait pas reçu une permission générale pour abuser du soutien de l’OTAN, ni pour trop dépendre des solutions militaires et ignorer les prérogatives de l’ONU. Afin d’éviter le carnage au Kosovo, H. Védrine a fait preuve de flexibilité dans la mise en pratique de ses principes, mais il ne les a jamais abandonnés. Quelques années plus tard, en Irak, les questions qu’il avait soulevées lors de l’intervention au Kosovo ont été entièrement ignorées. Nous avons tous payé le prix.
Pendant les années que j’ai passées en tant que Secrétaire d’Etat (1997-2001), je n’ai jamais ignoré les conceptions de H. Védrine. Même si j’avais tenté de le faire, il ne me l’aurait pas permis. Hubert avait ses propres opinions et, lorsqu’il parlait, il les exprimait d’une façon exceptionnelle. Discuter avec H. Védrine était comme faire du kayak sur une rivière rapide: il y avait assez de mouvement pour exiger de la concentration, assez d’enthousiasme pour garantir la bonne humeur, et assez de risques pour prévenir toute complaisance. Par conséquent, il était le diplomate avec lequel je préférais être en désaccord. Que ce soit à Paris ou à Washington, nous avons rarement considéré une question politique exactement dans les mêmes termes, mais en revanche nous avons rarement été en désaccord à un point où la communication serait devenue impossible. H. Védrine est un intellectuel qui maîtrise habilement les grandes lignes de l’histoire; je suis une «problem solver» qui fonctionne forcément dans le présent. J’admirais Hubert car il ne mâchait jamais ses mots; il m’appréciait car je lui répondais en français.
En général nos échanges étaient concentrés sur la crise du moment. Mais lors de réunions moins soumises à l’urgence, nous avons pu nous consacrer au rapport à la fois affectueux et tendu entre nos deux pays. Je soulignais les intérêts partagés de nos pays, Hubert exprimait sa crainte que la mondialisation ne soit conduite que par les Anglo-saxons. Alors que je parlais de l’agenda américain dans le contexte des relations transatlantiques, il a été toujours été un défenseur convaincu du rôle important de la France au sein de l’Europe. Et alors que je citai Lafayette comme un exemple idéal de la solidarité franco-américaine, il a souri tout en répondant: «Ah, mais vois-tu, chère Madeleine, Lafayette n’a pas traversé l’Atlantique pour aider les Américains, mais d’abord pour combattre les Britanniques.»
Maintenant, alors que nous ne faisons pas partie de nos gouvernements, nous nous retrouvons encore et discutons entre nous. Mais aujourd’hui, nous avons moins de points de divergence et plus de raisons de nous inquiéter. Pendant cette décennie, al-Qaeda est devenu une menace majeure; les guerres en Irak et en Afghanistan ont mis à l’épreuve l’unité de l’OTAN; le progrès vers une paix israélo-palestinienne a ralenti; les enjeux énergétiques et environnementaux sont négligés; et la division mondiale entre les riches et les pauvres n’a fait que s’élargir. Pendant ce temps, le régime international de non-prolifération nucléaire s’est affaibli; les institutions multilatérales ont commencé à vieillir; et la hausse continuelle des prix de la nourriture et du pétrole nuit à la stabilité de l’économie mondiale. Tous ces enjeux fournissent énormément de matière pour les analyses et les débats.
Les experts qui offrent à volonté leurs opinions sur les affaires internationales ne manquent pas. La différence principale entre un ancien Ministre des Affaires étrangères comme Hubert Védrine et un universitaire ou un journaliste est simple: H. Védrine a l’expérience de la pression immense qui accompagne la prise de décision. Ses idées ont été testées dans l’arène de la politique domestique et internationale, là où chaque mot est disséqué et chaque mauvais calcul est mis en lumière devant le public. En tant qu’écrivain, H. Védrine allie la perspicacité d’un praticien qualifié à la perspective thématique d’un théoricien créatif. Le résultat, qui fait réfléchir, est évident dans chaque chapitre fascinant de Continuer l’Histoire, un volume qui a été écrit au moment où le leadership occidental passait d’un groupe composé de quatre dirigeants (Blair, Chirac, Schröder, et Bush) à un nouveau quartet (Brown et Sarkozy, Merkel, et Obama ou McCain).
Dans ces pages, H. Védrine n’essaie pas de donner un plan précis pour l’avenir, mais en revanche, il suggère davantage un changement d’attitude.
Pour commencer, l’Amérique doit impérativement reconnaître qu’elle est moins respectée aujourd’hui par le monde qu’il y a dix ans. Selon H. Védrine, le prochain président américain serait bien inspiré de renforcer les institutions multilatérales au lieu de les contourner, comme l’a fait son prédécesseur avec le succès que l’on sait.
Cependant, les Européens doivent comprendre que les solutions durables aux défis mondiaux ne peuvent pas être trouvées par une «communauté internationale» bienveillante et homogène qui n’existe pas encore en réalité. H. Védrine constate que la croyance selon laquelle les Etats-nations ne comptent plus est démentie par la réalité. Les fléaux de notre époque, – notamment la terreur, la discorde, la pauvreté, le changement climatique, et les maladies –, ne disparaîtront pas sans le plein engagement de gouvernements nationaux qui se consacrent à la résolution de ces problèmes.
Aux yeux de H. Védrine, les dirigeants de chaque coté de l’Atlantique doivent également accepter le fait que l’axe du pouvoir mondial se déplace rapidement. Les trois quarts de la population du monde qui ne sont ni Européens ni Américains commencent à se rassembler, et ils ne sollicitent pas le leadership d’un Occident divisé. Il en découle que les institutions qui ont été créées par l’Occident après la Seconde Guerre Mondiale ont besoin d’une transformation.
Finalement, H. Védrine nous conseille d’éviter l’enthousiasme doctrinal creux qui promet de tout résoudre. Il fait référence, par exemple, à la propension américaine au «messianisme démocratique», ainsi qu’à la tendance européenne vers un «fondamentalisme multilatéraliste». Pour H. Védrine, c’est une erreur de croire que l’adhérence à une doctrine précise, – peu importe son esprit euphorisant –, obviera la nécessité de l’action intelligente, mais aussi nuancée.
Dans chaque chapitre de ce volume, Hubert Védrine remet en question nos illusions. Il insiste pour que nous voyions le monde comme il est, mais pas pour que nous acceptions le statu quo, parce que nous ne réussirons jamais à le transformer si nos actions sont basées sur de fausses prémisses. Ceux qui font trop confiance à leur pureté morale, ou ceux qui croient trop en l’altruisme des autres, seront déçus. C’est pareil pour ceux qui pensent que la bonne volonté, en soi, est capable de fournir un fondement stable et suffisant pour la géopolitique. H. Védrine nous pousse à forger un système international qui respecte les intérêts nationaux tout en encourageant la décence et la civilité, mais qui n’attende pas la perfection et la cohésion totale des acteurs qui en font partie. Notre monde imparfait nécessite des structures qui peuvent s’accommoder de ces fautes sans y céder. Si nous conservons notre indignation morale pour les enjeux les plus graves, nous serons suffisamment capables de créer une politique internationale qui réponde plus logiquement aux problèmes lorsqu’ils se présentent.
Bien que H. Védrine soit sceptique sur le leadership américain, il accepte l’idée que le monde en gestation a besoin d’une voix qui le guide. Il n’attend pas de l’élection d’un nouveau président américain le soulagement de toutes les blessures, mais il garde l’espoir qu’un changement à la Maison-Blanche rétablisse la conscience d’un objectif commun parmi les Occidentaux. Une telle restauration sera facilitée si le prochain président maîtrise l’histoire et la culture, s’il est conscient des limites du pouvoir américain et de la complexité des relations mondiales.
Je recommande vivement Continuer l’Histoire, non pas parce que je suis d’accord avec chaque phrase, mais parce que chaque phrase mérite une lecture attentive. Quel que soit l’objectif du lecteur, celle-ci sera une source d’information, une invitation à débattre, ou une riposte aux suppositions trop simplistes. Cette œuvre, d’une intelligence remarquable, survient à un moment où l’analyse est essentielle et où l’histoire continue à 100 à l’heure. Je vous invite à lire cet ouvrage et à réfléchir aux leçons que l’on peut en tirer. Vous l’apprécierez et en sortirez plus sage.
Madeleine K. Albright
août 2008
En 1999, l’OTAN a bloqué le dictateur yougoslave brutal, Slobodan Milosevic, dans sa tentative d’expulser une grande partie de la population albanaise ethnique de sa patrie. La décision d’intervenir (au Kosovo) a été prise sans l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU et a été critiquée par certains comme une violation de la souveraineté yougoslave. Vu que l’OTAN fonctionne par consensus, cette action humanitaire n’aurait pas pu être mise en place sans le soutien du Ministre des Affaires Etrangères de la France, Hubert Védrine, et pourtant sa décision de l’appuyer était contraire à quelques-uns de ses instincts les plus forts. En tant que partisan du droit international, H. Védrine a hésité à saper le prestige du Conseil de Sécurité qui, dans ce cas, ne pouvait pas agir à cause de la menace d’un veto russe. En tant que réaliste, le Ministre des affaires étrangères a hésité également à utiliser la force tout en estimant que l’indignation morale ne devrait pas être l’élément déclencheur de l’intervention militaire. Cette conviction s’appuyait sur son opinion selon laquelle la satisfaction de soi et la sagesse sont souvent opposées l’une à l’autre, et que les actions qui sont motivées par la morale ne conduisent pas forcément à des résultats moraux. Enfin, en tant que Français fier, M. Védrine était inévitablement préoccupé par une opération qui a été perçue par beaucoup comme une confirmation du leadership américain dans l’après-Guerre Froide.
Alors, pourquoi H. Védrine a-t-il soutenu finalement l’intervention au Kosovo? La réponse est simple: c’était ce qu’il fallait faire. Ni les Etats-Unis, ni la France, ni les alliés n’étaient prêts à regarder passivement des milliers d’innocents être déplacés et tués au cœur de l’Europe. L’action de l’OTAN a servi la justice, elle a sauvé un grand nombre de vies et a annoncé la fin du désastreux régime politique de M. Milosevic. Ces conséquences positives ne suggèrent pas que les inquiétudes de H. Védrine manquaient de fondement. Par la rigueur de ses questions, H. Védrine a convaincu que le cas du Kosovo devrait rester une exception et non pas un précèdent pour des actions futures. L’Amérique n’avait pas reçu une permission générale pour abuser du soutien de l’OTAN, ni pour trop dépendre des solutions militaires et ignorer les prérogatives de l’ONU. Afin d’éviter le carnage au Kosovo, H. Védrine a fait preuve de flexibilité dans la mise en pratique de ses principes, mais il ne les a jamais abandonnés. Quelques années plus tard, en Irak, les questions qu’il avait soulevées lors de l’intervention au Kosovo ont été entièrement ignorées. Nous avons tous payé le prix.
Pendant les années que j’ai passées en tant que Secrétaire d’Etat (1997-2001), je n’ai jamais ignoré les conceptions de H. Védrine. Même si j’avais tenté de le faire, il ne me l’aurait pas permis. Hubert avait ses propres opinions et, lorsqu’il parlait, il les exprimait d’une façon exceptionnelle. Discuter avec H. Védrine était comme faire du kayak sur une rivière rapide: il y avait assez de mouvement pour exiger de la concentration, assez d’enthousiasme pour garantir la bonne humeur, et assez de risques pour prévenir toute complaisance. Par conséquent, il était le diplomate avec lequel je préférais être en désaccord. Que ce soit à Paris ou à Washington, nous avons rarement considéré une question politique exactement dans les mêmes termes, mais en revanche nous avons rarement été en désaccord à un point où la communication serait devenue impossible. H. Védrine est un intellectuel qui maîtrise habilement les grandes lignes de l’histoire; je suis une «problem solver» qui fonctionne forcément dans le présent. J’admirais Hubert car il ne mâchait jamais ses mots; il m’appréciait car je lui répondais en français.
En général nos échanges étaient concentrés sur la crise du moment. Mais lors de réunions moins soumises à l’urgence, nous avons pu nous consacrer au rapport à la fois affectueux et tendu entre nos deux pays. Je soulignais les intérêts partagés de nos pays, Hubert exprimait sa crainte que la mondialisation ne soit conduite que par les Anglo-saxons. Alors que je parlais de l’agenda américain dans le contexte des relations transatlantiques, il a été toujours été un défenseur convaincu du rôle important de la France au sein de l’Europe. Et alors que je citai Lafayette comme un exemple idéal de la solidarité franco-américaine, il a souri tout en répondant: «Ah, mais vois-tu, chère Madeleine, Lafayette n’a pas traversé l’Atlantique pour aider les Américains, mais d’abord pour combattre les Britanniques.»
Maintenant, alors que nous ne faisons pas partie de nos gouvernements, nous nous retrouvons encore et discutons entre nous. Mais aujourd’hui, nous avons moins de points de divergence et plus de raisons de nous inquiéter. Pendant cette décennie, al-Qaeda est devenu une menace majeure; les guerres en Irak et en Afghanistan ont mis à l’épreuve l’unité de l’OTAN; le progrès vers une paix israélo-palestinienne a ralenti; les enjeux énergétiques et environnementaux sont négligés; et la division mondiale entre les riches et les pauvres n’a fait que s’élargir. Pendant ce temps, le régime international de non-prolifération nucléaire s’est affaibli; les institutions multilatérales ont commencé à vieillir; et la hausse continuelle des prix de la nourriture et du pétrole nuit à la stabilité de l’économie mondiale. Tous ces enjeux fournissent énormément de matière pour les analyses et les débats.
Les experts qui offrent à volonté leurs opinions sur les affaires internationales ne manquent pas. La différence principale entre un ancien Ministre des Affaires étrangères comme Hubert Védrine et un universitaire ou un journaliste est simple: H. Védrine a l’expérience de la pression immense qui accompagne la prise de décision. Ses idées ont été testées dans l’arène de la politique domestique et internationale, là où chaque mot est disséqué et chaque mauvais calcul est mis en lumière devant le public. En tant qu’écrivain, H. Védrine allie la perspicacité d’un praticien qualifié à la perspective thématique d’un théoricien créatif. Le résultat, qui fait réfléchir, est évident dans chaque chapitre fascinant de Continuer l’Histoire, un volume qui a été écrit au moment où le leadership occidental passait d’un groupe composé de quatre dirigeants (Blair, Chirac, Schröder, et Bush) à un nouveau quartet (Brown et Sarkozy, Merkel, et Obama ou McCain).
Dans ces pages, H. Védrine n’essaie pas de donner un plan précis pour l’avenir, mais en revanche, il suggère davantage un changement d’attitude.
Pour commencer, l’Amérique doit impérativement reconnaître qu’elle est moins respectée aujourd’hui par le monde qu’il y a dix ans. Selon H. Védrine, le prochain président américain serait bien inspiré de renforcer les institutions multilatérales au lieu de les contourner, comme l’a fait son prédécesseur avec le succès que l’on sait.
Cependant, les Européens doivent comprendre que les solutions durables aux défis mondiaux ne peuvent pas être trouvées par une «communauté internationale» bienveillante et homogène qui n’existe pas encore en réalité. H. Védrine constate que la croyance selon laquelle les Etats-nations ne comptent plus est démentie par la réalité. Les fléaux de notre époque, – notamment la terreur, la discorde, la pauvreté, le changement climatique, et les maladies –, ne disparaîtront pas sans le plein engagement de gouvernements nationaux qui se consacrent à la résolution de ces problèmes.
Aux yeux de H. Védrine, les dirigeants de chaque coté de l’Atlantique doivent également accepter le fait que l’axe du pouvoir mondial se déplace rapidement. Les trois quarts de la population du monde qui ne sont ni Européens ni Américains commencent à se rassembler, et ils ne sollicitent pas le leadership d’un Occident divisé. Il en découle que les institutions qui ont été créées par l’Occident après la Seconde Guerre Mondiale ont besoin d’une transformation.
Finalement, H. Védrine nous conseille d’éviter l’enthousiasme doctrinal creux qui promet de tout résoudre. Il fait référence, par exemple, à la propension américaine au «messianisme démocratique», ainsi qu’à la tendance européenne vers un «fondamentalisme multilatéraliste». Pour H. Védrine, c’est une erreur de croire que l’adhérence à une doctrine précise, – peu importe son esprit euphorisant –, obviera la nécessité de l’action intelligente, mais aussi nuancée.
Dans chaque chapitre de ce volume, Hubert Védrine remet en question nos illusions. Il insiste pour que nous voyions le monde comme il est, mais pas pour que nous acceptions le statu quo, parce que nous ne réussirons jamais à le transformer si nos actions sont basées sur de fausses prémisses. Ceux qui font trop confiance à leur pureté morale, ou ceux qui croient trop en l’altruisme des autres, seront déçus. C’est pareil pour ceux qui pensent que la bonne volonté, en soi, est capable de fournir un fondement stable et suffisant pour la géopolitique. H. Védrine nous pousse à forger un système international qui respecte les intérêts nationaux tout en encourageant la décence et la civilité, mais qui n’attende pas la perfection et la cohésion totale des acteurs qui en font partie. Notre monde imparfait nécessite des structures qui peuvent s’accommoder de ces fautes sans y céder. Si nous conservons notre indignation morale pour les enjeux les plus graves, nous serons suffisamment capables de créer une politique internationale qui réponde plus logiquement aux problèmes lorsqu’ils se présentent.
Bien que H. Védrine soit sceptique sur le leadership américain, il accepte l’idée que le monde en gestation a besoin d’une voix qui le guide. Il n’attend pas de l’élection d’un nouveau président américain le soulagement de toutes les blessures, mais il garde l’espoir qu’un changement à la Maison-Blanche rétablisse la conscience d’un objectif commun parmi les Occidentaux. Une telle restauration sera facilitée si le prochain président maîtrise l’histoire et la culture, s’il est conscient des limites du pouvoir américain et de la complexité des relations mondiales.
Je recommande vivement Continuer l’Histoire, non pas parce que je suis d’accord avec chaque phrase, mais parce que chaque phrase mérite une lecture attentive. Quel que soit l’objectif du lecteur, celle-ci sera une source d’information, une invitation à débattre, ou une riposte aux suppositions trop simplistes. Cette œuvre, d’une intelligence remarquable, survient à un moment où l’analyse est essentielle et où l’histoire continue à 100 à l’heure. Je vous invite à lire cet ouvrage et à réfléchir aux leçons que l’on peut en tirer. Vous l’apprécierez et en sortirez plus sage.
Madeleine K. Albright
août 2008