Le Président Sarkozy veut que la France réintègre le commandement intégré de l’OTAN, 33 ans après que le général de Gaulle se soit résolu à en sortir. Il l’avait annoncé à l’été 2007. Il s’apprêterait à le confirmer début avril. On nous donne comme explication: en 1966, c’était la guerre froide, tout a changé. Mais cela n’a pas de rapport. Ou alors c’est l’existence même de l’OTAN qui devrait être remise en cause.
De Gaulle avait pris cette décision après huit années de demandes infructueuses auprès des Américains pour que les alliés européens -et d’abord la France- puissent se faire entendre au sein de l’Alliance, et pour ne pas cautionner la nouvelle et dangereuse stratégie nucléaire de «riposte graduée». Par la suite tous ses successeurs, de droite comme de gauche, avaient respecté cette décision stratégique devenue la pierre de touche de la politique étrangère et de défense de la France. Cette position originale au sein de l’Alliance faisait l’objet d’un large consensus dans l’opinion française. Elle était depuis longtemps admise des américains, d’autant qu’elle n’avait pas fait obstacle à l’adoption d’arrangements pratiques pour la coopération entre la France et l’OTAN et même à l’engagement de la France chaque fois qu’elle le décidait, comme on l’a vu sur divers théâtres ces dernières années.
Alors pourquoi cette rupture?
On nous dit qu’elle va permettre à la fois de débloquer la défense européenne et «d’européaniser l’Alliance», et que nous aurons plus d’influence.
Peut-on croire que la concrétisation de la défense européenne se soit ainsi seulement heurtée à la méfiance de nos partenaires européens envers les arrières pensées de la France, et qu’il suffirait de les rassurer? A aucun moment, les européens n’ont manifesté d’appétence pour une défense vraiment européenne. Ils ne veulent pas consacrer plus de crédits à la défense. Ils ne veulent pas faire double emploi avec l’OTAN. Ils ne veulent pas assurer des responsabilités trop risquées. Ils se cantonnent, sous le label de «défense européenne», à des actions périphériques ou secondaires menées comme une sous-traitance. Soit un classique partage du fardeau. Ils ne veulent pas irriter le Pentagone (qui déjà, au moment du Kosovo, avait détesté l’obligation de consultations entre alliés).
Si la méfiance antifrançaise avait été autre chose qu’un prétexte, elle aurait été dissipée après le sommet de Saint Malo il y a plus de dix ans et un état major autonome pour concevoir et mettre en œuvre la PESD aurait déjà vu le jour… Gageons que notre changement n’y changera rien. Ces avancées de la défense européenne nous ont déjà été présentés en dix mois comme une condition préalable, puis comme une démarche parallèle, maintenant comme une conséquence espérée de notre réintégration. Demain comme un regret? Ou comme un leurre? La défense européenne avançant sur deux pieds, l’OTAN et l’UE, évoque le mythique dahu!
Mais on met également en avant l’européanisation de l’Alliance qui découlerait de l’obtention de postes importants pour des Français dans la hiérarchie de l’OTAN, comme Jacques Chirac l’avait tenté en 1995-1997 avant de constater son échec et que le
gouvernement Jospin ne stoppe cette tentative. On parle pour la France de commandements, de moyenne importance, à Norfolk et à Lisbonne. Mais de toute façon est-ce que la nationalité des officiers qui reçoivent et transmettent les instructions du Pentagone a de l’importance, sans changement radical des modes de décision au sein de l’Alliance, ce que rien ne permet d’espérer même aujourd’hui? Ce n’est pas parce que cette réintégration, conçue sous Georges Bush, prendrait effet sous le charismatique Obama, que les réalités transatlantiques disparaîtraient. L’administration américaine actuelle est plus aimable mais a-t-elle une autre conception de l’Alliance? Rien ne l’indique.
Quant à l’influence accrue, on aurait aucun mal à citer un exemple d’influence qu’aurait exercé de l’intérieur un allié dans l’Alliance du fait de sa complète intégration. Notons enfin que même les plus ardents défenseurs de ce revirement n’osent pas mettre en avant les éventuels avantages industriels pour notre pays compte tenu des rapports de force évidents (et de la crise) Les militaires eux-mêmes seraient partagés en ce qui concerne les avantages et les inconvénients de l’opération.
L’européanisation, la création d’un pilier européen de l’Alliance, ce serait tout autre chose: la création d’un vrai «caucus européen» au sein de l’Alliance. C’est en son sein, avant de discuter avec les américains, que nous devrions examiner si il est raisonnable de continuer d’élargir l’Alliance (c’est un sujet très sérieux: l’engagement de l’article 5 est contraignant), comme de ne plus fixer aucune limite géographique à ses interventions (Asie centrale?!). Est-il acceptable d’assister impuissants au développement d’une stratégie de bouclier peu cohérente? Tout cela est potentiellement dangereux et jusqu’ici nous n’avons eu aucun poids dans les décisions. Si les européens obtenaient, du fait du retour de la France, de pouvoir parler dans l’Alliance, et décider en partenariat avec Washington de l’Afghanistan (ne rien accepter de plus sans être associés à la stratégie et aux décisions!), de la Géorgie, de l’Ukraine, du bouclier, du désarmement stratégique, de la Russie etc… alors oui, cela serait une alliance nouvelle, à deux piliers. Les autorités françaises ont-elles une aussi grande ambition? Croient-elles vraiment qu’elles auront plus de poids pour une telle révolution après s’être réintégrées?
Les avantages sont donc incertains et problématiques. Les inconvénients politiques sont évidents: envoyer au monde un signal de réalignement de la France, qui sera politiquement interprété comme tel, avec le déclassement et les risques qui en résulteront. On nous dit: c’est symbolique puisque nous sommes déjà presque entièrement intégrés! Et bien oui, c’est symbolique, symbolique d’une volonté de normalisation qui, une fois la décision mise en œuvre, développerait par un effet d’engrenage, tous ses effets. Il semble bien finalement que décision ne soit fondée sur des considérations idéologiques, atlantistes ou occidentalistes, comme on voudra: mettre fin à une «anomalie» au sein de la famille occidentale. On peut souhaiter autre chose pour la France. Il est encore temps d’en débattre.
Hubert Védrine
Le Président Sarkozy veut que la France réintègre le commandement intégré de l’OTAN, 33 ans après que le général de Gaulle se soit résolu à en sortir. Il l’avait annoncé à l’été 2007. Il s’apprêterait à le confirmer début avril. On nous donne comme explication: en 1966, c’était la guerre froide, tout a changé. Mais cela n’a pas de rapport. Ou alors c’est l’existence même de l’OTAN qui devrait être remise en cause.
De Gaulle avait pris cette décision après huit années de demandes infructueuses auprès des Américains pour que les alliés européens -et d’abord la France- puissent se faire entendre au sein de l’Alliance, et pour ne pas cautionner la nouvelle et dangereuse stratégie nucléaire de «riposte graduée». Par la suite tous ses successeurs, de droite comme de gauche, avaient respecté cette décision stratégique devenue la pierre de touche de la politique étrangère et de défense de la France. Cette position originale au sein de l’Alliance faisait l’objet d’un large consensus dans l’opinion française. Elle était depuis longtemps admise des américains, d’autant qu’elle n’avait pas fait obstacle à l’adoption d’arrangements pratiques pour la coopération entre la France et l’OTAN et même à l’engagement de la France chaque fois qu’elle le décidait, comme on l’a vu sur divers théâtres ces dernières années.
Alors pourquoi cette rupture?
On nous dit qu’elle va permettre à la fois de débloquer la défense européenne et «d’européaniser l’Alliance», et que nous aurons plus d’influence.
Peut-on croire que la concrétisation de la défense européenne se soit ainsi seulement heurtée à la méfiance de nos partenaires européens envers les arrières pensées de la France, et qu’il suffirait de les rassurer? A aucun moment, les européens n’ont manifesté d’appétence pour une défense vraiment européenne. Ils ne veulent pas consacrer plus de crédits à la défense. Ils ne veulent pas faire double emploi avec l’OTAN. Ils ne veulent pas assurer des responsabilités trop risquées. Ils se cantonnent, sous le label de «défense européenne», à des actions périphériques ou secondaires menées comme une sous-traitance. Soit un classique partage du fardeau. Ils ne veulent pas irriter le Pentagone (qui déjà, au moment du Kosovo, avait détesté l’obligation de consultations entre alliés).
Si la méfiance antifrançaise avait été autre chose qu’un prétexte, elle aurait été dissipée après le sommet de Saint Malo il y a plus de dix ans et un état major autonome pour concevoir et mettre en œuvre la PESD aurait déjà vu le jour… Gageons que notre changement n’y changera rien. Ces avancées de la défense européenne nous ont déjà été présentés en dix mois comme une condition préalable, puis comme une démarche parallèle, maintenant comme une conséquence espérée de notre réintégration. Demain comme un regret? Ou comme un leurre? La défense européenne avançant sur deux pieds, l’OTAN et l’UE, évoque le mythique dahu!
Mais on met également en avant l’européanisation de l’Alliance qui découlerait de l’obtention de postes importants pour des Français dans la hiérarchie de l’OTAN, comme Jacques Chirac l’avait tenté en 1995-1997 avant de constater son échec et que le
gouvernement Jospin ne stoppe cette tentative. On parle pour la France de commandements, de moyenne importance, à Norfolk et à Lisbonne. Mais de toute façon est-ce que la nationalité des officiers qui reçoivent et transmettent les instructions du Pentagone a de l’importance, sans changement radical des modes de décision au sein de l’Alliance, ce que rien ne permet d’espérer même aujourd’hui? Ce n’est pas parce que cette réintégration, conçue sous Georges Bush, prendrait effet sous le charismatique Obama, que les réalités transatlantiques disparaîtraient. L’administration américaine actuelle est plus aimable mais a-t-elle une autre conception de l’Alliance? Rien ne l’indique.
Quant à l’influence accrue, on aurait aucun mal à citer un exemple d’influence qu’aurait exercé de l’intérieur un allié dans l’Alliance du fait de sa complète intégration. Notons enfin que même les plus ardents défenseurs de ce revirement n’osent pas mettre en avant les éventuels avantages industriels pour notre pays compte tenu des rapports de force évidents (et de la crise) Les militaires eux-mêmes seraient partagés en ce qui concerne les avantages et les inconvénients de l’opération.
L’européanisation, la création d’un pilier européen de l’Alliance, ce serait tout autre chose: la création d’un vrai «caucus européen» au sein de l’Alliance. C’est en son sein, avant de discuter avec les américains, que nous devrions examiner si il est raisonnable de continuer d’élargir l’Alliance (c’est un sujet très sérieux: l’engagement de l’article 5 est contraignant), comme de ne plus fixer aucune limite géographique à ses interventions (Asie centrale?!). Est-il acceptable d’assister impuissants au développement d’une stratégie de bouclier peu cohérente? Tout cela est potentiellement dangereux et jusqu’ici nous n’avons eu aucun poids dans les décisions. Si les européens obtenaient, du fait du retour de la France, de pouvoir parler dans l’Alliance, et décider en partenariat avec Washington de l’Afghanistan (ne rien accepter de plus sans être associés à la stratégie et aux décisions!), de la Géorgie, de l’Ukraine, du bouclier, du désarmement stratégique, de la Russie etc… alors oui, cela serait une alliance nouvelle, à deux piliers. Les autorités françaises ont-elles une aussi grande ambition? Croient-elles vraiment qu’elles auront plus de poids pour une telle révolution après s’être réintégrées?
Les avantages sont donc incertains et problématiques. Les inconvénients politiques sont évidents: envoyer au monde un signal de réalignement de la France, qui sera politiquement interprété comme tel, avec le déclassement et les risques qui en résulteront. On nous dit: c’est symbolique puisque nous sommes déjà presque entièrement intégrés! Et bien oui, c’est symbolique, symbolique d’une volonté de normalisation qui, une fois la décision mise en œuvre, développerait par un effet d’engrenage, tous ses effets. Il semble bien finalement que décision ne soit fondée sur des considérations idéologiques, atlantistes ou occidentalistes, comme on voudra: mettre fin à une «anomalie» au sein de la famille occidentale. On peut souhaiter autre chose pour la France. Il est encore temps d’en débattre.
Hubert Védrine