LA «JUSTE» PLACE DE LA FRANCE DANS LE MONDE
La Revue «Etudes» me demande quelles réflexions m’inspire la notion de «juste place» de la France dans le monde. Ma première réaction est que c’est là un bon sujet, ne serait-ce que parce qu’il préoccupe les Français de façon obsessionnelle. «Juste place» ne doit pas se comprendre comme place équitable mais comme évaluation juste de la France dans le monde? Ou encore: peut-on parvenir à une évaluation objective de la place de la France dans le monde qui rencontre un accord général? Il est d’ailleurs intéressant de relever le contraste entre l’évaluation faite par les Français sur la France, et celle faite le plus souvent par les autres sur la France.
Il y a pour commencer quelques données quantitatives qui ne prêtent pas à discussion: la superficie du territoire français, 550.000 Km2, soit environ 1% des terres émergées, est fixée depuis longtemps et, même à l’époque coloniale, c’était celle de la France métropolitaine. La population est, elle aussi, précisément mesurable – en 2007, près de 63 millions d’habitants- mais elle s’apprécie, plus encore que la superficie, à la fois par comparaison (Chine 1 milliard 300 millions; Allemagne 80 millions; Israël 5 millions; Luxembourg, 300 000, par exemple) et en tendance: la population française croît, lentement, alors que la population de la plupart des pays d’Europe stagne ou régresse (Allemagne), que celle de la Russie et du Japon baisse rapidement, tandis que celle de la Chine, de l’Inde, et d’ailleurs de l’Asie toute entière, ainsi que de l’Afrique va s’accroître dans de grandes proportions. Ce qui fait que l’Europe, et même la France en dépit de sa petite augmentation, vont représenter une part de plus en plus faible de la population mondiale. Mais, au-delà de ces quelques données chiffrées, tout ce qui concerne le rang, la place, l’influence de la France prête à interprétation. Les interrogations récurrentes à ce sujet sont inséparables d’un long enchaînement de controverses nationales, à propos desquelles les Français ressassent sans fin leur passé sur un mode pompeux ou, au contraire masochiste, et se déchirent à son sujet. Sans même remonter aux guerres de religion et à la Saint Barthélemy, voire plus haut, cela est vrai des controverses sur la Révolution (les Révolutions de 1789 et 1793 forment-elles un bloc selon la conception de Clémenceau, ou s’opposent-elles?) 1793 est-elle la matrice des grandes révolutions ultérieures, ou de tous les totalitarismes? Napoléon est-il seulement un des plus grands génies militaires que la France et le monde ait porté, ou aussi une catastrophe pour la France? La colonisation a-t-elle été légitime, conforme au «devoir de civilisation» des nations européennes et utile aux peuples colonisés, ou une simple et cynique politique de force, en outre indissociable de l’esclavage? Le traité de Versailles était-il légitime, juste et nécessaire ou a-t-il enfanté la marche à la deuxième guerre mondiale? La mémoire binaire sur la guerre a imposé jusque dans années 70: tous résistants; depuis: tous collabos. Mais le drame n’est-il pas l’effondrement de mai 40 sans lequel: pas de Vichy? Sur la guerre d’Algérie, les polémiques progressent plus qu’elles ne régressent. Tout cela débouchant , dans les années 90/2000, sur une fascinante prolifération expiatoire du «devoir» de «mémoire» (ce qui est le contraire exact de la connaissance et de la transmission de l’histoire) et sur l’inflation de lois dites «mémorielles». A travers le vote de celles-ci le parlement, à l’instigation de quelques élus, se met à jouer le rôle d’une institution d’église chargée de veiller sur la vraie foi, entend fixer la vérité historique et en punir la contestation soit à propos d’évènements de l’histoire nationale soit, ce qui est encore moins justifié, à propos de l’histoire d’autres peuples! La persistance et la recrudescence de ces interrogations au début des années 2000 – plus de cinquante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, plus de quarante cinq ans après la fin de la guerre d’Algérie, la volonté d’écrire a posteriori une histoire légale et correcte garantie par un système punitif ne laisse pas d’étonner.
Décidément les Français, passant d’un extrême à l’autre, de l’excès de sur estimation à l’excès, dominant aujourd’hui, de sous estimation, ont beaucoup de mal à se tenir à une évaluation raisonnable de leur histoire et de leur place actuelle. Peut être cela a-t-il un rapport avec le choc de la mondialisation, avec le triomphe de l’économie globale de marché qui marque les vingt-cinq dernières années? La France souffre il est vrai à cet égard de handicaps certains mais elle dispose aussi de beaucoup d’atouts, alors que les Français la vivent en majorité comme une remise en cause dangereuse et fatale. Ils oublient que la France a réussi à se métamorphoser plusieurs fois avec succès depuis 1945 tout en restant elle-même.
Par comparaison les étrangers sont plus stables et moins inconstants dans leur évaluation du poids et du rôle de la France. Celle-ci est parfois surestimée: par les africains parce qu’ils espèrent qu’elle va, à elle seule, au G8, à l’OMC, à l’ONU, au sein de l’UE ou ailleurs contrebalancer l’attitude des autres pays riches; par les arabes, qui ont longtemps fait semblant de croire qu’elle pourrait constituer une alternative à la politique américaine partiale et dangereuse au Proche Orient et entraîner l’Europe dans cette direction; par des ONG, des partis ou des personnalités de pays peu ou pas démocratiques qui espèrent que la France «patrie des droits de l’homme» (effet boomerang d’une auto célébration complaisante) pourrait les aider plus, les protéger voire les imposer dans de nombreuses situations de crise. Mais voilà, la France n’a pas de baguette magique et ces attentes l’embarrassent plus qu’elles ne la flattent, un peu comme quand les soviétiques, les cubains, Mao, ou Chou En Lai célébraient autrefois la France «patrie de la glorieuse commune de Paris» devant des visiteurs Français perplexes. La France – et spécialement sa politique étrangère «gaulliste»- a été souvent contestée par la diplomatie américaine ou la droite israélienne (en tout cas jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy) mais c’était alors un hommage involontaire à l’influence qu’on lui prêtait. Elle peut être jalousée, comme par un certain nombre de pays européens qui en sont restés à l’image de la «grande nation» énervante et qui sont contents quand elle doit rentrer dans le rang. Elle est critiquée pour sa répugnance à se plier aux règles de l’économie de marché américano-globalisée, dérégulée et ultra financiarisée par les gouvernements, les entreprises, les banques, les organismes et les médias intéressés à cette forme de mondialisation. Mais elle n’est pas sous estimée.
Les champions de la sous estimation de la France dans le monde actuel, ce sont donc les Français. Cette attitude puise à plusieurs sources.
La première est une sorte de haine de soi nourrie d’une interprétation constamment négative d’un certain nombre d’évènements historiques en particulier au XXe siècle, qui finit par tout englober et tout noircir. Comme dans la pensée BHL où finalement presque tout, dans «l’idéologie française» serait pré-fasciste ou en tout cas y prédisposerait, ou dans la dénonciation réflexe par Sollers de la «France moisie». Mais au-delà de ces procureurs, ce courant très critique comprend aussi beaucoup de gens sincères et de bonne volonté qui estiment que la France a mal agit au XXe siècle, et que sa place, son rang, son rôle en sont durablement – définitivement! – affectés. Il est fort à gauche, notamment dans les milieux issus des chrétiens de gauche ou de mai 68 et dans les médias qui en sont proches, mais il est plus large encore que cela.
Une autre source est le découragement des Français devant les grandes masses du monde global, les chocs géopolitiques, démographiques, énergétiques, écologiques qui sont devant nous et qui tous mettent en péril nos modes de vie, nos convictions, nos fanfaronnades et notre influence.
Une autre est la vexation. Si nous ne sommes plus au centre des choses, comme à l’époque de Louis XIV ou de Napoléon, ce que même Clemenceau ou de Gaulle n’ont pas réussi à nous faire croire à nouveau, à quoi bon? Si nous ne sommes plus qu’une puissance «moyenne» (effort sémantique louable pour corriger notre prétention excessive mais expression à la lettre inexacte: nous ne sommes pas la 96e puissance à l’ONU où il y a 192 pays, ni même dans la moyenne par rapport à la trentaine de puissances qui comptent). Si d’autres pays moins préparés à cela que la France prétendent occuper la place de phare de l’humanité (les Etats-Unis = erreur de casting), que peut vraiment peser la France dans un monde si mal conçu?
Cela fait au total beaucoup de raisons pour les Français pour douter de la France. Ce qui n’est pas étranger, soit dit en passant, au fait que la classe politique se concentre, dans le doute, sur un activisme médiatisable. Si la France n’a plus, croit-on, d’influence sur le monde; si elle n’a même plus tout à fait les moyens de défendre ses intérêts, s’il n’y a «que l’Europe qui peut», tout en ne le faisant pas; si du coup le contenu réel de la fonction politique –sans même parler du leadership!- se dissout, alors restent la «proximité», l’affect, la mise en scène permanente des émotions partagées, caractéristiques d’une société fébrile,voyeuse et narcissique.
Pour être exhaustif il faut également mentionner trois courants qui ont en commun de plaider et d’agir explicitement pour une réduction ou une relativisation du rôle de la France et donc d’accepter que sa «juste» place soit révisée à la baisse.
Pour les «européistes», c’est-à-dire les fédéralistes européens quand ils sont conséquents avec eux mêmes, la France était appelée à se fondre un jour ou l’autre dans un ensemble européen supranational. En fait cela n’arrivera pas, l’intégration politique européenne à 27 se stabilisera très probablement au stade du «traité simplifié», reléguant définitivement la notion d’Etats Unis d’Europe au rayon des utopies, un temps mobilisatrices et finalement trompeuses. Mais cette idée qu’il y aurait un sens de l’histoire, que ce sens serait nécessairement post national (croyance qui se rencontre pour l’essentiel en Europe de l’Ouest) et qu’un pays qui défend encore ses intérêts nationaux défendrait des intérêts «égoïstes» (en tout cas quand c’est la France qui le fait) reste très répandue (milieux économiques libéraux, médias, une partie du monde étudiant). En tout cas elle fait partie d’un certain langage automatique même si les comportements réels contredisent ce discours.
C’est peut être l’imprégnation de l’opinion française par ce manque d’estime de soi et ce «sur moi» européiste lié à un certain fatalisme, qui explique le consentement français à la réduction ou à la relativisation du poids de la France dans nos institutions européennes. De 1957 à 1992 la France et l’Allemagne (ainsi que l’Italie, et plus tard la Grande Bretagne) ont eu le même nombre de commissaires européens, de parlementaires et de droits de vote au Conseil Européen. Puis en dix sept ans, successivement la France a accepté: en 1990 à Maastricht, que l’Allemagne ait 14 parlementaires européens de plus (Mitterrand: «pour solde de tout compte»); en avril 1997: de ne plus avoir qu’un seul commissaire; à Nice en décembre 2000, que le nombre d’allemands au Parlement Européen ne soit pas diminué, contrairement à tous les autres (y compris les Français) pour compenser le fait que l’Allemagne n’obtenait pas au Conseil le passage au voté démographique (double majorité) qui aurait doublé son poids au Conseil (de 9% à 18% des votes) et qu’elle réclamait; système de vote qu’elle acceptait pourtant ensuite en 2004 dans la cadre de la Convention Européenne et qui était ensuite inscrit dans le Traité Constitutionnel puis conservé dans le Traité «simplifié» adopté en 2007, disposition qui s’appliquera à partir de 2014. Et enfin accepté en 2007 que l’Allemagne conserve le nombre de parlementaires européens qui lui avait été attribué (99 contre 77 pour la France) pour compenser l’absence de vote démographique… qu’elle a obtenu par la suite. En résumé en quelques années la France a renoncé sans débat ni contestation particulière, presque avec indifférence, à la parité France – Allemagne qui avait été pendant trente cinq ans la pierre de touche de la construction européenne. On peut penser que c’était normal; on peut aussi penser que c’est une erreur historique pour la France, le couple franco-allemand et l’Europe. Le fait marquant est que le sujet n’a pas été débattu, pas même pendant la campagne référendaire de 2005, ce qui est un signe de l’idée que la majorité des français, élites en tête, se fait de la «juste place» de la France au sein de l’Union Européenne.
Autre courant, pour les économistes, en tout cas pour les économistes libéraux qui ont une vision purement économistique du monde, le rôle des Etats va se réduire, spécialement ceux (la France) qui prétendaient incarner une forme de résistance à la globalisation économique et à la mise en compétition mercantile de tous les êtres humains entre eux. Pour Thomas Friedman, éditorialiste réputé du New York Times, la terre est «plate» (flat), aplatie, homogénéisée par cette globalisation, les échanges, la croissance, l’internet, etc… Les états sont marginalisés et les individus sont en contact –et en compétition- directement les uns avec les autres. Pour cette école, la place d’un pays ne dépend que de l’ampleur de ses réformes libérales. Elle a tendance à confondre classement des pays et classement des écoles de commerce.
Enfin pour les idéalistes wilsoniens interventionnistes, «wilsoniens bottés» selon Hassner, il faut avoir le courage de «remettre la morale au centre des relations internationales», de combattre la Realpolitik et d’imposer les (nos) valeurs universelles) rien ne doit affaiblir le nouveau monde libre des démocraties confrontées à l’islamisme, à l’«islamo fascisme», à la Chine et à la Russie, etc. Cela rejoint les atlantistes à l’ancienne (la droite française d’avant le gaullisme) ou les «occidentalistes» nouvelle manière, épigones sans le savoir ou en le sachant des neo-conservateurs américains selon lesquels la France doit renoncer à sa singularité politique et diplomatique d’un autre âge, et être solidaire de ses alliés occidentaux, c’est-à-dire en pratique rentrer dans le rang.
Bien sûr il existe encore, à l’autre extrême de l’éventail des opinions, des réflexes cocardiers ou chauvins, et aussi un courant de pensée attaché à la célébration du rôle universel de la France (mais qu’est ce à dire?), qui la voit comme un pays qui défend des valeurs plus que des intérêts (les américains croient la même chose d’eux-mêmes), comme «la» patrie des droits de l’homme (mais alors quid de l’Angleterre de l’habeas corpus et des Etats-Unis de l’indépendance américaine?). Mais qui ne voit aussi que ce courant est sur la défensive, condamné à une rhétorique grandiloquente et qu’il se vit comme un témoin et un symbole plus que comme un acteur? Exprimant plus une souffrance, une nostalgie qu’un projet? Ne fournissant pas de réponse crédible au malaise français?
Je ne peux conclure cette rapide réflexion sans indiquer ici quelle est ma réponse à la question posée, d’autant que j’ai eu récemment l’occasion d’en traiter dans le rapport que j’ai remis au président de la République sur «La France et la mondialisation».
Je considère que la France reste une «puissance d’influence mondiale», catégorie qui englobe derrière «l’hyperpuissance» américaine (terme descriptif, non critique) dont la primauté est évidente, une dizaine de pays très divers mais qui en commun d’avoir gardé, ou reconquis, ou de développer aujourd’hui un pouvoir ou une influence dans le monde très au delà de leur région et dans des domaines très divers, sans disposer pour autant de tous les leviers de la puissance et de l’influence (hard et soft power) que seuls détiennent les Etats-Unis: Chine, Japon, Russie, Inde, Brésil, France, Allemagne, Grande Bretagne (la question de la métamorphose de l’Europe en tant que telle en puissance restant posée), mais aussi Afrique du Sud ou Nigeria. Certes, certaines de ces puissances sont «montantes», d’autres (européennes) ont l’air «descendantes»; mais l’avenir n’est pas écrit. On pourrait prolonger la liste au delà notamment en tenant compte de pays plus petits qui disposent à Washington d’un lobby particulièrement influent et reconnu comme tel: Taiwan, Pologne, Israël, entre autres, ce qui les remontent de quelques crans dans l’échelle de la puissance.
Cette influence mondiale plus ou moins grande passe dans le cas de la France par son réseau diplomatique et culturel mondial, par sa présence au Conseil de sécurité et au G8, par sa dissuasion nucléaire et ses capacités militaires extérieures, par son économie (5e ou 6e), son potentiel industriel et scientifique, sa culture et sa langue (rayonnement encore énorme), l’attractivité de Paris et du territoire français, sa qualité de la vie, ses produits de luxe, etc. Bien sûr par son poids et son influence en tant que l’un des grands pays de l’Union Européenne.
Ses handicaps tiennent essentiellement à la volonté collective de préserver jusqu’ici pour les salariés un haut niveau de sécurité au détriment de la flexibilité qu’exigent les entreprises, les marchés, les investisseurs étrangers, et cela sans développer dans le même temps assez d’emplois nouveaux et de capacités d’avenir et de formations adaptées. Et peut être d’attendre trop, toujours, et sur tous les plans, de l’Etat.
Néanmoins, certains signes font penser que le mouvement de déconsidération systématique des états et de la sphère publique, courant aussi bien ultra libéral que gauchiste, tend après trente ans de domination idéologique, économique et politique, à s’essouffler. La propagande simplette sur la mondialisation win-win, gagnant-gagnant, ne convainc plus. Les occidentaux découvrent les «fonds souverains» (fonds constitués par les états disposant de surplus financiers – tels que la Norvège, la Chine, la Russie, les Emirats etc. – pour des achats à l’étranger) dotés de moyens colossaux et s’en inquiètent. La fable de la mondialisation seulement heureuse n’est plus crédible et avec elle commence à s’estomper la glorification du seul marché, l’idéalisation aveugle de la société civile et le discrédit organisé de l’Etat. Tout cela fait que la France pourrait être plus à l’aise dans cette nouvelle phase de la mondialisation et elle le sera d’autant plus qu’avec l’Allemagne et d’autres états membres elle parviendra à faire de l’Union Européenne un vrai pôle régulateur de la mondialisation sauvage.
Si au lieu de comparer implicitement mais constamment la France d’aujourd’hui avec la France à son apogée des XVIIe et XVIIIe siècles, les Français comparaient plutôt leur pays avec les autres 192 états aujourd’hui membres des Nations unies, ils réaliseraient que la place de leur pays est plus élevée qu’ils ne le croient et s’en trouveraient plus confiants. Alors que depuis des décennies, à la question des sondeurs «Pensez-vous que l’influence de la France dans le monde progresse ou décline?», les Français répondent systématiquement qu’elle est en recul. Il ne devrait plus rien en rester! Ils confondent déclin, déclin statistique relatif, et perte d’influence. Le déclinisme est aussi un fond de commerce.
La France n’a pas la puissance des Etats-Unis – mais aucun autre pays non plus, ni aujourd’hui ni demain. Elle n’a pas la population de la Chine ou de l’Inde, ni le pétrole et le gaz de la Russie, ni la forêt du Brésil, ni le PNB du Japon. Mais aucun pays n’a tout cela et d’ailleurs les Français ne voudraient pas vivre dans ces pays (quelques uns, quand même, aux Etats-Unis). Et plus de 180 pays seraient enthousiasmés à l’idée de détenir les moyens d’influence de la France, ceux les mêmes que les Français jugent insuffisants et de pouvoir se situer à la place où elle se situe en réalité, celle d’un pays qui continue à jouer un rôle clef, ou important, dans l’histoire du monde alors que sa superficie et sa population n’ont jamais été colossales. Elle conserve des moyens d’action et d’influence remarquables pour défendre ses intérêts et promouvoir ses valeurs à l’époque mondialisée soit directement, soit par le biais de l’Union Européenne (une France forte dans une Europe forte). Finalement le principal handicap de la France, c’est son manque de confiance en elle-même! Il n’y a pas de raison qu’elle ne finisse par le surmonter. Elle a besoin d’une évaluation juste, objective et élevée de sa place qui faciliterait une grande politique d’influence, menée sans arrogance, mais avec détermination.
HV
LA «JUSTE» PLACE DE LA FRANCE DANS LE MONDE
La Revue «Etudes» me demande quelles réflexions m’inspire la notion de «juste place» de la France dans le monde. Ma première réaction est que c’est là un bon sujet, ne serait-ce que parce qu’il préoccupe les Français de façon obsessionnelle. «Juste place» ne doit pas se comprendre comme place équitable mais comme évaluation juste de la France dans le monde? Ou encore: peut-on parvenir à une évaluation objective de la place de la France dans le monde qui rencontre un accord général? Il est d’ailleurs intéressant de relever le contraste entre l’évaluation faite par les Français sur la France, et celle faite le plus souvent par les autres sur la France.
Il y a pour commencer quelques données quantitatives qui ne prêtent pas à discussion: la superficie du territoire français, 550.000 Km2, soit environ 1% des terres émergées, est fixée depuis longtemps et, même à l’époque coloniale, c’était celle de la France métropolitaine. La population est, elle aussi, précisément mesurable – en 2007, près de 63 millions d’habitants- mais elle s’apprécie, plus encore que la superficie, à la fois par comparaison (Chine 1 milliard 300 millions; Allemagne 80 millions; Israël 5 millions; Luxembourg, 300 000, par exemple) et en tendance: la population française croît, lentement, alors que la population de la plupart des pays d’Europe stagne ou régresse (Allemagne), que celle de la Russie et du Japon baisse rapidement, tandis que celle de la Chine, de l’Inde, et d’ailleurs de l’Asie toute entière, ainsi que de l’Afrique va s’accroître dans de grandes proportions. Ce qui fait que l’Europe, et même la France en dépit de sa petite augmentation, vont représenter une part de plus en plus faible de la population mondiale. Mais, au-delà de ces quelques données chiffrées, tout ce qui concerne le rang, la place, l’influence de la France prête à interprétation. Les interrogations récurrentes à ce sujet sont inséparables d’un long enchaînement de controverses nationales, à propos desquelles les Français ressassent sans fin leur passé sur un mode pompeux ou, au contraire masochiste, et se déchirent à son sujet. Sans même remonter aux guerres de religion et à la Saint Barthélemy, voire plus haut, cela est vrai des controverses sur la Révolution (les Révolutions de 1789 et 1793 forment-elles un bloc selon la conception de Clémenceau, ou s’opposent-elles?) 1793 est-elle la matrice des grandes révolutions ultérieures, ou de tous les totalitarismes? Napoléon est-il seulement un des plus grands génies militaires que la France et le monde ait porté, ou aussi une catastrophe pour la France? La colonisation a-t-elle été légitime, conforme au «devoir de civilisation» des nations européennes et utile aux peuples colonisés, ou une simple et cynique politique de force, en outre indissociable de l’esclavage? Le traité de Versailles était-il légitime, juste et nécessaire ou a-t-il enfanté la marche à la deuxième guerre mondiale? La mémoire binaire sur la guerre a imposé jusque dans années 70: tous résistants; depuis: tous collabos. Mais le drame n’est-il pas l’effondrement de mai 40 sans lequel: pas de Vichy? Sur la guerre d’Algérie, les polémiques progressent plus qu’elles ne régressent. Tout cela débouchant , dans les années 90/2000, sur une fascinante prolifération expiatoire du «devoir» de «mémoire» (ce qui est le contraire exact de la connaissance et de la transmission de l’histoire) et sur l’inflation de lois dites «mémorielles». A travers le vote de celles-ci le parlement, à l’instigation de quelques élus, se met à jouer le rôle d’une institution d’église chargée de veiller sur la vraie foi, entend fixer la vérité historique et en punir la contestation soit à propos d’évènements de l’histoire nationale soit, ce qui est encore moins justifié, à propos de l’histoire d’autres peuples! La persistance et la recrudescence de ces interrogations au début des années 2000 – plus de cinquante ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, plus de quarante cinq ans après la fin de la guerre d’Algérie, la volonté d’écrire a posteriori une histoire légale et correcte garantie par un système punitif ne laisse pas d’étonner.
Décidément les Français, passant d’un extrême à l’autre, de l’excès de sur estimation à l’excès, dominant aujourd’hui, de sous estimation, ont beaucoup de mal à se tenir à une évaluation raisonnable de leur histoire et de leur place actuelle. Peut être cela a-t-il un rapport avec le choc de la mondialisation, avec le triomphe de l’économie globale de marché qui marque les vingt-cinq dernières années? La France souffre il est vrai à cet égard de handicaps certains mais elle dispose aussi de beaucoup d’atouts, alors que les Français la vivent en majorité comme une remise en cause dangereuse et fatale. Ils oublient que la France a réussi à se métamorphoser plusieurs fois avec succès depuis 1945 tout en restant elle-même.
Par comparaison les étrangers sont plus stables et moins inconstants dans leur évaluation du poids et du rôle de la France. Celle-ci est parfois surestimée: par les africains parce qu’ils espèrent qu’elle va, à elle seule, au G8, à l’OMC, à l’ONU, au sein de l’UE ou ailleurs contrebalancer l’attitude des autres pays riches; par les arabes, qui ont longtemps fait semblant de croire qu’elle pourrait constituer une alternative à la politique américaine partiale et dangereuse au Proche Orient et entraîner l’Europe dans cette direction; par des ONG, des partis ou des personnalités de pays peu ou pas démocratiques qui espèrent que la France «patrie des droits de l’homme» (effet boomerang d’une auto célébration complaisante) pourrait les aider plus, les protéger voire les imposer dans de nombreuses situations de crise. Mais voilà, la France n’a pas de baguette magique et ces attentes l’embarrassent plus qu’elles ne la flattent, un peu comme quand les soviétiques, les cubains, Mao, ou Chou En Lai célébraient autrefois la France «patrie de la glorieuse commune de Paris» devant des visiteurs Français perplexes. La France – et spécialement sa politique étrangère «gaulliste»- a été souvent contestée par la diplomatie américaine ou la droite israélienne (en tout cas jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy) mais c’était alors un hommage involontaire à l’influence qu’on lui prêtait. Elle peut être jalousée, comme par un certain nombre de pays européens qui en sont restés à l’image de la «grande nation» énervante et qui sont contents quand elle doit rentrer dans le rang. Elle est critiquée pour sa répugnance à se plier aux règles de l’économie de marché américano-globalisée, dérégulée et ultra financiarisée par les gouvernements, les entreprises, les banques, les organismes et les médias intéressés à cette forme de mondialisation. Mais elle n’est pas sous estimée.
Les champions de la sous estimation de la France dans le monde actuel, ce sont donc les Français. Cette attitude puise à plusieurs sources.
La première est une sorte de haine de soi nourrie d’une interprétation constamment négative d’un certain nombre d’évènements historiques en particulier au XXe siècle, qui finit par tout englober et tout noircir. Comme dans la pensée BHL où finalement presque tout, dans «l’idéologie française» serait pré-fasciste ou en tout cas y prédisposerait, ou dans la dénonciation réflexe par Sollers de la «France moisie». Mais au-delà de ces procureurs, ce courant très critique comprend aussi beaucoup de gens sincères et de bonne volonté qui estiment que la France a mal agit au XXe siècle, et que sa place, son rang, son rôle en sont durablement – définitivement! – affectés. Il est fort à gauche, notamment dans les milieux issus des chrétiens de gauche ou de mai 68 et dans les médias qui en sont proches, mais il est plus large encore que cela.
Une autre source est le découragement des Français devant les grandes masses du monde global, les chocs géopolitiques, démographiques, énergétiques, écologiques qui sont devant nous et qui tous mettent en péril nos modes de vie, nos convictions, nos fanfaronnades et notre influence.
Une autre est la vexation. Si nous ne sommes plus au centre des choses, comme à l’époque de Louis XIV ou de Napoléon, ce que même Clemenceau ou de Gaulle n’ont pas réussi à nous faire croire à nouveau, à quoi bon? Si nous ne sommes plus qu’une puissance «moyenne» (effort sémantique louable pour corriger notre prétention excessive mais expression à la lettre inexacte: nous ne sommes pas la 96e puissance à l’ONU où il y a 192 pays, ni même dans la moyenne par rapport à la trentaine de puissances qui comptent). Si d’autres pays moins préparés à cela que la France prétendent occuper la place de phare de l’humanité (les Etats-Unis = erreur de casting), que peut vraiment peser la France dans un monde si mal conçu?
Cela fait au total beaucoup de raisons pour les Français pour douter de la France. Ce qui n’est pas étranger, soit dit en passant, au fait que la classe politique se concentre, dans le doute, sur un activisme médiatisable. Si la France n’a plus, croit-on, d’influence sur le monde; si elle n’a même plus tout à fait les moyens de défendre ses intérêts, s’il n’y a «que l’Europe qui peut», tout en ne le faisant pas; si du coup le contenu réel de la fonction politique –sans même parler du leadership!- se dissout, alors restent la «proximité», l’affect, la mise en scène permanente des émotions partagées, caractéristiques d’une société fébrile,voyeuse et narcissique.
Pour être exhaustif il faut également mentionner trois courants qui ont en commun de plaider et d’agir explicitement pour une réduction ou une relativisation du rôle de la France et donc d’accepter que sa «juste» place soit révisée à la baisse.
Pour les «européistes», c’est-à-dire les fédéralistes européens quand ils sont conséquents avec eux mêmes, la France était appelée à se fondre un jour ou l’autre dans un ensemble européen supranational. En fait cela n’arrivera pas, l’intégration politique européenne à 27 se stabilisera très probablement au stade du «traité simplifié», reléguant définitivement la notion d’Etats Unis d’Europe au rayon des utopies, un temps mobilisatrices et finalement trompeuses. Mais cette idée qu’il y aurait un sens de l’histoire, que ce sens serait nécessairement post national (croyance qui se rencontre pour l’essentiel en Europe de l’Ouest) et qu’un pays qui défend encore ses intérêts nationaux défendrait des intérêts «égoïstes» (en tout cas quand c’est la France qui le fait) reste très répandue (milieux économiques libéraux, médias, une partie du monde étudiant). En tout cas elle fait partie d’un certain langage automatique même si les comportements réels contredisent ce discours.
C’est peut être l’imprégnation de l’opinion française par ce manque d’estime de soi et ce «sur moi» européiste lié à un certain fatalisme, qui explique le consentement français à la réduction ou à la relativisation du poids de la France dans nos institutions européennes. De 1957 à 1992 la France et l’Allemagne (ainsi que l’Italie, et plus tard la Grande Bretagne) ont eu le même nombre de commissaires européens, de parlementaires et de droits de vote au Conseil Européen. Puis en dix sept ans, successivement la France a accepté: en 1990 à Maastricht, que l’Allemagne ait 14 parlementaires européens de plus (Mitterrand: «pour solde de tout compte»); en avril 1997: de ne plus avoir qu’un seul commissaire; à Nice en décembre 2000, que le nombre d’allemands au Parlement Européen ne soit pas diminué, contrairement à tous les autres (y compris les Français) pour compenser le fait que l’Allemagne n’obtenait pas au Conseil le passage au voté démographique (double majorité) qui aurait doublé son poids au Conseil (de 9% à 18% des votes) et qu’elle réclamait; système de vote qu’elle acceptait pourtant ensuite en 2004 dans la cadre de la Convention Européenne et qui était ensuite inscrit dans le Traité Constitutionnel puis conservé dans le Traité «simplifié» adopté en 2007, disposition qui s’appliquera à partir de 2014. Et enfin accepté en 2007 que l’Allemagne conserve le nombre de parlementaires européens qui lui avait été attribué (99 contre 77 pour la France) pour compenser l’absence de vote démographique… qu’elle a obtenu par la suite. En résumé en quelques années la France a renoncé sans débat ni contestation particulière, presque avec indifférence, à la parité France – Allemagne qui avait été pendant trente cinq ans la pierre de touche de la construction européenne. On peut penser que c’était normal; on peut aussi penser que c’est une erreur historique pour la France, le couple franco-allemand et l’Europe. Le fait marquant est que le sujet n’a pas été débattu, pas même pendant la campagne référendaire de 2005, ce qui est un signe de l’idée que la majorité des français, élites en tête, se fait de la «juste place» de la France au sein de l’Union Européenne.
Autre courant, pour les économistes, en tout cas pour les économistes libéraux qui ont une vision purement économistique du monde, le rôle des Etats va se réduire, spécialement ceux (la France) qui prétendaient incarner une forme de résistance à la globalisation économique et à la mise en compétition mercantile de tous les êtres humains entre eux. Pour Thomas Friedman, éditorialiste réputé du New York Times, la terre est «plate» (flat), aplatie, homogénéisée par cette globalisation, les échanges, la croissance, l’internet, etc… Les états sont marginalisés et les individus sont en contact –et en compétition- directement les uns avec les autres. Pour cette école, la place d’un pays ne dépend que de l’ampleur de ses réformes libérales. Elle a tendance à confondre classement des pays et classement des écoles de commerce.
Enfin pour les idéalistes wilsoniens interventionnistes, «wilsoniens bottés» selon Hassner, il faut avoir le courage de «remettre la morale au centre des relations internationales», de combattre la Realpolitik et d’imposer les (nos) valeurs universelles) rien ne doit affaiblir le nouveau monde libre des démocraties confrontées à l’islamisme, à l’«islamo fascisme», à la Chine et à la Russie, etc. Cela rejoint les atlantistes à l’ancienne (la droite française d’avant le gaullisme) ou les «occidentalistes» nouvelle manière, épigones sans le savoir ou en le sachant des neo-conservateurs américains selon lesquels la France doit renoncer à sa singularité politique et diplomatique d’un autre âge, et être solidaire de ses alliés occidentaux, c’est-à-dire en pratique rentrer dans le rang.
Bien sûr il existe encore, à l’autre extrême de l’éventail des opinions, des réflexes cocardiers ou chauvins, et aussi un courant de pensée attaché à la célébration du rôle universel de la France (mais qu’est ce à dire?), qui la voit comme un pays qui défend des valeurs plus que des intérêts (les américains croient la même chose d’eux-mêmes), comme «la» patrie des droits de l’homme (mais alors quid de l’Angleterre de l’habeas corpus et des Etats-Unis de l’indépendance américaine?). Mais qui ne voit aussi que ce courant est sur la défensive, condamné à une rhétorique grandiloquente et qu’il se vit comme un témoin et un symbole plus que comme un acteur? Exprimant plus une souffrance, une nostalgie qu’un projet? Ne fournissant pas de réponse crédible au malaise français?
Je ne peux conclure cette rapide réflexion sans indiquer ici quelle est ma réponse à la question posée, d’autant que j’ai eu récemment l’occasion d’en traiter dans le rapport que j’ai remis au président de la République sur «La France et la mondialisation».
Je considère que la France reste une «puissance d’influence mondiale», catégorie qui englobe derrière «l’hyperpuissance» américaine (terme descriptif, non critique) dont la primauté est évidente, une dizaine de pays très divers mais qui en commun d’avoir gardé, ou reconquis, ou de développer aujourd’hui un pouvoir ou une influence dans le monde très au delà de leur région et dans des domaines très divers, sans disposer pour autant de tous les leviers de la puissance et de l’influence (hard et soft power) que seuls détiennent les Etats-Unis: Chine, Japon, Russie, Inde, Brésil, France, Allemagne, Grande Bretagne (la question de la métamorphose de l’Europe en tant que telle en puissance restant posée), mais aussi Afrique du Sud ou Nigeria. Certes, certaines de ces puissances sont «montantes», d’autres (européennes) ont l’air «descendantes»; mais l’avenir n’est pas écrit. On pourrait prolonger la liste au delà notamment en tenant compte de pays plus petits qui disposent à Washington d’un lobby particulièrement influent et reconnu comme tel: Taiwan, Pologne, Israël, entre autres, ce qui les remontent de quelques crans dans l’échelle de la puissance.
Cette influence mondiale plus ou moins grande passe dans le cas de la France par son réseau diplomatique et culturel mondial, par sa présence au Conseil de sécurité et au G8, par sa dissuasion nucléaire et ses capacités militaires extérieures, par son économie (5e ou 6e), son potentiel industriel et scientifique, sa culture et sa langue (rayonnement encore énorme), l’attractivité de Paris et du territoire français, sa qualité de la vie, ses produits de luxe, etc. Bien sûr par son poids et son influence en tant que l’un des grands pays de l’Union Européenne.
Ses handicaps tiennent essentiellement à la volonté collective de préserver jusqu’ici pour les salariés un haut niveau de sécurité au détriment de la flexibilité qu’exigent les entreprises, les marchés, les investisseurs étrangers, et cela sans développer dans le même temps assez d’emplois nouveaux et de capacités d’avenir et de formations adaptées. Et peut être d’attendre trop, toujours, et sur tous les plans, de l’Etat.
Néanmoins, certains signes font penser que le mouvement de déconsidération systématique des états et de la sphère publique, courant aussi bien ultra libéral que gauchiste, tend après trente ans de domination idéologique, économique et politique, à s’essouffler. La propagande simplette sur la mondialisation win-win, gagnant-gagnant, ne convainc plus. Les occidentaux découvrent les «fonds souverains» (fonds constitués par les états disposant de surplus financiers – tels que la Norvège, la Chine, la Russie, les Emirats etc. – pour des achats à l’étranger) dotés de moyens colossaux et s’en inquiètent. La fable de la mondialisation seulement heureuse n’est plus crédible et avec elle commence à s’estomper la glorification du seul marché, l’idéalisation aveugle de la société civile et le discrédit organisé de l’Etat. Tout cela fait que la France pourrait être plus à l’aise dans cette nouvelle phase de la mondialisation et elle le sera d’autant plus qu’avec l’Allemagne et d’autres états membres elle parviendra à faire de l’Union Européenne un vrai pôle régulateur de la mondialisation sauvage.
Si au lieu de comparer implicitement mais constamment la France d’aujourd’hui avec la France à son apogée des XVIIe et XVIIIe siècles, les Français comparaient plutôt leur pays avec les autres 192 états aujourd’hui membres des Nations unies, ils réaliseraient que la place de leur pays est plus élevée qu’ils ne le croient et s’en trouveraient plus confiants. Alors que depuis des décennies, à la question des sondeurs «Pensez-vous que l’influence de la France dans le monde progresse ou décline?», les Français répondent systématiquement qu’elle est en recul. Il ne devrait plus rien en rester! Ils confondent déclin, déclin statistique relatif, et perte d’influence. Le déclinisme est aussi un fond de commerce.
La France n’a pas la puissance des Etats-Unis – mais aucun autre pays non plus, ni aujourd’hui ni demain. Elle n’a pas la population de la Chine ou de l’Inde, ni le pétrole et le gaz de la Russie, ni la forêt du Brésil, ni le PNB du Japon. Mais aucun pays n’a tout cela et d’ailleurs les Français ne voudraient pas vivre dans ces pays (quelques uns, quand même, aux Etats-Unis). Et plus de 180 pays seraient enthousiasmés à l’idée de détenir les moyens d’influence de la France, ceux les mêmes que les Français jugent insuffisants et de pouvoir se situer à la place où elle se situe en réalité, celle d’un pays qui continue à jouer un rôle clef, ou important, dans l’histoire du monde alors que sa superficie et sa population n’ont jamais été colossales. Elle conserve des moyens d’action et d’influence remarquables pour défendre ses intérêts et promouvoir ses valeurs à l’époque mondialisée soit directement, soit par le biais de l’Union Européenne (une France forte dans une Europe forte). Finalement le principal handicap de la France, c’est son manque de confiance en elle-même! Il n’y a pas de raison qu’elle ne finisse par le surmonter. Elle a besoin d’une évaluation juste, objective et élevée de sa place qui faciliterait une grande politique d’influence, menée sans arrogance, mais avec détermination.
HV