MARIANNE: La défense de l’indépendance nationale est-elle, d’après vous, le principal invariant de la politique étrangère de la France?
HUBERT VEDRINE: Dans un monde devenu à ce point interdépendant, «l’indépendance nationale» n’a plus grand sens. Mais, si les pays sont interdépendants, ils peuvent garder leur indépendance de pensée et leur autonomie de décision. Le vrai fil conducteur de la politique étrangère de la France, c’est tout simplement qu’elle a sa propre politique étrangère. Cela peut paraître banal, sauf que les fédéralistes européens ont longtemps milité pour que les politiques étrangères française, allemande, britannique, italienne, etc, se fondent dans une politique étrangère européenne unique. Et que le courant atlantiste, milite lui, pour que la politique étrangère française s’occidentalise et suive la diplomatie américaine. Le premier de ces courants est très affaibli, le second est plus vivace que jamais. Je pense que la France doit moderniser sa politique étrangère pas l’aligner.
Avez-vous noté depuis neuf mois des inflexions de la diplomatie française qui vous ont surpris, choqué ou dérangé?
Certaines évolutions me rendent interrogatif, voire perplexe. Cependant, on ne peut pas juger prématurément l’ensemble d’une politique à partir d’une déclaration ou d’une visite. Lorsque le président parlant de «rupture», avec quoi voulait-il rompre? Si c’est avec l’idée que la politique étrangère française doit être indépendante dans son élaboration, pourquoi donc? S’il s’agit d’un changement de ton et de style, par rapport à la fin des années Chirac, c’est secondaire et passager. Le style, c’est l’écume des choses. Je m’interroge sur l’approche nouvelle de la question américaine. Manifester de l’amitié pour le peuple américain, notamment dans l’épreuve c’est normal et tous les Présidents l’ont fait. Vouloir la meilleure relation possible avec les Etats-Unis, c’est légitime. Ce que je me demande, c’est si on attendait quelque chose des Etats-Unis lors du voyage du président outre-Atlantique, en faisant l’impasse sur des sujets difficiles comme le Proche-Orient ou l’Irak? En affirmant sa disponibilité à se prendre toute sa place dans une Alliance atlantique rénovée, la France a-t-elle déclenché quelque chose en retour, des américains ou des européens? Le président de la République a lié ce mouvement à l’obtention de postes pour des militaires français et au renforcement d’un pilier européen dans l’alliance. Pourquoi pas? Mais sur ce second point, essentiel, des précisions seraient les bienvenues. Ce nouveau ton a donné au Président Sarkozy une bonne image dans la presse américaine alors que Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient -injustement- depuis l’Irak, une image déplorable. Voyons maintenant sur quoi cela débouche.
D’autre part, je voudrais être sur que l’on accorde à la relation franco-allemande une place suffisante. Je sais bien qu’il n’y a plus vraiment de couple franco-allemand, ce que l’on ne peut imputer au Président actuel, ni au précédent, mais à la force des choses. Ma remarque n’est pas nostalgique. Elle est tournée vers l’avenir et notamment vers la présidence française de l’Union. L’entente franco-allemande reste nécessaire même si elle n’est pas spontanée et si elle n’est plus non plus suffisante.
Vous semble-t-il opportun que la France se rapproche des Etats-unis alors que l’administration Bush est sur le départ et que les Etats-Unis demeurent englués en Irak?
H.V. Il y a dans une grande partie de la droite, et une petite partie de la gauche, un air de retour à l’atlantisme à l’ancienne. Il n’y a presque plus de gaullisme dans la droite française et certains, à gauche, veulent se libérer de la politique étrangère «gaullo-mitterrando-chiraquienne». Pour faire quoi? Si cela nous conduisait à une diplomatie reoccidentalisée, activiste, inspirée par les néo-conservateurs américains au moment où les américains vont s’en débarrasser, cela serait un paradoxe! Il y a des évolutions nécessaires mais il faut voir lesquelles… Par exemple, sur l’Iran, la diplomatie française parait la plus à l’offensive après que la politique américaine ait été douchée par l’évaluation des 16 agences de renseignement américaines. Pourquoi? Que veut faire la nouvelle diplomatie française dans la zone arabo-musulmane? Que fait-on en Afghanistan? Accepte-t-on l’élargissement de l’OTAN? Et les systèmes anti-missiles? Pourquoi une base à Abu Dabi? Etc…Beaucoup de questions, donc. Ce serait dommage que nous soyons pris à contre-pied par le changement à venir -dans onze mois- de l’administration américaine!
MARIANNE: La défense de l’indépendance nationale est-elle, d’après vous, le principal invariant de la politique étrangère de la France?
HUBERT VEDRINE: Dans un monde devenu à ce point interdépendant, «l’indépendance nationale» n’a plus grand sens. Mais, si les pays sont interdépendants, ils peuvent garder leur indépendance de pensée et leur autonomie de décision. Le vrai fil conducteur de la politique étrangère de la France, c’est tout simplement qu’elle a sa propre politique étrangère. Cela peut paraître banal, sauf que les fédéralistes européens ont longtemps milité pour que les politiques étrangères française, allemande, britannique, italienne, etc, se fondent dans une politique étrangère européenne unique. Et que le courant atlantiste, milite lui, pour que la politique étrangère française s’occidentalise et suive la diplomatie américaine. Le premier de ces courants est très affaibli, le second est plus vivace que jamais. Je pense que la France doit moderniser sa politique étrangère pas l’aligner.
Avez-vous noté depuis neuf mois des inflexions de la diplomatie française qui vous ont surpris, choqué ou dérangé?
Certaines évolutions me rendent interrogatif, voire perplexe. Cependant, on ne peut pas juger prématurément l’ensemble d’une politique à partir d’une déclaration ou d’une visite. Lorsque le président parlant de «rupture», avec quoi voulait-il rompre? Si c’est avec l’idée que la politique étrangère française doit être indépendante dans son élaboration, pourquoi donc? S’il s’agit d’un changement de ton et de style, par rapport à la fin des années Chirac, c’est secondaire et passager. Le style, c’est l’écume des choses. Je m’interroge sur l’approche nouvelle de la question américaine. Manifester de l’amitié pour le peuple américain, notamment dans l’épreuve c’est normal et tous les Présidents l’ont fait. Vouloir la meilleure relation possible avec les Etats-Unis, c’est légitime. Ce que je me demande, c’est si on attendait quelque chose des Etats-Unis lors du voyage du président outre-Atlantique, en faisant l’impasse sur des sujets difficiles comme le Proche-Orient ou l’Irak? En affirmant sa disponibilité à se prendre toute sa place dans une Alliance atlantique rénovée, la France a-t-elle déclenché quelque chose en retour, des américains ou des européens? Le président de la République a lié ce mouvement à l’obtention de postes pour des militaires français et au renforcement d’un pilier européen dans l’alliance. Pourquoi pas? Mais sur ce second point, essentiel, des précisions seraient les bienvenues. Ce nouveau ton a donné au Président Sarkozy une bonne image dans la presse américaine alors que Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient -injustement- depuis l’Irak, une image déplorable. Voyons maintenant sur quoi cela débouche.
D’autre part, je voudrais être sur que l’on accorde à la relation franco-allemande une place suffisante. Je sais bien qu’il n’y a plus vraiment de couple franco-allemand, ce que l’on ne peut imputer au Président actuel, ni au précédent, mais à la force des choses. Ma remarque n’est pas nostalgique. Elle est tournée vers l’avenir et notamment vers la présidence française de l’Union. L’entente franco-allemande reste nécessaire même si elle n’est pas spontanée et si elle n’est plus non plus suffisante.
Vous semble-t-il opportun que la France se rapproche des Etats-unis alors que l’administration Bush est sur le départ et que les Etats-Unis demeurent englués en Irak?
H.V. Il y a dans une grande partie de la droite, et une petite partie de la gauche, un air de retour à l’atlantisme à l’ancienne. Il n’y a presque plus de gaullisme dans la droite française et certains, à gauche, veulent se libérer de la politique étrangère «gaullo-mitterrando-chiraquienne». Pour faire quoi? Si cela nous conduisait à une diplomatie reoccidentalisée, activiste, inspirée par les néo-conservateurs américains au moment où les américains vont s’en débarrasser, cela serait un paradoxe! Il y a des évolutions nécessaires mais il faut voir lesquelles… Par exemple, sur l’Iran, la diplomatie française parait la plus à l’offensive après que la politique américaine ait été douchée par l’évaluation des 16 agences de renseignement américaines. Pourquoi? Que veut faire la nouvelle diplomatie française dans la zone arabo-musulmane? Que fait-on en Afghanistan? Accepte-t-on l’élargissement de l’OTAN? Et les systèmes anti-missiles? Pourquoi une base à Abu Dabi? Etc…Beaucoup de questions, donc. Ce serait dommage que nous soyons pris à contre-pied par le changement à venir -dans onze mois- de l’administration américaine!