La France est-elle encore un pays influent? Oui, Évidemment. Alors pourquoi, en 2007 nous posons nous encore cette question?
Parce que nous restons inconsciemment obsédés par le souvenir des deux ou trois siècles pendant lesquels la France n’était pas seulement «influente», mais dominante (Richelieu, Louis XIV, les Lumières, Napoléon, l’empire colonial). Que nous avions cru retrouver cette position avec Clemenceau et la victoire de 1918 et feint de la retrouver avec de Gaulle. Et que tout cela n’est pas si loin. Qu’après avoir usé (ou mésusé) de la puissance, nous avons exalté notre mission civilisatrice et affirmé notre rôle universel avec d’autant plus de force que cela devenait moins vrai. Parce que nous avons collectivement vécu notre repli au XXe siècle comme un déclin pénible -d’où la récurrence masochiste du débat sur le déclin- Que nous savons que nous nous sommes effondrés en 1940, et que c’est là le vrai traumatisme mal enfoui sous l’auto-examen qui se poursuit sur Vichy depuis 67 ans! Nous nous posons également cette question parce que nous avions pensé retrouver à travers l’Europe notre puissance et notre influence en partie perdue –Europe puissance, Europe sociale à la française- et que ce n’est pas ce qui se passe dans l’Union à vingt-sept ou tout fait l’objet de compromis et qu’il est déprimant, par ailleurs, de s’entendre dire que la France seule ne peut plus rien (ce qui est faux d’ailleurs).
Parce qu’avec la globalisation, ce n’est plus nous qui nous projetons sur le monde mais le monde qui se projette sur nous. Et qu’il est vexant de voir les États-Unis jouer de façon si contestable dans le monde d’aujourd’hui, le rôle universel que nous pensions être le nôtre. Notre inquiétude lancinante sur notre influence masque à peine cette nostalgie de puissance. Nous sommes tentés de penser que si nous ne sommes plus au centre, si nous ne sommes plus qu’une puissance «moyenne» (également contestable) le jeu n’en vaut plus la chandelle. Nous avons rayonné sur le monde: il nous resterait les discours, les postures, l’humanisme, les droits de l’homme. Nous oscillons en permanence entre la prétention nostalgique et la sous-estimation.
Nous devrions pouvoir trouver un point d’équilibre en essayant d’évaluer objectivement notre puissance (hard et soft) et notre influence dans le monde actuel. Certes les Français ne représentent environ que 1 % de la population mondiale sur 1 % du territoire. Mais ce n’est pas nouveau. Et elle est sixième pour le PIB et le PNB. Elle dispose d’un fantastique patrimoine d’influence. D’acquis géopolitiques en premier lieu: son prestige historique, son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, sa participation au G8, sa force de dissuasion, ses forces armées (les secondes en Europe), son potentiel spatial, ses entreprises mondiales, la francophonie, le dynamisme des 2 millions de Français de l’étranger. Il faut y ajouter l’influence qu’elle a gardé en Afrique, en Méditerranée, dans le monde arabe, autour des DOM et des TOM, le désir de dizaines de nations du monde de voir la France continuer à pratiquer une politique étrangère qui lui soit propre et qui ne soit pas seulement occidentale ou européenne. N’oublions pas enfin ce soft power qui se manifeste par l’attirance pour Paris, pour la mode, le luxe, la cuisine, les vins et les paysages de la France, sa culture. La force de son droit. J’évoquais souvent quand j’étais ministre ces «cartes de la France».
Quant à l’influence de la France dans l’Europe, elle peut se mesurer en quelques données ou chiffres: un des six pays fondateur, un des treize pays de la zone euro, un des vingt sept états membres de l’Union, un des 27 membres donc du Conseil européen, 77 parlementaires au Parlement européen sur 785, 1 commissaire sur 27, 9 % des voix au Conseil européen selon le Traité de Nice, 13 % selon le Traité Constitutionnel (Allemagne 19 %), la première langue de l’Union après l’anglais (encore 14 % des documents rédigés en français, et la langue de la Cour de justice). Et plus encore un rôle d’initiateur (CECA, Rome, invention de la PAC, Acte Unique, Maastricht, euro, Ariane, Airbus, Erasmus, politique d’aide au développement, moteur franco-allemand), dont le souvenir entretient une attente, même après le non de 2005. L’Union n’est pas une Europe à la française, mais elle n’est pas non plus à l’anglaise ou à l’allemande. C’est un compromis. Même l’Allemagne de Mme Merkel, avec sa double présidence, doit s’y prêter. L’influence de la France en Europe n’a pas disparue, elle s’est relativisée, comme celle des autres grands pays dans l’Union européenne élargie.
Au total, si la France n’est pas «l’hyperpuissance» américaine, elle n’est pas une simple puissance «moyenne». Elle fait partie d’une dizaine de puissances «globales» qui n’ont pas tous les attributs de la puissance et de l’influence, mais quand même une partie d’entre eux, membres permanents du Conseil de sécurité, membres du G8, puissances émergentes. Quand on pense que l’ONU compte 192 états membres et l’OMC 150, il n’y a pas de quoi déprimer. Bien des pays seraient enthousiasmés s’ils pouvaient disposer de notre influence, qui nous paraît insuffisante.
Ces évidences sont connues et rabachées depuis longtemps, et pourtant le malaise est toujours là. Comme il s’agit d’une névrose plus que d’une réalité, ce n’est pas avec des arguments rationnels, ni des statistiques qu’on en viendra à bout.
Ni en rappelant aux Français que, contrairement à ce qu’ils croient et craignent, ils se sont constamment adaptés, réformés, transformés depuis 1945.
Ni en nourrissant des nostalgies hors d’âge où une repentance compulsive (ce qui n’empêche pas, au contraire, qu’il faille voir notre Histoire en face). Mais en traitant le mal à sa racine actuelle, c’est à dire en extirpant notre peur de l’avenir et de la mondialisation. Face à elle, aucun pays ne fait que se protéger (pas même la Corée du Nord!), aucun pays ne fait que s’ouvrir (et évidemment pas les États-Unis, qui ont lancé le mouvement), aucun pays ne fait que s’adapter et se réformer (pas même la Grande-Bretagne de Tatcher-Blair).
La réponse française européenne sera donc forcément un cocktail protection-adaptation, ce qui est à portée de la main, si nous savons le doser, le formuler, le convaincre, nous y tenir.
Il faut à la fois:
1) Nous protéger au niveau national, européen ou global des effets destructeurs de la mondialisation (ex. diversité culturelle);
2) Ne pas défendre les situations économiques périmées, mais aider en permanence les gens à s’adapter (formation, soutien, mise en confiance) et à profiter des aspects créateurs de la mondialisation;
3) Oeuvrer à une Europe qui ne soit pas l’idiot du village global et défende nos intérêts et nos valeurs, comme un des pôles actifs du monde de demain. En bref, cessons de nous interroger sur l’état de notre influence, elle est grande, exerçons-là avec lucidité, réalisme et ambition.
La France est-elle encore un pays influent? Oui, Évidemment. Alors pourquoi, en 2007 nous posons nous encore cette question?
Parce que nous restons inconsciemment obsédés par le souvenir des deux ou trois siècles pendant lesquels la France n’était pas seulement «influente», mais dominante (Richelieu, Louis XIV, les Lumières, Napoléon, l’empire colonial). Que nous avions cru retrouver cette position avec Clemenceau et la victoire de 1918 et feint de la retrouver avec de Gaulle. Et que tout cela n’est pas si loin. Qu’après avoir usé (ou mésusé) de la puissance, nous avons exalté notre mission civilisatrice et affirmé notre rôle universel avec d’autant plus de force que cela devenait moins vrai. Parce que nous avons collectivement vécu notre repli au XXe siècle comme un déclin pénible -d’où la récurrence masochiste du débat sur le déclin- Que nous savons que nous nous sommes effondrés en 1940, et que c’est là le vrai traumatisme mal enfoui sous l’auto-examen qui se poursuit sur Vichy depuis 67 ans! Nous nous posons également cette question parce que nous avions pensé retrouver à travers l’Europe notre puissance et notre influence en partie perdue –Europe puissance, Europe sociale à la française- et que ce n’est pas ce qui se passe dans l’Union à vingt-sept ou tout fait l’objet de compromis et qu’il est déprimant, par ailleurs, de s’entendre dire que la France seule ne peut plus rien (ce qui est faux d’ailleurs).
Parce qu’avec la globalisation, ce n’est plus nous qui nous projetons sur le monde mais le monde qui se projette sur nous. Et qu’il est vexant de voir les États-Unis jouer de façon si contestable dans le monde d’aujourd’hui, le rôle universel que nous pensions être le nôtre. Notre inquiétude lancinante sur notre influence masque à peine cette nostalgie de puissance. Nous sommes tentés de penser que si nous ne sommes plus au centre, si nous ne sommes plus qu’une puissance «moyenne» (également contestable) le jeu n’en vaut plus la chandelle. Nous avons rayonné sur le monde: il nous resterait les discours, les postures, l’humanisme, les droits de l’homme. Nous oscillons en permanence entre la prétention nostalgique et la sous-estimation.
Nous devrions pouvoir trouver un point d’équilibre en essayant d’évaluer objectivement notre puissance (hard et soft) et notre influence dans le monde actuel. Certes les Français ne représentent environ que 1 % de la population mondiale sur 1 % du territoire. Mais ce n’est pas nouveau. Et elle est sixième pour le PIB et le PNB. Elle dispose d’un fantastique patrimoine d’influence. D’acquis géopolitiques en premier lieu: son prestige historique, son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, sa participation au G8, sa force de dissuasion, ses forces armées (les secondes en Europe), son potentiel spatial, ses entreprises mondiales, la francophonie, le dynamisme des 2 millions de Français de l’étranger. Il faut y ajouter l’influence qu’elle a gardé en Afrique, en Méditerranée, dans le monde arabe, autour des DOM et des TOM, le désir de dizaines de nations du monde de voir la France continuer à pratiquer une politique étrangère qui lui soit propre et qui ne soit pas seulement occidentale ou européenne. N’oublions pas enfin ce soft power qui se manifeste par l’attirance pour Paris, pour la mode, le luxe, la cuisine, les vins et les paysages de la France, sa culture. La force de son droit. J’évoquais souvent quand j’étais ministre ces «cartes de la France».
Quant à l’influence de la France dans l’Europe, elle peut se mesurer en quelques données ou chiffres: un des six pays fondateur, un des treize pays de la zone euro, un des vingt sept états membres de l’Union, un des 27 membres donc du Conseil européen, 77 parlementaires au Parlement européen sur 785, 1 commissaire sur 27, 9 % des voix au Conseil européen selon le Traité de Nice, 13 % selon le Traité Constitutionnel (Allemagne 19 %), la première langue de l’Union après l’anglais (encore 14 % des documents rédigés en français, et la langue de la Cour de justice). Et plus encore un rôle d’initiateur (CECA, Rome, invention de la PAC, Acte Unique, Maastricht, euro, Ariane, Airbus, Erasmus, politique d’aide au développement, moteur franco-allemand), dont le souvenir entretient une attente, même après le non de 2005. L’Union n’est pas une Europe à la française, mais elle n’est pas non plus à l’anglaise ou à l’allemande. C’est un compromis. Même l’Allemagne de Mme Merkel, avec sa double présidence, doit s’y prêter. L’influence de la France en Europe n’a pas disparue, elle s’est relativisée, comme celle des autres grands pays dans l’Union européenne élargie.
Au total, si la France n’est pas «l’hyperpuissance» américaine, elle n’est pas une simple puissance «moyenne». Elle fait partie d’une dizaine de puissances «globales» qui n’ont pas tous les attributs de la puissance et de l’influence, mais quand même une partie d’entre eux, membres permanents du Conseil de sécurité, membres du G8, puissances émergentes. Quand on pense que l’ONU compte 192 états membres et l’OMC 150, il n’y a pas de quoi déprimer. Bien des pays seraient enthousiasmés s’ils pouvaient disposer de notre influence, qui nous paraît insuffisante.
Ces évidences sont connues et rabachées depuis longtemps, et pourtant le malaise est toujours là. Comme il s’agit d’une névrose plus que d’une réalité, ce n’est pas avec des arguments rationnels, ni des statistiques qu’on en viendra à bout.
Ni en rappelant aux Français que, contrairement à ce qu’ils croient et craignent, ils se sont constamment adaptés, réformés, transformés depuis 1945.
Ni en nourrissant des nostalgies hors d’âge où une repentance compulsive (ce qui n’empêche pas, au contraire, qu’il faille voir notre Histoire en face). Mais en traitant le mal à sa racine actuelle, c’est à dire en extirpant notre peur de l’avenir et de la mondialisation. Face à elle, aucun pays ne fait que se protéger (pas même la Corée du Nord!), aucun pays ne fait que s’ouvrir (et évidemment pas les États-Unis, qui ont lancé le mouvement), aucun pays ne fait que s’adapter et se réformer (pas même la Grande-Bretagne de Tatcher-Blair).
La réponse française européenne sera donc forcément un cocktail protection-adaptation, ce qui est à portée de la main, si nous savons le doser, le formuler, le convaincre, nous y tenir.
Il faut à la fois:
1) Nous protéger au niveau national, européen ou global des effets destructeurs de la mondialisation (ex. diversité culturelle);
2) Ne pas défendre les situations économiques périmées, mais aider en permanence les gens à s’adapter (formation, soutien, mise en confiance) et à profiter des aspects créateurs de la mondialisation;
3) Oeuvrer à une Europe qui ne soit pas l’idiot du village global et défende nos intérêts et nos valeurs, comme un des pôles actifs du monde de demain. En bref, cessons de nous interroger sur l’état de notre influence, elle est grande, exerçons-là avec lucidité, réalisme et ambition.