Chers amis, chers camarades,
Je suis très heureux d’être parmi vous cet après midi à la trente troisième fête populaire de Frangy-en-Bresse, à l’initiative d’Arnaud Montebourg que je remercie chaleureusement, et de pouvoir y saluer Pierre Joxe, initiateur il y a longtemps de ce rendez vous, Christophe Sirugue, Didier Mathus, Benoît Hamon, Christian Paul, Marie France Müller, Rémy Chaintron, Louis Meixandeau et vous tous bien entendu.
J’en suis heureux car j’aime la Bourgogne, et cette terre de Saône et Loire si chères à François Mitterrand, et parce que je prends l’invitation d’Arnaud Montebourg pour un hommage à ma liberté de pensée et de parole, ce qui m’honore, et va me permettre de vous parler avec franchise. D’ailleurs quand Arnaud m’a appelé je lui ai rappelé que j’avais voté oui et que je n’étais pas membre du NPS. Il m’a répondu qu’à Frangy, il n’y avait pas d’exclusive, que seules les idées comptaient et que justement, les miennes pouvaient présenter, en ce moment, un certain intérêt pour tous les courants. J’ai été sensible à ce ton.
Membre du Parti Socialiste depuis trente deux ans, je suis attaché à sa vie démocratique. Collaborateur de François Mitterrand pendant vingt deux ans, dont quatorze à l’Elysée, chef de la diplomatie française pendant cinq ans dans le gouvernement de Lionel Jospin, que j’ai plaisir à citer ici, je me suis forgé à force d’expériences vécues, ma propre analyse des réalités internationales et européennes, des rapports de force et de la façon, pour nous, d’avancer. Elle ne coïncide pas toujours avec les conceptions établies. C’est dans cet esprit que je suis venu vous parler de l’Europe, de la situation dans laquelle elle, et nous, nous trouvons et de ce que nous devons faire maintenant.
Chacun de vous, j’en suis sûr, voudrait que l’Europe soit forte, riche, juste, exemplaire et utile au monde, un monde si troublé et si inquiétant. Il n’est que de lire les contributions générales ou thématiques déposées en vue du Congrès du Mans, pour apercevoir l’Europe idéale que les socialistes, qu’ils aient voté non ou qu’ils aient voté oui, appellent de leurs vœux. Mais, justement, il ne suffit pas de le souhaiter ardemment pour que les 450 millions d’Européens et les vingt cinq Etats nations qui composent l’Union pour le moment se mettent d’accord sur ses objectifs, ses modes de fonctionnement et que ceux-ci répondent à nos attentes.
1- Où en est l’Europe aujourd’hui?
Il faut d’abord savoir comment nous interprétons les non français et néerlandais. Comme un accident de parcours? Ou comme la preuve de la nécessité d’une remise en cause en profondeur du processus européen? Dans la première hypothèse on considèrera que le Traité constitutionnel – car il ne s’est jamais agi d’une Constitution – n’a été victime que de contextes de politique intérieure défavorable en France et aux Pays Bas et de manœuvres politiciennes et on se bornera à attendre une conjoncture plus clémente pour reprendre à l’identique la démarche européenne.
Ou alors, on considère, et c’est mon cas, que ces non ont exprimé aussi, en plus d’un mécontentement interne évident, le refus d’une certaine façon de construire l’Europe et de l’orientation de celle-ci. Et dans ce cas il faut être prêt à des remises en cause.
2- A vrai dire, mes chers amis, ce résultat ne m’a guère surpris, même si je ne l’ai pas souhaité. Il me semblait depuis les lendemains de Maastricht que ce que j’appelle les «élites intégrationnistes» avaient, sans doute sans s’en rendre compte, contribué à ce que se creuse un fossé de plus en plus profond entre elles et la population que je dirai «normale». D’abord en poussant à, ou en laissant s’accomplir, un élargissement de 12 à 15 Etats membres puis de 15 à 25, en attendant 27 et plus, adhésions toutes historiquement légitimes mais mal expliquées et politiquement mal préparées, et dont l’addition a fortement perturbé notre opinion, élargissant l’Union à tel point que les Français, même sincèrement européens, ne s’y retrouvent plus.
D’autre part en alimentant une fuite en avant institutionnelle fébrile pour passer, en une dizaine d’années du Traité de Maastricht, au Traité d’Amsterdam, puis de Nice, et au Traité constitutionnel, en répétant que les Etats nations étaient caducs, incapables ou déconsidérés, ce qui a heurté des sentiments profonds. Même si ces surenchères étaient inspirées par de bons sentiments, cette perpétuelle incertitude sur le cadre géographique et institutionnel a fini, selon moi, par devenir anxiogène et angoissant. Cela s’ajoutait aux attentes sociales déçues car là où les électeurs de gauche espéraient la consolidation par l’Union européenne des protections sociales à la française, ils ont vu au contraire s’étendre à l’Europe la vague mondiale de dérégulation. Tout cela devait un jour ou l’autre se traduire électoralement. Comme je l’ai écrit dans un article récent les passagers du train européen, ayant eu le sentiment que la locomotive devenait folle, ont décroché les wagons. Ils ne sont devenus pour autant ni xénophobes, ni populistes – à supposer que l’on sache définir ce mot – ni anti européens.
Pour en sortir, il faut avant toute chose calmer ces sources d’inquiétudes, clarifier et stabiliser le cadre européen avant de reformuler notre projet pour l’Europe.
3- Ce n’est malheureusement pas ce que préconisent la plupart des contributions, pour le Congrès du Mans.
Que demandent-elles? Une «nouvelle convention», un «parlement constituant», une «vraie constituante» pour rédiger la «constitution d’une Europe», bien sûr «fédérale et démocratique». Toujours plus d’Europe. Un groupe restreint, noyau dur de quelques pays ou «République européenne». Une commission transformée en gouvernement responsable devant le Parlement européen. Un traité fiscal et social (sur notre ligne, bien sûr). La mise en œuvre des parties I et II du Traité constitutionnel. Un Parti Socialiste Européen renforcé ou même transnational. Mais aucun de ces textes ne nous explique comment ces thèses européistes ambitieuses pour l’essentiel déjà défendues et minoritaires pendant la convention et avant le référendum, comment ces projets ont plus de chances d’être entendues et de convaincre après la victoire des non qu’avant, qu’il s’agisse des partenaires du Parti Socialiste au sein de l’évanescent Parti Socialiste Européen, ou de ceux de la France au sein de l’Union.
Il y a d’ailleurs depuis quelques années une sorte de mystère socialiste à propos de l’Europe.
Pourquoi les socialistes français sont-ils à ce point impatients de faire progresser l’intégration politique européenne, qui les minoriserait au sein des 25 sur tous les sujets qu’ils jugent importants?
Pourquoi pensent ils que des renégociations donneraient des résultats plus proches de leurs conceptions, et pas moins proches, alors que le rapport de force idéologique et politique en Europe ne leur est pas favorable?
Parce que, je vous le dis, avec gravité et préoccupation, et sans vouloir blesser personne, le renforcement de l’intégration européenne dans sa forme maximaliste, «l’européisme», est, pour certains d’entre nous, devenu une idéologie de substitution, un dogme qui ne souffre plus aucune contestation quels que soient les faits. C’est cela qui nous empêche de voir les positions réelles et constantes des autres Européens, même quand il y avait au sein de l’Union douze gouvernements socio-démocrates. C’est cela qui nous a amené à tout attendre de l’Europe, dans tous les domaines, Europe supposée être le seul niveau adéquat, avoir seule la taille, la masse critique pour agir, cette Europe de nos mythes,Europe sociale, Europe puissance, etc … Ah la magie des mots! C’est un point très important. Nous nous sommes auto persuadés que nos problèmes ne pouvaient plus être résolus qu’à l’échelle européenne. Certains le pensent par analogie avec les grandes masses chinoises, indiennes, russes ou américaines, en confondant agrégats économiques et équation politique. D’autres par détestation des Etats nations historiques, par volonté d’être modernes, ouverts, pas chauvins ni repliés sur soi, etc .. Tout cela est peut être intentionné mais repose sur une confusion. D’où une attente et une dépendance, qui nous ont déresponsabilisés au niveau national, et alimentent le risque de l’incantation protestataire.
4- En réalité, que va-t-il se passer?
Au risque de décevoir, voilà mon pronostic. Le processus de ratification est de facto arrêté, le projet de Traité constitutionnel étant gelé ou abandonné. A supposer que les gouvernements, échaudés, se relancent dans une renégociation d’ensemble, cela ne se produira pas avant longtemps, en tout cas pas avant 2007 au plus tôt. Et si cette renégociation a lieu, rien ne dit qu’elle ira dans notre sens car il y a d’autres demandes en sens inverse d’autres pays.
Une application partielle de tel ou tel élément intéressant du Traité constitutionnel est moins impensable, mais reste improbable.
En pratique, l’Union va continuer de fonctionner selon les règles du Traité de Nice, en tout cas jusqu’à ce que l’Union atteigne 27 membres. Si on veut élargir au-delà, alors il faudra de gré ou de force renégocier, puisque Nice ne le prévoît pas.
L’éventuel dépassement du traité de Nice dépendra donc des propositions du Président élu en France en 2007, de leur impact sur nos partenaires mais aussi de la disponibilité de nos partenaires européens pour une reprise des ratifications ou une renégociation à ce moment là, et enfin d’une éventuelle poussée pour de nouveaux élargissements.
5- En attendant, il faut traiter les raisons de fond qui ont nourri et grossi ce malaise européen, puis reformuler notre projet pour l’Europe de façon réaliste.
Pour combler le désastreux fossé actuel élites/populations, une double clarification géographique et politique préalable est nécessaire.
En premier lieu, l’Europe ne peut pas être uniquement une idée et un programme politiques, extensibles à l’infini à d’autres pays démocratiques, où qu’ils se situent. Si on veut qu’elle reste intelligible à ses peuples, elle devra être la synthèse de sa géographie, de ses territoires, de son histoire et de ses valeurs politiques. Ayons le courage de le proclamer: l’Union Européenne aura des limites géographiques autour desquelles elles se stabilisera. C’est normal. Un jour l’Union sera définitivement constituée. Au-delà, ses relations avec ses voisins ne se ramèneront pas au tout ou rien, c’est-à-dire à l’adhésion ou non, mais prendra la forme d’une gamme très variée de coopérations plus ou moins étroites.
Ensuite, la question de l’intégration politique. On se réfère dans les discours, à l’»Union sans cesse plus étroite» des peuples européens inscrite au fronton du Traité de Rome. Mais Union jusqu’où? Il est évident que les peuples d’Europe ne fusionneront jamais en un seul peuple. Même si certains utopistes y ont rêvé, aucun de ces peuples ne le souhaite. Ce n’est ni possible ni souhaitable. Ce que nous faisons est original, et n’a rien à voir avec la fédération de treize colonies britanniques homogènes d’Amérique du Nord au XVIIIème, unies par leur commune hostilité à la Couronne britannique.
Autant le dire: l’intégration politique des vingt cinq Etats membres se stabilisera quelque part. L’expérience difficile des dix années de négociations institutionnelles que nous venons de connaître amène à penser que l’intégration se situera entre le Traité de Nice et le Traité constitutionnel. Il n’y aura ni unanimité, ni majorité, ni même minorité agissante suffisante en Europe pour aller beaucoup plus loin. Ce qui n’empêchera pas quelques ajustements pour communautariser telle ou telle politique nouvelle ou, au contraire, pour restituer aux Etats nations, dans un esprit de bonne subsidiarité, telle ou telle compétence, s’ajoutant à celles qu’ils garderont de toute façon comme par exemple l’essentiel du social. Mais cessons de dire en permanence que nous ne sommes qu’à une étape.
La vérité est que nous bâtissons une fédération d’Etats nations, ce qui n’est pas une mince ambition. Chaque mot compte dans cette formule ingénieuse réaliste, juste et toujours valable de Jacques Delors. Nous ne créerons pas une fédération européenne à proprement parler dans laquelle les Etats-Unis, comme la France, seraient voués à disparaître.
Cette double clarification, géographique et institutionnelle dissipera la désagréable impression d’instabilité et de fuite en avant et permettra aux peuples européens déboussolés de commencer à se réapproprier le projet européen commun. C’est un préalable.
Si l’Union européenne n’a pas vocation à absorber à terme toutes les compétences nationales, alors il faut arrêter, chers camarades, de tout attendre, ou de tout redouter, selon les points de vue, de l’Europe, de tout miser sur elle ou de la charger de tous les maux! Ce n’est pas moi, qui y ai consacré tant d’années, qui vais contester la nécessité d’un cadre, de règles, de valeurs et de politiques communes aux peuples européens. Mais il y a eu excès, sous prétexte que le cadre national était ringard et dépassé alors qu’il est évident qu’il gardera une importance majeure, dans la vie démocratique et la vie sociale pour commencer. C’est une question d’équilibre.
Savez vous par exemple qu’aux Etats-Unis, vraie fédération d’Etats qu’on ne peut comparer sérieusement pour l’ancienneté et l’identité aux vieux Etats d’Europe, les autorités de Washington laissent dans bien des domaines plus d’autonomie aux simples états fédérés que certaines directives de la commission européenne n’en laissent aux Etats membres! Il y a eu des abus de centralisation européenne qu’il faudra corriger.
Fixer des limites géographiques à l’Union, stabiliser en son sein le degré d’intégration politique, ne plus tout attendre de l’Europe, retrouver le sens de nos responsabilités propres et notre marge de manœuvre: tout cela dont la nécessité devient éclatante est affaire de bon sens. Si ces clarifications ne sont pas faites à temps, nous allons regonfler artificiellement les mêmes illusions, nous livrer à des surenchères, afficher des postures résolues et tout cela s’effondrera à nouveau après 2007 quand il faudra bien constater que nous ne sommes pas suivis.
6- Que faire alors dans les temps qui viennent, et selon quel calendrier?
Il faut distinguer d’ici à 2007, après 2007 si notre candidat, comme je l’espère, l’emporte, et les élections pour le Parlement européen en 2009. Nous disposons d’un peu moins de deux ans pour confronter notre analyse de l’enlisement récent du processus institutionnel et nos idées pour l’avenir avec celle de nos partenaires. Et quand je dis partenaires je ne pense pas seulement, bien sûr, aux autres partis membres du Parti Socialiste Européen, qui sont loin de partager toutes nos options, mais aussi aux partenaires de la France en général et à toutes les forces politiques qui seront vraisemblablement au pouvoir en 2007 dans les autres Etats membres. N’élaborons pas un projet franco-français qui n’ait aucune chance d’être soutenu par d’autres Européens! Non pas que je sous estime notre capacité d’influence qui va bien au-delà de nos 9% de droits de vote au Conseil selon Nice, de notre commissaire unique, de nos 78 parlementaires. Mais je me méfie de notre propension à nous mettre d’accord au niveau du Parti Socialiste, ou de la gauche, ou même pays c’est-à-dire «entre nous», sur des revendications et des exigences fermes, sans tenir compte des partenaires et du monde extérieur. Ce n’est pas un gage de succès!
Mettons donc à profit cette période pour mieux étudier les positions de nos partenaires indispensables, mieux comprendre leurs désaccords avec nous, mieux déterminer les sujets sur lesquelles nous pouvons les faire bouger et ceux sur lesquels nous devrons évoluer nous-mêmes, trouver les bons arguments et bâtir les coalitions appropriées. Ce devrait être la tâche des douze prochains mois.
Dans cette phase, je recommande de ne pas tout concentrer sur les réformes institutionnelles. Notre famille politique attend toujours beaucoup des textes solennels, constitution, préambules, chartes, lois, et des institutions. Mais dans la situation où nous sommes, il me paraît plus urgent de formuler des projets concrets que d’imaginer des institutions idéales.
Bien sûr il faudra avoir une position institutionnelle prête dans l’hypothèse où une renégociation s’ouvrirait entre 2007 et 2009, ou pour les élections parlementaires de 2009. Positions qui tiendraient en un traité beaucoup plus simple et bref sur le fonctionnement des institutions européennes, sans prédétermination idéologique des politiques menées, en rompant clairement avec tout fédéralisme d’intégration et de fusion, mais en acceptant en revanche le fédéralisme comme méthode de répartition plus claire et plus précise des compétences dans un esprit de subsidiarité. Dans notre contribution, Henri Nallet, Patrick Malivet et moi avons expliqué cette distinction entre ces deux formes de fédéralisme.
Pour compléter cette réflexion par des propositions opérationnelles j’évoquerai pour rapidement finir la zone euro, les politiques communes actuelles, les éventuelles politiques nouvelles, la relance des projets concrets.
Ne poursuivons pas trop de lièvres en même temps. Plutôt que de rêver à un introuvable noyau dur, cet hypothétique petit groupe central uni par des liens très étroits dont personne n’arrive à cerner les contours, voyons comment renforcer la zone euro. Réfléchissons à comment faire converger, malgré les réticences connues de plusieurs autres membres, les politiques économiques et sociales qui sont menées dans la zone euro pour les rendre plus dynamique et articuler, à notre façon, adaptation et croissance économique, flexibilité et protection sociale. Cela devrait être notre priorité.
Ensuite examinons les politiques communes, celles que nous menons avec tous les Etats membres et dont la Commission est la gardienne. Nous aurons de toute façon besoin de garder une PAC certes modernisée, et une politique d’aménagement du territoire européen, celle des fonds structurels. Pour cela, que faut-il garder, transformer, ou abandonner des actuelles politiques? C’est à discuter. Concernant la PAC, tout en nous montrant généreux et ouverts, je pense que cela serait absurde de faire disparaître la paysannerie européenne, tout à fait capable de concilier savoir faire, expérience et modernité, au seul profit de la paysannerie des pays émergents.
Quelles politiques communes supplémentaires avons-nous besoin? Dans quels domaines cela sera-t-il plus efficace d’agir à 25 et selon les règles communautaires? Sur le social il faut des règles européennes générales et pas n’importe lesquelles, et des garde-fous. Faut il aller beaucoup plus loin, la fameuse «Europe sociale»? Je ne le crois pas car le dialogue et l’action sociale sont propres à chaque pays. De plus nous, socialistes français, devrions y regarder à deux fois et penser à Gribouille, car nos conceptions sociales sont minoritaires et la négociation d’un Traité social, s’il devait y en avoir un, nous confronterait à bien des dilemmes. En fait, le progrès social continuera de dépendre pour l’essentiel de la politique menée dans chaque pays.
La question du degré d’intégration optimum ou de coordination des politiques de sécurité, de justice, de police, de lutte contre le terrorisme se pose évidemment, comme par ailleurs celle de l’harmonisation des règles migratoires; si disparates aujourd’hui. Cela mériterait de plus amples développements.
Mais pour qu’en Europe on aime à nouveau l’avenir nous devrions penser à des politiques vraiment nouvelles et incontestables, par exemple, pour la recherche et la technologie. Ainsi, il va devenir vital, au sens propre du terme, de soumettre les secteurs de l’énergie, des transports, de l’agriculture, de l’industrie à des règles écologiques strictes. L’Europe ne devrait elle pas se fixer comme objectif de devenir dans ces domaines le continent exemplaire, celui où s’opèrerait la mutation écologique de l’économie et ou s’inventerait une combinaison heureuse entre la croissance, la préservation de la vie sur la planète, et l’emploi? Tout cela, bien sûr, suppose une révolution mentale mais aussi un budget adéquat. Avançons des idées. Voyons ce qu’en pensent nos partenaires.
Cela m’amène aux projets concrets, dont le champ est immense. A leur égard la disponibilité des opinions est trop grande. Personne n’est contre Airbus, contre ITER, ou contre ERASMUS. Ces projets concrets seront conçus en fonction des besoins, sans dogmatisme réglementaire, ni souci de démontrer des théories, projets communautaires ou intergouvernementaux, globaux ou par petits groupes géographiques ou thématiques, utilisant ou non la procédure des coopérations renforcées. Jacques Delors avait proposé en 1994 des grandes infrastructures utiles pour toute l’Europe. Dans sa contribution, Gérard Collomb propose une liste de projets. Réfléchissons y.
*
Chers amis, chers camarades, comme cela serait simple si nous pouvions modeler la réalité européenne et mondiale à coup de slogans, Europe sociale, Europe puissance, Europe fédérale, etc…! Mais ce n’est pas le cas. Dans l’Union à 25, nous ne sommes pas seuls à décider et la réalité européenne est là. Je vous le dis, nous aurons plus d’influence sur les événements, nous pèserons plus après 2007, en abandonnant quelques unes de nos chimères. Nous serons plus crédibles si nous repensons un projet européen ambitieux et réaliste qui intègre les réactions de nos partenaires à nos futures propositions, réactions que nous allons recueillir en 2005-2006, et en esquissant des alliances progressistes majoritaires pour 2007 et après.
Il ne s’agit pas d’abandonner nos ambitions, voire nos rêves, pour l’Europe mais de leur redonner une assise et de redéfinir une méthode. Il y a beaucoup à faire encore en Europe et pour l’Europe pour que les Européens vivent mieux et que le reste du monde en bénéficie.
Je cherche aujourd’hui avec vous à être utile à tous ceux, qu’ils aient voté oui ou qu’ils aient voté non, qui se demandent avant notre congrès et avant les prochaines présidentielles comment reformuler notre ambition d’une France forte dans une Europe forte. Et bien il faut articuler les deux. Ce n’est pas mon rôle aujourd’hui, ni le lieu, de parler de ce que nous devons proposer à nos compatriotes pour la France en 2007. Je veux seulement vous dire pour conclure que sans la clarification de notre politique européenne, nous n’arriverons pas à proposer aux électeurs français un programme convaincant pour l’échéance qui doit mobiliser notre énergie: celle de mai 2007.
Chers amis, chers camarades,
Je suis très heureux d’être parmi vous cet après midi à la trente troisième fête populaire de Frangy-en-Bresse, à l’initiative d’Arnaud Montebourg que je remercie chaleureusement, et de pouvoir y saluer Pierre Joxe, initiateur il y a longtemps de ce rendez vous, Christophe Sirugue, Didier Mathus, Benoît Hamon, Christian Paul, Marie France Müller, Rémy Chaintron, Louis Meixandeau et vous tous bien entendu.
J’en suis heureux car j’aime la Bourgogne, et cette terre de Saône et Loire si chères à François Mitterrand, et parce que je prends l’invitation d’Arnaud Montebourg pour un hommage à ma liberté de pensée et de parole, ce qui m’honore, et va me permettre de vous parler avec franchise. D’ailleurs quand Arnaud m’a appelé je lui ai rappelé que j’avais voté oui et que je n’étais pas membre du NPS. Il m’a répondu qu’à Frangy, il n’y avait pas d’exclusive, que seules les idées comptaient et que justement, les miennes pouvaient présenter, en ce moment, un certain intérêt pour tous les courants. J’ai été sensible à ce ton.
Membre du Parti Socialiste depuis trente deux ans, je suis attaché à sa vie démocratique. Collaborateur de François Mitterrand pendant vingt deux ans, dont quatorze à l’Elysée, chef de la diplomatie française pendant cinq ans dans le gouvernement de Lionel Jospin, que j’ai plaisir à citer ici, je me suis forgé à force d’expériences vécues, ma propre analyse des réalités internationales et européennes, des rapports de force et de la façon, pour nous, d’avancer. Elle ne coïncide pas toujours avec les conceptions établies. C’est dans cet esprit que je suis venu vous parler de l’Europe, de la situation dans laquelle elle, et nous, nous trouvons et de ce que nous devons faire maintenant.
Chacun de vous, j’en suis sûr, voudrait que l’Europe soit forte, riche, juste, exemplaire et utile au monde, un monde si troublé et si inquiétant. Il n’est que de lire les contributions générales ou thématiques déposées en vue du Congrès du Mans, pour apercevoir l’Europe idéale que les socialistes, qu’ils aient voté non ou qu’ils aient voté oui, appellent de leurs vœux. Mais, justement, il ne suffit pas de le souhaiter ardemment pour que les 450 millions d’Européens et les vingt cinq Etats nations qui composent l’Union pour le moment se mettent d’accord sur ses objectifs, ses modes de fonctionnement et que ceux-ci répondent à nos attentes.
1- Où en est l’Europe aujourd’hui?
Il faut d’abord savoir comment nous interprétons les non français et néerlandais. Comme un accident de parcours? Ou comme la preuve de la nécessité d’une remise en cause en profondeur du processus européen? Dans la première hypothèse on considèrera que le Traité constitutionnel – car il ne s’est jamais agi d’une Constitution – n’a été victime que de contextes de politique intérieure défavorable en France et aux Pays Bas et de manœuvres politiciennes et on se bornera à attendre une conjoncture plus clémente pour reprendre à l’identique la démarche européenne.
Ou alors, on considère, et c’est mon cas, que ces non ont exprimé aussi, en plus d’un mécontentement interne évident, le refus d’une certaine façon de construire l’Europe et de l’orientation de celle-ci. Et dans ce cas il faut être prêt à des remises en cause.
2- A vrai dire, mes chers amis, ce résultat ne m’a guère surpris, même si je ne l’ai pas souhaité. Il me semblait depuis les lendemains de Maastricht que ce que j’appelle les «élites intégrationnistes» avaient, sans doute sans s’en rendre compte, contribué à ce que se creuse un fossé de plus en plus profond entre elles et la population que je dirai «normale». D’abord en poussant à, ou en laissant s’accomplir, un élargissement de 12 à 15 Etats membres puis de 15 à 25, en attendant 27 et plus, adhésions toutes historiquement légitimes mais mal expliquées et politiquement mal préparées, et dont l’addition a fortement perturbé notre opinion, élargissant l’Union à tel point que les Français, même sincèrement européens, ne s’y retrouvent plus.
D’autre part en alimentant une fuite en avant institutionnelle fébrile pour passer, en une dizaine d’années du Traité de Maastricht, au Traité d’Amsterdam, puis de Nice, et au Traité constitutionnel, en répétant que les Etats nations étaient caducs, incapables ou déconsidérés, ce qui a heurté des sentiments profonds. Même si ces surenchères étaient inspirées par de bons sentiments, cette perpétuelle incertitude sur le cadre géographique et institutionnel a fini, selon moi, par devenir anxiogène et angoissant. Cela s’ajoutait aux attentes sociales déçues car là où les électeurs de gauche espéraient la consolidation par l’Union européenne des protections sociales à la française, ils ont vu au contraire s’étendre à l’Europe la vague mondiale de dérégulation. Tout cela devait un jour ou l’autre se traduire électoralement. Comme je l’ai écrit dans un article récent les passagers du train européen, ayant eu le sentiment que la locomotive devenait folle, ont décroché les wagons. Ils ne sont devenus pour autant ni xénophobes, ni populistes – à supposer que l’on sache définir ce mot – ni anti européens.
Pour en sortir, il faut avant toute chose calmer ces sources d’inquiétudes, clarifier et stabiliser le cadre européen avant de reformuler notre projet pour l’Europe.
3- Ce n’est malheureusement pas ce que préconisent la plupart des contributions, pour le Congrès du Mans.
Que demandent-elles? Une «nouvelle convention», un «parlement constituant», une «vraie constituante» pour rédiger la «constitution d’une Europe», bien sûr «fédérale et démocratique». Toujours plus d’Europe. Un groupe restreint, noyau dur de quelques pays ou «République européenne». Une commission transformée en gouvernement responsable devant le Parlement européen. Un traité fiscal et social (sur notre ligne, bien sûr). La mise en œuvre des parties I et II du Traité constitutionnel. Un Parti Socialiste Européen renforcé ou même transnational. Mais aucun de ces textes ne nous explique comment ces thèses européistes ambitieuses pour l’essentiel déjà défendues et minoritaires pendant la convention et avant le référendum, comment ces projets ont plus de chances d’être entendues et de convaincre après la victoire des non qu’avant, qu’il s’agisse des partenaires du Parti Socialiste au sein de l’évanescent Parti Socialiste Européen, ou de ceux de la France au sein de l’Union.
Il y a d’ailleurs depuis quelques années une sorte de mystère socialiste à propos de l’Europe.
Pourquoi les socialistes français sont-ils à ce point impatients de faire progresser l’intégration politique européenne, qui les minoriserait au sein des 25 sur tous les sujets qu’ils jugent importants?
Pourquoi pensent ils que des renégociations donneraient des résultats plus proches de leurs conceptions, et pas moins proches, alors que le rapport de force idéologique et politique en Europe ne leur est pas favorable?
Parce que, je vous le dis, avec gravité et préoccupation, et sans vouloir blesser personne, le renforcement de l’intégration européenne dans sa forme maximaliste, «l’européisme», est, pour certains d’entre nous, devenu une idéologie de substitution, un dogme qui ne souffre plus aucune contestation quels que soient les faits. C’est cela qui nous empêche de voir les positions réelles et constantes des autres Européens, même quand il y avait au sein de l’Union douze gouvernements socio-démocrates. C’est cela qui nous a amené à tout attendre de l’Europe, dans tous les domaines, Europe supposée être le seul niveau adéquat, avoir seule la taille, la masse critique pour agir, cette Europe de nos mythes,Europe sociale, Europe puissance, etc … Ah la magie des mots! C’est un point très important. Nous nous sommes auto persuadés que nos problèmes ne pouvaient plus être résolus qu’à l’échelle européenne. Certains le pensent par analogie avec les grandes masses chinoises, indiennes, russes ou américaines, en confondant agrégats économiques et équation politique. D’autres par détestation des Etats nations historiques, par volonté d’être modernes, ouverts, pas chauvins ni repliés sur soi, etc .. Tout cela est peut être intentionné mais repose sur une confusion. D’où une attente et une dépendance, qui nous ont déresponsabilisés au niveau national, et alimentent le risque de l’incantation protestataire.
4- En réalité, que va-t-il se passer?
Au risque de décevoir, voilà mon pronostic. Le processus de ratification est de facto arrêté, le projet de Traité constitutionnel étant gelé ou abandonné. A supposer que les gouvernements, échaudés, se relancent dans une renégociation d’ensemble, cela ne se produira pas avant longtemps, en tout cas pas avant 2007 au plus tôt. Et si cette renégociation a lieu, rien ne dit qu’elle ira dans notre sens car il y a d’autres demandes en sens inverse d’autres pays.
Une application partielle de tel ou tel élément intéressant du Traité constitutionnel est moins impensable, mais reste improbable.
En pratique, l’Union va continuer de fonctionner selon les règles du Traité de Nice, en tout cas jusqu’à ce que l’Union atteigne 27 membres. Si on veut élargir au-delà, alors il faudra de gré ou de force renégocier, puisque Nice ne le prévoît pas.
L’éventuel dépassement du traité de Nice dépendra donc des propositions du Président élu en France en 2007, de leur impact sur nos partenaires mais aussi de la disponibilité de nos partenaires européens pour une reprise des ratifications ou une renégociation à ce moment là, et enfin d’une éventuelle poussée pour de nouveaux élargissements.
5- En attendant, il faut traiter les raisons de fond qui ont nourri et grossi ce malaise européen, puis reformuler notre projet pour l’Europe de façon réaliste.
Pour combler le désastreux fossé actuel élites/populations, une double clarification géographique et politique préalable est nécessaire.
En premier lieu, l’Europe ne peut pas être uniquement une idée et un programme politiques, extensibles à l’infini à d’autres pays démocratiques, où qu’ils se situent. Si on veut qu’elle reste intelligible à ses peuples, elle devra être la synthèse de sa géographie, de ses territoires, de son histoire et de ses valeurs politiques. Ayons le courage de le proclamer: l’Union Européenne aura des limites géographiques autour desquelles elles se stabilisera. C’est normal. Un jour l’Union sera définitivement constituée. Au-delà, ses relations avec ses voisins ne se ramèneront pas au tout ou rien, c’est-à-dire à l’adhésion ou non, mais prendra la forme d’une gamme très variée de coopérations plus ou moins étroites.
Ensuite, la question de l’intégration politique. On se réfère dans les discours, à l’»Union sans cesse plus étroite» des peuples européens inscrite au fronton du Traité de Rome. Mais Union jusqu’où? Il est évident que les peuples d’Europe ne fusionneront jamais en un seul peuple. Même si certains utopistes y ont rêvé, aucun de ces peuples ne le souhaite. Ce n’est ni possible ni souhaitable. Ce que nous faisons est original, et n’a rien à voir avec la fédération de treize colonies britanniques homogènes d’Amérique du Nord au XVIIIème, unies par leur commune hostilité à la Couronne britannique.
Autant le dire: l’intégration politique des vingt cinq Etats membres se stabilisera quelque part. L’expérience difficile des dix années de négociations institutionnelles que nous venons de connaître amène à penser que l’intégration se situera entre le Traité de Nice et le Traité constitutionnel. Il n’y aura ni unanimité, ni majorité, ni même minorité agissante suffisante en Europe pour aller beaucoup plus loin. Ce qui n’empêchera pas quelques ajustements pour communautariser telle ou telle politique nouvelle ou, au contraire, pour restituer aux Etats nations, dans un esprit de bonne subsidiarité, telle ou telle compétence, s’ajoutant à celles qu’ils garderont de toute façon comme par exemple l’essentiel du social. Mais cessons de dire en permanence que nous ne sommes qu’à une étape.
La vérité est que nous bâtissons une fédération d’Etats nations, ce qui n’est pas une mince ambition. Chaque mot compte dans cette formule ingénieuse réaliste, juste et toujours valable de Jacques Delors. Nous ne créerons pas une fédération européenne à proprement parler dans laquelle les Etats-Unis, comme la France, seraient voués à disparaître.
Cette double clarification, géographique et institutionnelle dissipera la désagréable impression d’instabilité et de fuite en avant et permettra aux peuples européens déboussolés de commencer à se réapproprier le projet européen commun. C’est un préalable.
Si l’Union européenne n’a pas vocation à absorber à terme toutes les compétences nationales, alors il faut arrêter, chers camarades, de tout attendre, ou de tout redouter, selon les points de vue, de l’Europe, de tout miser sur elle ou de la charger de tous les maux! Ce n’est pas moi, qui y ai consacré tant d’années, qui vais contester la nécessité d’un cadre, de règles, de valeurs et de politiques communes aux peuples européens. Mais il y a eu excès, sous prétexte que le cadre national était ringard et dépassé alors qu’il est évident qu’il gardera une importance majeure, dans la vie démocratique et la vie sociale pour commencer. C’est une question d’équilibre.
Savez vous par exemple qu’aux Etats-Unis, vraie fédération d’Etats qu’on ne peut comparer sérieusement pour l’ancienneté et l’identité aux vieux Etats d’Europe, les autorités de Washington laissent dans bien des domaines plus d’autonomie aux simples états fédérés que certaines directives de la commission européenne n’en laissent aux Etats membres! Il y a eu des abus de centralisation européenne qu’il faudra corriger.
Fixer des limites géographiques à l’Union, stabiliser en son sein le degré d’intégration politique, ne plus tout attendre de l’Europe, retrouver le sens de nos responsabilités propres et notre marge de manœuvre: tout cela dont la nécessité devient éclatante est affaire de bon sens. Si ces clarifications ne sont pas faites à temps, nous allons regonfler artificiellement les mêmes illusions, nous livrer à des surenchères, afficher des postures résolues et tout cela s’effondrera à nouveau après 2007 quand il faudra bien constater que nous ne sommes pas suivis.
6- Que faire alors dans les temps qui viennent, et selon quel calendrier?
Il faut distinguer d’ici à 2007, après 2007 si notre candidat, comme je l’espère, l’emporte, et les élections pour le Parlement européen en 2009. Nous disposons d’un peu moins de deux ans pour confronter notre analyse de l’enlisement récent du processus institutionnel et nos idées pour l’avenir avec celle de nos partenaires. Et quand je dis partenaires je ne pense pas seulement, bien sûr, aux autres partis membres du Parti Socialiste Européen, qui sont loin de partager toutes nos options, mais aussi aux partenaires de la France en général et à toutes les forces politiques qui seront vraisemblablement au pouvoir en 2007 dans les autres Etats membres. N’élaborons pas un projet franco-français qui n’ait aucune chance d’être soutenu par d’autres Européens! Non pas que je sous estime notre capacité d’influence qui va bien au-delà de nos 9% de droits de vote au Conseil selon Nice, de notre commissaire unique, de nos 78 parlementaires. Mais je me méfie de notre propension à nous mettre d’accord au niveau du Parti Socialiste, ou de la gauche, ou même pays c’est-à-dire «entre nous», sur des revendications et des exigences fermes, sans tenir compte des partenaires et du monde extérieur. Ce n’est pas un gage de succès!
Mettons donc à profit cette période pour mieux étudier les positions de nos partenaires indispensables, mieux comprendre leurs désaccords avec nous, mieux déterminer les sujets sur lesquelles nous pouvons les faire bouger et ceux sur lesquels nous devrons évoluer nous-mêmes, trouver les bons arguments et bâtir les coalitions appropriées. Ce devrait être la tâche des douze prochains mois.
Dans cette phase, je recommande de ne pas tout concentrer sur les réformes institutionnelles. Notre famille politique attend toujours beaucoup des textes solennels, constitution, préambules, chartes, lois, et des institutions. Mais dans la situation où nous sommes, il me paraît plus urgent de formuler des projets concrets que d’imaginer des institutions idéales.
Bien sûr il faudra avoir une position institutionnelle prête dans l’hypothèse où une renégociation s’ouvrirait entre 2007 et 2009, ou pour les élections parlementaires de 2009. Positions qui tiendraient en un traité beaucoup plus simple et bref sur le fonctionnement des institutions européennes, sans prédétermination idéologique des politiques menées, en rompant clairement avec tout fédéralisme d’intégration et de fusion, mais en acceptant en revanche le fédéralisme comme méthode de répartition plus claire et plus précise des compétences dans un esprit de subsidiarité. Dans notre contribution, Henri Nallet, Patrick Malivet et moi avons expliqué cette distinction entre ces deux formes de fédéralisme.
Pour compléter cette réflexion par des propositions opérationnelles j’évoquerai pour rapidement finir la zone euro, les politiques communes actuelles, les éventuelles politiques nouvelles, la relance des projets concrets.
Ne poursuivons pas trop de lièvres en même temps. Plutôt que de rêver à un introuvable noyau dur, cet hypothétique petit groupe central uni par des liens très étroits dont personne n’arrive à cerner les contours, voyons comment renforcer la zone euro. Réfléchissons à comment faire converger, malgré les réticences connues de plusieurs autres membres, les politiques économiques et sociales qui sont menées dans la zone euro pour les rendre plus dynamique et articuler, à notre façon, adaptation et croissance économique, flexibilité et protection sociale. Cela devrait être notre priorité.
Ensuite examinons les politiques communes, celles que nous menons avec tous les Etats membres et dont la Commission est la gardienne. Nous aurons de toute façon besoin de garder une PAC certes modernisée, et une politique d’aménagement du territoire européen, celle des fonds structurels. Pour cela, que faut-il garder, transformer, ou abandonner des actuelles politiques? C’est à discuter. Concernant la PAC, tout en nous montrant généreux et ouverts, je pense que cela serait absurde de faire disparaître la paysannerie européenne, tout à fait capable de concilier savoir faire, expérience et modernité, au seul profit de la paysannerie des pays émergents.
Quelles politiques communes supplémentaires avons-nous besoin? Dans quels domaines cela sera-t-il plus efficace d’agir à 25 et selon les règles communautaires? Sur le social il faut des règles européennes générales et pas n’importe lesquelles, et des garde-fous. Faut il aller beaucoup plus loin, la fameuse «Europe sociale»? Je ne le crois pas car le dialogue et l’action sociale sont propres à chaque pays. De plus nous, socialistes français, devrions y regarder à deux fois et penser à Gribouille, car nos conceptions sociales sont minoritaires et la négociation d’un Traité social, s’il devait y en avoir un, nous confronterait à bien des dilemmes. En fait, le progrès social continuera de dépendre pour l’essentiel de la politique menée dans chaque pays.
La question du degré d’intégration optimum ou de coordination des politiques de sécurité, de justice, de police, de lutte contre le terrorisme se pose évidemment, comme par ailleurs celle de l’harmonisation des règles migratoires; si disparates aujourd’hui. Cela mériterait de plus amples développements.
Mais pour qu’en Europe on aime à nouveau l’avenir nous devrions penser à des politiques vraiment nouvelles et incontestables, par exemple, pour la recherche et la technologie. Ainsi, il va devenir vital, au sens propre du terme, de soumettre les secteurs de l’énergie, des transports, de l’agriculture, de l’industrie à des règles écologiques strictes. L’Europe ne devrait elle pas se fixer comme objectif de devenir dans ces domaines le continent exemplaire, celui où s’opèrerait la mutation écologique de l’économie et ou s’inventerait une combinaison heureuse entre la croissance, la préservation de la vie sur la planète, et l’emploi? Tout cela, bien sûr, suppose une révolution mentale mais aussi un budget adéquat. Avançons des idées. Voyons ce qu’en pensent nos partenaires.
Cela m’amène aux projets concrets, dont le champ est immense. A leur égard la disponibilité des opinions est trop grande. Personne n’est contre Airbus, contre ITER, ou contre ERASMUS. Ces projets concrets seront conçus en fonction des besoins, sans dogmatisme réglementaire, ni souci de démontrer des théories, projets communautaires ou intergouvernementaux, globaux ou par petits groupes géographiques ou thématiques, utilisant ou non la procédure des coopérations renforcées. Jacques Delors avait proposé en 1994 des grandes infrastructures utiles pour toute l’Europe. Dans sa contribution, Gérard Collomb propose une liste de projets. Réfléchissons y.
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Chers amis, chers camarades, comme cela serait simple si nous pouvions modeler la réalité européenne et mondiale à coup de slogans, Europe sociale, Europe puissance, Europe fédérale, etc…! Mais ce n’est pas le cas. Dans l’Union à 25, nous ne sommes pas seuls à décider et la réalité européenne est là. Je vous le dis, nous aurons plus d’influence sur les événements, nous pèserons plus après 2007, en abandonnant quelques unes de nos chimères. Nous serons plus crédibles si nous repensons un projet européen ambitieux et réaliste qui intègre les réactions de nos partenaires à nos futures propositions, réactions que nous allons recueillir en 2005-2006, et en esquissant des alliances progressistes majoritaires pour 2007 et après.
Il ne s’agit pas d’abandonner nos ambitions, voire nos rêves, pour l’Europe mais de leur redonner une assise et de redéfinir une méthode. Il y a beaucoup à faire encore en Europe et pour l’Europe pour que les Européens vivent mieux et que le reste du monde en bénéficie.
Je cherche aujourd’hui avec vous à être utile à tous ceux, qu’ils aient voté oui ou qu’ils aient voté non, qui se demandent avant notre congrès et avant les prochaines présidentielles comment reformuler notre ambition d’une France forte dans une Europe forte. Et bien il faut articuler les deux. Ce n’est pas mon rôle aujourd’hui, ni le lieu, de parler de ce que nous devons proposer à nos compatriotes pour la France en 2007. Je veux seulement vous dire pour conclure que sans la clarification de notre politique européenne, nous n’arriverons pas à proposer aux électeurs français un programme convaincant pour l’échéance qui doit mobiliser notre énergie: celle de mai 2007.