Évocations personnelles
Ma famille était très favorable à la décolonisation et mon père a joué un rôle discret mais très important dans le processus pacifique d’accession du Maroc à l’indépendance au début des années cinquante. Il n’empêche que j’ai été imprégné dans mon enfance par le mythe du Sahara. Un Sahara « français » bien sûr, d’avant les indépendances. Mais je n’y voyais aucune contradiction, pas plus que les amis maghrébins ou africains de mes parents. Cela ne suffit pas à faire de moi un membre légitime de l’amicale des Sahariens, mais la fascination est là !
Né en 1947, j’avais lu ou entendu parler dans ma famille du livre de Pierre Benoît, « Atlantide » (1919), de « l’Escadron Blanc » de Joseph Peyré (1931), du « Paris-Tombouctou » de Paul Morand (1928). « La croisière noire », la croisière Citroën, d’Haardt-Audoin Dubreuil, en 1925, en autochenilles de Colomb Béchar au Congo Belge, était restée fameuse quand j’avais dix ans. Mon père m’avait emmené un soir aux Champs Élysées à une soirée où était célébrée la mise en exploitation du premier puit de pétrole d’Hassi Messaoud. Bousculé, j’avais marché sur les pieds du Maréchal Juin. On nous avait donné une petite fiole de pétrole brut. Un de mes oncles, le capitaine Louis Camper, avait été sous-préfet de Djanet, « Préfecture des Oasis ». Cela faisait rêver. Et bien sûr j’avais aimé le désert qui servait de cadre à plusieurs aventures de Tintin. « Au pays de l’Or Noir » (en fait en Arabie) ; « Le Crabe aux pinces d’or ».
C’est au Maroc, à 9 ans ½, que j’avais entendu parler pour la première fois du Père de Foucauld, dans l’ermitage dans le Hoggar, à l’Assekram, par un de ses disciples, le père Peyriguère, devenu ermite à Aïn Leuh, près d’Azrou, dans le Moyen-Atlas marocain. Bien plus tard, Mahjoubi Aherdane, grand leader berbère du Maroc, très proche ami de mon père, me raconterait ses rencontres avec le grand Amenokal du Hoggar, qui illustrait le lien Berbères-Touaregs. Mon plus proche ami m’avait fait rêver en me racontant sa virée dans le Mzab. Et un de mes frères, Francis, se faisait de l’argent de poche en convoyant des Peugeot jusqu’au Niger. Mais surtout j’avais dévoré, adoré, lu et relu l’envoutante trilogie saharienne de Roger Frison Roche publiée dans les années cinquante, qui se passe autour du Tassili dans les années vingt : « La piste oubliée », « La montagne aux écritures » (Adrar Iktebine), « Le rendez-vous d’Essendilène ».
Plus tard, durant ma vingtaine d’années au pouvoir, j’ai continué à tourner autour du Sahara, au propre et au figuré. Je me souviens ainsi de Claude Cheysson, le premier Ministre des Affaires Étrangères de François Mitterrand, parlant avec une nostalgie passionnée de ce qu’aurait pu être l’OCRS, l’Organisation Commune des Régions Sahariennes. – où il avait travaillé comme jeune administrateur -, si elle avait été lancée bien plus tôt qu’en 1957 ! Lors d’un déjeuner, le Président Mitterrand – qui avait visité Khartoum comme Ministre de la France d’Outre-Mer en 1952 – nous enchantait avec le récit de l’affrontement entre le Mahdi et le Général Kitchener en 1885 à Omdurman. J’ai été sur place en 2018. Autre conteur hors pair, l’ancien ambassadeur Georgy racontait avec son talent de troubadour la Lybie d’autrefois. En 1985, jeune conseiller, il m’avait fallu plancher sur le Tchad quand le Président Mitterrand avait expliqué à la télévision pourquoi Kadhafi devait être contenu au nord du 16è parallèle. Un ami d’un autre de mes oncles, Pierre Chigot, Bruno Daoudal, m’avait raconté les années passées auprès du Président Tombalbaye, et le Tibesti. Souvenir plus ancien, un sous-préfet, ancien de la FOM rencontré pendant mon stage de l’ENA, M. Odde, affirmait que des poissons et des crocodiles nains reprenaient vie quand, tous les 10 ou 15 ans, il pleuvait dans le désert mauritanien et que des lacs se reformaient ! Mauritanie où j’allais à Noël 1985, avec mon épouse et mes deux fils, Laurent et Julien, à Ouadane. Nous vîmes prêt de Chingetti le site où une météorite avait formé un vaste cratère, découvert en 1916. Selon les Mauritaniens, Théodore Monod y venait encore marcher chaque hiver, espérant mourir dans le désert. Ils le surveillaient avec respect. Finalement c’est à Versailles qu’il est mort le 22 décembre 2000 ! Je revins en 1997 en Mauritanie, accompagné de mon épouse, Michèle, avec le Président Chirac ; nous allâmes à Atar avec Pierre Messmer que le Président avait invité, et qui y avait commencé sa carrière coloniale. Jamais je n’ai vu autant de chameaux – des centaines !
Mais ces incursions étaient toujours périphériques au Sahara, le vrai, celui des massifs centraux ou des grands ergs. Comme quand Erik Orsenna invitait mon fils Laurent, alors adolescent, à remonter le Niger. Ou quand j’avais croisé à Nefta, l’oasis du sud tunisien, en 1986 le Président Bourguiba. Ou quand je revenais au sud de Zagora au Hamid et que j’y revoyais le célèbre panneau, avec son chameau et sa flèche →, « Tombouctou, 52 jours ». Ou quand Louis Gardel un soir chez Maurice Benassayag racontait la genèse de son livre « Fort Saganne ». Quand avec mon épouse et des amis nous avions fait escale longtemps après, en 2001, à Siwa, l’oasis à l’ouest de l’Égypte dans le désert libyen où Alexandre le Grand était venu chercher la consécration des prêtres d’Amon qui avaient eu la prudence de le reconnaître comme pharaon. Nous avions été aussi au Mali, mais pas plus au nord que le pays Dogon.
En fait, ma seule visite dans le vrai Sahara, avait été en famille à Djanet, et au Tassili des Agers, le lieu de la magique montagne aux écritures, et m’étaient revenus les noms de Beaufort, de Lignac, de Chaambi Ahmed, de Tamara, des mines du roi Salomon, du royaume oublié, des Garamantes !). Nuits dans un campement dans la direction du Ténéré. Randonnée sur le plateau du Tassili à observer les peintures rupestres. Moments inoubliables ! Plus tard, j’avais passé une nuit près des lacs d’Ubari, dans le grand erg du sud libyen. Mon épouse et moi dans une petite tente de bivouac, Edward S. dans la sienne. Mais le destin avait décidé que nous n’irions jamais ensemble à Tamanrasset, ni à l’Assekrem … Et nos amis Algériens avaient dû renoncer à la traversée Tamanrasset/Djanet, dont on se faisait une joie, convoi de 4/4 avec méchouis de gazelles. Donc pas de Hoggar ni de Tibesti. Cela me frustre encore ! En 2008, mon fils Laurent, devenu documentariste, avait dû renoncer, lui aussi, pour des raisons de sécurité, au tournage d’un film autour de Kidal sur la reconstitution d’une brigade méhariste, formée par les derniers méharistes maliens, eux-mêmes formés par les derniers méharistes français. Regrets !
Aujourd’hui, la brûlante question saharienne
Et maintenant, en 2020 ? Il n’y a plus aucun mystère saharien, mais des problèmes. Dix pays répartis sur 10 millions de km2 (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Égypte, Soudan, Tchad, Niger, Mali, Mauritanie), qui coopèrent peu, ou mal, ou pas du tout, pour des raisons politiques, d’antagonismes nationaux ou tribaux, ou par faiblesse, par incapacité, ou refus de se priver des ressources de l’économie informelle. Il y a des problèmes dans chacun de ces pays, ou entre eux: Algérie/Maroc, Lybie, Égypte/Éthiopie, et bien sûr le Sahel : le sud algérien, l’est du Sénégal, de la Mauritanie, le Mali, le Burkina, le Niger, le Nord du Nigeria, le Tchad, le nord du Cameroun, l’ouest du Soudan. La question de la Corne de l’Afrique (Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Somalie) est différente.
L’économie des pays du Sahel pays de désert ou de savane, structurellement fragile, est affectée plus sévèrement qu’avant par les changements climatiques, et les mouvements migratoires soit vers d’autres pays d’Afrique soit, pour une minorité, vers l’Europe. Cela les affaiblit en les privant des gens jeunes et dynamiques mais ils bénéficient ensuite de l’argent que ceux-ci envoient ensuite à leur famille. Le Sahara d’aujourd’hui est gangréné par des trafics fructueux, certains traditionnels, d’autres nouveaux, qui forment un système économique que les États peinent à entraver. Ceux-ci se mêlent de plus en plus à l’activité des groupes djihadistes, ou terroristes. On fait remonter cela à la chute de Kadhafi en octobre 2011, mais le SAS de Gérard de Villiers, paru un an avant, en 2010, « Féroce Guinée », décrivait déjà très bien la filière narco trafiquants /colombiens/AQMI via la Guinée Bissau. La menace, jugée imminente et crédible, de la prise de contrôle de l’ensemble du Mali par les djihadistes a conduit François Hollande, à la demande unanime des dirigeants maliens et africains de la région et du Conseil de Sécurité, à décider le 15 janvier 2013 l’Opération Serval suivie de l’opération Barkhane en 2014 et aussi l’opération Sangaris en RCA de 2013 à 2016. François Hollande a eu raison en 2013. La France s’est montrée courageuse et responsable. Mais quelle est la situation maintenant, sept ans après ? Il est évident que la France ne pourra pas, seule, de venir à bout de la menace djihadiste, qui, en plus d’un fanatisme islamiste mobilisateur, se nourrit de multiples frustrations anciennes, politiques, ethniques et économiques. Les États qu’elle a sauvés, et qu’elle aide, ne parviennent pas à résoudre leurs problèmes structurels. À commencer par le Mali. Militairement, en dépit de l’engagement, de l’aide et de la formation de la France, et de la coordination au sein du G5 Sahel, les pays concernés n’y arrivent pas seuls.
Quels scénarios envisageables ?
D’abord celui de l’enlisement 1) La France reste, quand même, efficacement soutenue par quelques armées du G5 Sahel et, un peu plus, par certains Européens. 2) Si l’enlisement est trop durable, la France finit par se retirer comme l’exige son opinion.
Les États du Sahel résistent ensuite tant bien que mal, mais en laissant de facto la zone centrale du Sahel tomber sous le contrôle d’une sorte d’État trafiquant islamiste saharien, qui est endiguée mais pas réduit.
Une sorte de Somalie s’installe qui pèse en permanence sur le fonctionnement d’une dizaine de pays.
Finalement, une expédition internationale doit être mise sur pied pour éliminer l’entité islamiste sahalienne. C’est une vraie guerre, difficile.
Autre hypothèse plus positive : la France et les États du G5 Sahel réussissent à reprendre le contrôle. Des groupes djihadistes isolés demeurent actifs mais ils sont sous pression.
Quels objectifs, à plus long terme ?
Inutile de rêver qu’une solution soit trouvée à tous les problèmes structurels des pays sahariens, ou même seulement du Sahel.
En revanche, quelques objectifs raisonnables pourraient être atteints :
Tout cela nécessite une volonté politique durable des gouvernements concernés.
Évocations personnelles
Ma famille était très favorable à la décolonisation et mon père a joué un rôle discret mais très important dans le processus pacifique d’accession du Maroc à l’indépendance au début des années cinquante. Il n’empêche que j’ai été imprégné dans mon enfance par le mythe du Sahara. Un Sahara « français » bien sûr, d’avant les indépendances. Mais je n’y voyais aucune contradiction, pas plus que les amis maghrébins ou africains de mes parents. Cela ne suffit pas à faire de moi un membre légitime de l’amicale des Sahariens, mais la fascination est là !
Né en 1947, j’avais lu ou entendu parler dans ma famille du livre de Pierre Benoît, « Atlantide » (1919), de « l’Escadron Blanc » de Joseph Peyré (1931), du « Paris-Tombouctou » de Paul Morand (1928). « La croisière noire », la croisière Citroën, d’Haardt-Audoin Dubreuil, en 1925, en autochenilles de Colomb Béchar au Congo Belge, était restée fameuse quand j’avais dix ans. Mon père m’avait emmené un soir aux Champs Élysées à une soirée où était célébrée la mise en exploitation du premier puit de pétrole d’Hassi Messaoud. Bousculé, j’avais marché sur les pieds du Maréchal Juin. On nous avait donné une petite fiole de pétrole brut. Un de mes oncles, le capitaine Louis Camper, avait été sous-préfet de Djanet, « Préfecture des Oasis ». Cela faisait rêver. Et bien sûr j’avais aimé le désert qui servait de cadre à plusieurs aventures de Tintin. « Au pays de l’Or Noir » (en fait en Arabie) ; « Le Crabe aux pinces d’or ».
C’est au Maroc, à 9 ans ½, que j’avais entendu parler pour la première fois du Père de Foucauld, dans l’ermitage dans le Hoggar, à l’Assekram, par un de ses disciples, le père Peyriguère, devenu ermite à Aïn Leuh, près d’Azrou, dans le Moyen-Atlas marocain. Bien plus tard, Mahjoubi Aherdane, grand leader berbère du Maroc, très proche ami de mon père, me raconterait ses rencontres avec le grand Amenokal du Hoggar, qui illustrait le lien Berbères-Touaregs. Mon plus proche ami m’avait fait rêver en me racontant sa virée dans le Mzab. Et un de mes frères, Francis, se faisait de l’argent de poche en convoyant des Peugeot jusqu’au Niger. Mais surtout j’avais dévoré, adoré, lu et relu l’envoutante trilogie saharienne de Roger Frison Roche publiée dans les années cinquante, qui se passe autour du Tassili dans les années vingt : « La piste oubliée », « La montagne aux écritures » (Adrar Iktebine), « Le rendez-vous d’Essendilène ».
Plus tard, durant ma vingtaine d’années au pouvoir, j’ai continué à tourner autour du Sahara, au propre et au figuré. Je me souviens ainsi de Claude Cheysson, le premier Ministre des Affaires Étrangères de François Mitterrand, parlant avec une nostalgie passionnée de ce qu’aurait pu être l’OCRS, l’Organisation Commune des Régions Sahariennes. – où il avait travaillé comme jeune administrateur -, si elle avait été lancée bien plus tôt qu’en 1957 ! Lors d’un déjeuner, le Président Mitterrand – qui avait visité Khartoum comme Ministre de la France d’Outre-Mer en 1952 – nous enchantait avec le récit de l’affrontement entre le Mahdi et le Général Kitchener en 1885 à Omdurman. J’ai été sur place en 2018. Autre conteur hors pair, l’ancien ambassadeur Georgy racontait avec son talent de troubadour la Lybie d’autrefois. En 1985, jeune conseiller, il m’avait fallu plancher sur le Tchad quand le Président Mitterrand avait expliqué à la télévision pourquoi Kadhafi devait être contenu au nord du 16è parallèle. Un ami d’un autre de mes oncles, Pierre Chigot, Bruno Daoudal, m’avait raconté les années passées auprès du Président Tombalbaye, et le Tibesti. Souvenir plus ancien, un sous-préfet, ancien de la FOM rencontré pendant mon stage de l’ENA, M. Odde, affirmait que des poissons et des crocodiles nains reprenaient vie quand, tous les 10 ou 15 ans, il pleuvait dans le désert mauritanien et que des lacs se reformaient ! Mauritanie où j’allais à Noël 1985, avec mon épouse et mes deux fils, Laurent et Julien, à Ouadane. Nous vîmes prêt de Chingetti le site où une météorite avait formé un vaste cratère, découvert en 1916. Selon les Mauritaniens, Théodore Monod y venait encore marcher chaque hiver, espérant mourir dans le désert. Ils le surveillaient avec respect. Finalement c’est à Versailles qu’il est mort le 22 décembre 2000 ! Je revins en 1997 en Mauritanie, accompagné de mon épouse, Michèle, avec le Président Chirac ; nous allâmes à Atar avec Pierre Messmer que le Président avait invité, et qui y avait commencé sa carrière coloniale. Jamais je n’ai vu autant de chameaux – des centaines !
Mais ces incursions étaient toujours périphériques au Sahara, le vrai, celui des massifs centraux ou des grands ergs. Comme quand Erik Orsenna invitait mon fils Laurent, alors adolescent, à remonter le Niger. Ou quand j’avais croisé à Nefta, l’oasis du sud tunisien, en 1986 le Président Bourguiba. Ou quand je revenais au sud de Zagora au Hamid et que j’y revoyais le célèbre panneau, avec son chameau et sa flèche →, « Tombouctou, 52 jours ». Ou quand Louis Gardel un soir chez Maurice Benassayag racontait la genèse de son livre « Fort Saganne ». Quand avec mon épouse et des amis nous avions fait escale longtemps après, en 2001, à Siwa, l’oasis à l’ouest de l’Égypte dans le désert libyen où Alexandre le Grand était venu chercher la consécration des prêtres d’Amon qui avaient eu la prudence de le reconnaître comme pharaon. Nous avions été aussi au Mali, mais pas plus au nord que le pays Dogon.
En fait, ma seule visite dans le vrai Sahara, avait été en famille à Djanet, et au Tassili des Agers, le lieu de la magique montagne aux écritures, et m’étaient revenus les noms de Beaufort, de Lignac, de Chaambi Ahmed, de Tamara, des mines du roi Salomon, du royaume oublié, des Garamantes !). Nuits dans un campement dans la direction du Ténéré. Randonnée sur le plateau du Tassili à observer les peintures rupestres. Moments inoubliables ! Plus tard, j’avais passé une nuit près des lacs d’Ubari, dans le grand erg du sud libyen. Mon épouse et moi dans une petite tente de bivouac, Edward S. dans la sienne. Mais le destin avait décidé que nous n’irions jamais ensemble à Tamanrasset, ni à l’Assekrem … Et nos amis Algériens avaient dû renoncer à la traversée Tamanrasset/Djanet, dont on se faisait une joie, convoi de 4/4 avec méchouis de gazelles. Donc pas de Hoggar ni de Tibesti. Cela me frustre encore ! En 2008, mon fils Laurent, devenu documentariste, avait dû renoncer, lui aussi, pour des raisons de sécurité, au tournage d’un film autour de Kidal sur la reconstitution d’une brigade méhariste, formée par les derniers méharistes maliens, eux-mêmes formés par les derniers méharistes français. Regrets !
Aujourd’hui, la brûlante question saharienne
Et maintenant, en 2020 ? Il n’y a plus aucun mystère saharien, mais des problèmes. Dix pays répartis sur 10 millions de km2 (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Égypte, Soudan, Tchad, Niger, Mali, Mauritanie), qui coopèrent peu, ou mal, ou pas du tout, pour des raisons politiques, d’antagonismes nationaux ou tribaux, ou par faiblesse, par incapacité, ou refus de se priver des ressources de l’économie informelle. Il y a des problèmes dans chacun de ces pays, ou entre eux: Algérie/Maroc, Lybie, Égypte/Éthiopie, et bien sûr le Sahel : le sud algérien, l’est du Sénégal, de la Mauritanie, le Mali, le Burkina, le Niger, le Nord du Nigeria, le Tchad, le nord du Cameroun, l’ouest du Soudan. La question de la Corne de l’Afrique (Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Somalie) est différente.
L’économie des pays du Sahel pays de désert ou de savane, structurellement fragile, est affectée plus sévèrement qu’avant par les changements climatiques, et les mouvements migratoires soit vers d’autres pays d’Afrique soit, pour une minorité, vers l’Europe. Cela les affaiblit en les privant des gens jeunes et dynamiques mais ils bénéficient ensuite de l’argent que ceux-ci envoient ensuite à leur famille. Le Sahara d’aujourd’hui est gangréné par des trafics fructueux, certains traditionnels, d’autres nouveaux, qui forment un système économique que les États peinent à entraver. Ceux-ci se mêlent de plus en plus à l’activité des groupes djihadistes, ou terroristes. On fait remonter cela à la chute de Kadhafi en octobre 2011, mais le SAS de Gérard de Villiers, paru un an avant, en 2010, « Féroce Guinée », décrivait déjà très bien la filière narco trafiquants /colombiens/AQMI via la Guinée Bissau. La menace, jugée imminente et crédible, de la prise de contrôle de l’ensemble du Mali par les djihadistes a conduit François Hollande, à la demande unanime des dirigeants maliens et africains de la région et du Conseil de Sécurité, à décider le 15 janvier 2013 l’Opération Serval suivie de l’opération Barkhane en 2014 et aussi l’opération Sangaris en RCA de 2013 à 2016. François Hollande a eu raison en 2013. La France s’est montrée courageuse et responsable. Mais quelle est la situation maintenant, sept ans après ? Il est évident que la France ne pourra pas, seule, de venir à bout de la menace djihadiste, qui, en plus d’un fanatisme islamiste mobilisateur, se nourrit de multiples frustrations anciennes, politiques, ethniques et économiques. Les États qu’elle a sauvés, et qu’elle aide, ne parviennent pas à résoudre leurs problèmes structurels. À commencer par le Mali. Militairement, en dépit de l’engagement, de l’aide et de la formation de la France, et de la coordination au sein du G5 Sahel, les pays concernés n’y arrivent pas seuls.
Quels scénarios envisageables ?
D’abord celui de l’enlisement 1) La France reste, quand même, efficacement soutenue par quelques armées du G5 Sahel et, un peu plus, par certains Européens. 2) Si l’enlisement est trop durable, la France finit par se retirer comme l’exige son opinion.
Les États du Sahel résistent ensuite tant bien que mal, mais en laissant de facto la zone centrale du Sahel tomber sous le contrôle d’une sorte d’État trafiquant islamiste saharien, qui est endiguée mais pas réduit.
Une sorte de Somalie s’installe qui pèse en permanence sur le fonctionnement d’une dizaine de pays.
Finalement, une expédition internationale doit être mise sur pied pour éliminer l’entité islamiste sahalienne. C’est une vraie guerre, difficile.
Autre hypothèse plus positive : la France et les États du G5 Sahel réussissent à reprendre le contrôle. Des groupes djihadistes isolés demeurent actifs mais ils sont sous pression.
Quels objectifs, à plus long terme ?
Inutile de rêver qu’une solution soit trouvée à tous les problèmes structurels des pays sahariens, ou même seulement du Sahel.
En revanche, quelques objectifs raisonnables pourraient être atteints :
Tout cela nécessite une volonté politique durable des gouvernements concernés.