La Vie : Vous avez qualifié «d’historique» la résolution 1973 de l’ONU, sur laquelle s’est fondée l’intervention de l’Otan en Libye. Pourquoi?
Hubert Védrine : Parce que c’est la première résolution qui se réfère directement à une notion juridique nouvelle la «responsabilité de protéger». Ceci en lien avec le fameux chapitre 7 de la charte de l’ONU qui encadre «l’emploi légitime de la force». Cette avancée conceptuelle date, en fait, de l’adoption en septembre 2005 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, d’un texte sur «la responsabilité de protéger» des États vis à vis de leur population. Cela a permis de dépasser le blocage autour du «droit d’ingérence», une notion très franco-française, qui a toujours été très contestée par les pays du Sud. Ils le vivaient comme une vision très néocoloniale, occidentale.
Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, a voulu sortir de ce piège en mettant au point une approche qui ne soit pas contestable. Il a retourné l’approche : au lieu de dire «nous avons le droit de nous ingérer dans vos affaires» ce sont les autorités d’un pays qui n’ont désormais plus le droit de ne pas porter assistance à leur population contre le génocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique.
– Faut-il encore que les conditions politiques soient réunies pour son adoption…
C’était le cas dans le dossier libyen. D’abord, parce ce sont les insurgés qui ont fait appel à l’aide extérieure, que le Conseil de Coopération des États arabes du Golfe a soutenu ce point de vue et que, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe, a pris position pour décréter «une zone d’exclusion aérienne». C’est pour l’ensemble de ces raisons que la Russie et la Chine n’ont pas osé opposer leur véto à la résolution 1973 de l’ONU.
– Mais avec les livraisons d’armes aux insurgés ou encore le bombardement du QG de Kadhafi, certains ont mis en cause le dévoiement par l’OTAN du mandat de l’ONU, parlant de «cobelligérance»
Même si ce questionnement est légitime, je juge ces critiques excessives. La responsabilité de «protéger les populations» doit s’adapter à la réalité du terrain. Comment pouvait-on agir là-bas efficacement sans neutraliser le système militaire de Kadhafi? Si avec courage, Nicolas Sarkozy et David Cameron n’avaient pas engagé leur pays auprès de l’Otan, Kadhafi, qui avait menacé de «rivière de sang» la population de Benghazi, aurait pu se présenter comme «le héros» qui aurait mis fin aux révolutions arabes, déstabilisant ainsi tous les processus démocratiques en cours, notamment en Égypte et en Tunisie.
– Ce qui s’est passé en Libye est-il transposable en Syrie?
Je ne le crois pas car, pour le moment, les conditions politiques à l’application de «la responsabilité de protéger» ne sont pas réunies. Malgré la répression dont ils sont victimes, les opposants syriens ont dit qu’ils étaient opposés à toute internationalisation du conflit et la Ligue arabe n’a lancé aucun appel en ce sens. Les neuf voix nécessaires au vote du conseil de sécurité sont donc loin de pouvoir être réunies et, en plus, la Chine et la Russie ont déjà dit qu’ils opposeraient leur droit de veto. Il faut éviter de faire une lecture simplifiée et idéaliste de situations complexes.
Justement en Libye, le danger islamiste n’est-il pas sous-estimé?
Je ne connais pas de méthode qui permette de passer brusquement d’un système anachronique répressif à une démocratie apaisée. La démocratisation c’est un long processus chaotique. La réunion de Paris de cette semaine, en aidant la reconstruction du pays, peut entraîner de nombreux Libyens dans la bonne direction.
La Vie : Vous avez qualifié «d’historique» la résolution 1973 de l’ONU, sur laquelle s’est fondée l’intervention de l’Otan en Libye. Pourquoi?
Hubert Védrine : Parce que c’est la première résolution qui se réfère directement à une notion juridique nouvelle la «responsabilité de protéger». Ceci en lien avec le fameux chapitre 7 de la charte de l’ONU qui encadre «l’emploi légitime de la force». Cette avancée conceptuelle date, en fait, de l’adoption en septembre 2005 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, d’un texte sur «la responsabilité de protéger» des États vis à vis de leur population. Cela a permis de dépasser le blocage autour du «droit d’ingérence», une notion très franco-française, qui a toujours été très contestée par les pays du Sud. Ils le vivaient comme une vision très néocoloniale, occidentale.
Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, a voulu sortir de ce piège en mettant au point une approche qui ne soit pas contestable. Il a retourné l’approche : au lieu de dire «nous avons le droit de nous ingérer dans vos affaires» ce sont les autorités d’un pays qui n’ont désormais plus le droit de ne pas porter assistance à leur population contre le génocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique.
– Faut-il encore que les conditions politiques soient réunies pour son adoption…
C’était le cas dans le dossier libyen. D’abord, parce ce sont les insurgés qui ont fait appel à l’aide extérieure, que le Conseil de Coopération des États arabes du Golfe a soutenu ce point de vue et que, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe, a pris position pour décréter «une zone d’exclusion aérienne». C’est pour l’ensemble de ces raisons que la Russie et la Chine n’ont pas osé opposer leur véto à la résolution 1973 de l’ONU.
– Mais avec les livraisons d’armes aux insurgés ou encore le bombardement du QG de Kadhafi, certains ont mis en cause le dévoiement par l’OTAN du mandat de l’ONU, parlant de «cobelligérance»
Même si ce questionnement est légitime, je juge ces critiques excessives. La responsabilité de «protéger les populations» doit s’adapter à la réalité du terrain. Comment pouvait-on agir là-bas efficacement sans neutraliser le système militaire de Kadhafi? Si avec courage, Nicolas Sarkozy et David Cameron n’avaient pas engagé leur pays auprès de l’Otan, Kadhafi, qui avait menacé de «rivière de sang» la population de Benghazi, aurait pu se présenter comme «le héros» qui aurait mis fin aux révolutions arabes, déstabilisant ainsi tous les processus démocratiques en cours, notamment en Égypte et en Tunisie.
– Ce qui s’est passé en Libye est-il transposable en Syrie?
Je ne le crois pas car, pour le moment, les conditions politiques à l’application de «la responsabilité de protéger» ne sont pas réunies. Malgré la répression dont ils sont victimes, les opposants syriens ont dit qu’ils étaient opposés à toute internationalisation du conflit et la Ligue arabe n’a lancé aucun appel en ce sens. Les neuf voix nécessaires au vote du conseil de sécurité sont donc loin de pouvoir être réunies et, en plus, la Chine et la Russie ont déjà dit qu’ils opposeraient leur droit de veto. Il faut éviter de faire une lecture simplifiée et idéaliste de situations complexes.
Justement en Libye, le danger islamiste n’est-il pas sous-estimé?
Je ne connais pas de méthode qui permette de passer brusquement d’un système anachronique répressif à une démocratie apaisée. La démocratisation c’est un long processus chaotique. La réunion de Paris de cette semaine, en aidant la reconstruction du pays, peut entraîner de nombreux Libyens dans la bonne direction.