La question du leadership européen dans les dix à quinze prochaines années se décompose en deux questions distinctes: quelle institution ou quel pays exercera le leadership stratégique au sein de l’UE? Est-ce que l’UE, en tant que telle, exercera un jour un leadership stratégique en ce monde?
1) Il y a eu à partir des années cinquante en Europe un important courant de pensée fédéraliste, influent dans les élites, qui voyait l’Europe engagée dans un processus téléologique de création d’Etats-Unis d’Europe un peu à l’imitation des Etats-Unis d’Amérique. C’est ce courant qui affirmait «l’Europe c’est la paix», alors que chronologiquement c’est plutôt l’inverse: la construction européenne a profité de la paix imposée en Europe à partir de 1945, garantie ensuite par la dissuasion nucléaire. Ces fédéralistes ne voyaient d’avenir à l’Europe que dans le dépassement voire la négation de ses nations, assimilées au nationalisme et à la guerre. En fait, il y a toujours eu une différence fondamentale entre la constitution des Etats-Unis d’Amérique et la construction européenne. Le président George Washington soulignait en 1798 que la force des Etats-Unis était que tous les américains étaient les mêmes: même langue, même religion, même origine, même mode de vie. Ce n’est évidemment pas le cas des Européens. On ne peut pas comparer l’unification des premiers américains déjà homogènes, quoiqu’ils soient répartis dans treize états fédérés, avec celles d’une trentaine de nations européennes séculaires très différentes et longtemps antagonistes. Ce mythe a eu la vie dure parce qu’il était beau et mobilisateur. Mais il s’appliquait à l’unification des allemands par Bismarck ou à celle des Italiens par Cavour, pas à celle des européens en général. A un moment donné, un fossé élites/populations est donc apparu. Les Européens modernes apprécient énormément de vivre en paix, en sécurité, dans la prospérité et la liberté, et de se voir garantis des droits de plus en plus nombreux et nouveaux. Ils n’imaginent plus de vivre autrement. Mais le fait identitaire national résiste aux traités, aux discours, aux illusions et aux théories post nationales. Les Européens se sentent européens en plus d’être français, allemands, espagnols etc, pas à la place. D’où il découle que l’Europe gardera la forme originale qu’elle a atteinte, celle d’une «confédération» (les 27) ou d’une «fédération» (la zone euro) d’états nations.
La négociation institutionnelle poursuivie de façon quasi ininterrompue depuis près de vingt ans pour élaborer les traités d’Acte unique, de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice, le Traité Constitutionnel, le Traité de Lisbonne, confirme ce fait. Chaque traité, laborieusement négocié, a comporté des améliorations, mais pas de révolution. Il y a toujours trois pouvoirs principaux qui s’équilibrent à peu près : le Conseil, encore plus le Parlement européen et la Commission, mais au gré des traités ce sont plutôt le Conseil et le Parlement qui ont été renforcés. Il est clair en 2009 que la Commission ne deviendra pas le gouvernement fédéral et supranational de l’Europe qu’elle pensait préfigurer, même grâce à des alliances circonstancielles avec le Parlement et la connivence de la Cour de Justice. Dans le traité de Lisbonne, le pouvoir des parlements nationaux est même renforcé. Le plus probable est donc la perpétuation de la situation institutionnelle actuelle, sans leadership clair, sauf par éclipses quand le dirigeant énergique d’un pays fort exerce la présidence semestrielle: présidences Merkel en 2007 et Sarkozy en 2008 et cela même dans le cadre du traité de Nice.
On peut néanmoins imaginer d’autres hypothèses.
Le saut fédéraliste. On entend souvent dans les milieux fédéralistes ou européistes, chez les militants européens en général: «l’opinion n’est pas encore prête (au passage à un vrai fédéralisme). Ce sera le fait d’une nouvelle génération, d’un futur traité, etc…». L’analyse des tendances historiques ne confirme pas cette espérance. Les jeunes générations sont européennes comme une évidence, pas par mystique ou ferveur. Dans chaque pays l’Europe, l’intérêt pour les pays voisins (culture, langue, vie politique, géographie) est faible, beaucoup plus faible que pour le reste du monde en dehors de l’Europe: intérêt passionné pour l’élection présidentielle américaine, obamania, intérêt inquiet pour la Russie, la Chine, le monde arabo-musulman, intérêt compassionnel pour l’Afrique. Au référendum de 2005 sur le traité «constitutionnel» les électeurs français de moins de trente ans ont voté «non» en plus grand nombre que les plus de soixante ans.
A l’inverse: le leadership d’un des grands pays. Le leadership de la construction européenne a longtemps été français, puis franco-allemand. Qu’en est-il maintenant? Même si l’Allemagne est pour le moment le pays le plus peuplé, même si le traité de Lisbonne renforce dans le calcul des votes la prise en compte de la démographie (ce qu’Helmut Kohl n’avait pas voulu demander comme trop nationaliste, et que Schroeder a imposé, et que la France a curieusement accepté en 2003, sans contrepartie, ce qui donnera à l’Allemagne 18% des voix au Conseil européen au lieu de 9%, la France passant, elle de 9% à 13%), un pays, même le plus peuplé (80 millions d’habitants) ne peut plus exercer seul ce leadership. L’Allemagne et la France le peuvent-elles ensemble ? Même quand ses leaders s’entendent à nouveau (Chirac et Schroeder dans leur deuxième mandat, Merkel et Sarkozy à partir de 2008), ils n’ont pas, loin de là, sur l’Union à 27 l’autorité extraordinaire que Mitterrand et Kohl ont exercé ensemble sur l’Union à 10, 12 puis 15, de 1984 à 1995, complété par le rayonnement de Delors qu’ils avaient en place à partir de 1985.
Néanmoins, si sur les grandes questions européennes et stratégiques la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne réussissaient à adopter une ligne commune (combinaison de Blaesheim et de Saint Malo), elles constitueraient ensemble ce leadership. Cela ne s’est jamais produit. Cela n’est pas prévisible à court terme. Néanmoins l’hypothèse ne peut être écartée.
Reste l’hypothèse d’une sorte de cercle vertueux qui pourrait s’enclencher comme suit.
Le traité de Lisbonne est finalement ratifié suite à un nouveau vote, positif, des électeurs irlandais. Un Président «durable» et crédible du Conseil est désigné pour deux ans et demi. Il trouve un compromis intelligent avec Merkel, Sarkozy, le Premier ministre britannique, le Président de la commission (Barroso ou son successeur), le Haut représentant pour la PESC (Solana ou son successeur) pour l’exercice de sa prééminence dans un leadership collectif. Il est aidé en cela par l’évolution de l’opinion politique qui comprend que dans la bagarre multipolaire les Européens – tout en gardant leurs identités propres – doivent faire de l’Europe un vrai pôle de pouvoir qui veille à leurs intérêts de façon plus pugnace. Ce Président durable appuyé sur un consensus des leaders européens qu’il aura aidé à formuler devient pour l’administration américaine un interlocuteur et un partenaire naturel dans la grande redéfinition stratégique en cours. Cela ressemble à un rêve européen? Cela ne prouve pas que cela soit impossible. A défaut, il faut revenir à l’hypothèse du leadership à inventer à trois Allemagne, France, Grande Bretagne.
2) La question d’un éventuel leadership européen dans le monde est étroitement liée à cette question du leadership interne à l’Union, mais elle est encore plus problématique. Elle est même en théorie sans objet: les pays d’Europe de l’Ouest ne se sont-ils pas rangés après la guerre de facto et par le traité de 1949 sous le parapluie américain? N’ont-ils pas de ce fait, instruits et causés par les deux tragiques guerres mondiales, renoncé à toute politique de puissance, de défense, et à toute vraie politique étrangère globale autonome? Et cela même si la Grande Bretagne a poursuivi un effort de défense significatif et si la France, pendant longtemps, une politique étrangère loyale à ses alliés mais spécifique, d’abord gaulliste puis gaullo-mitterrandienne et si les deux pays se sont dotés de la dissuasion nucléaire. Pourtant, la question mérite d’être posée, pour plusieurs raisons: la solidité protectrice de l’euro, à la réussite duquel les Etats-Unis ne croyaient pas, ce qui fait qu’ils ne l’ont pas combattu et qui est manifeste dans la crise actuelle. Parce que, dans le domaine commercial et au sein de l’OMC, les européens sont moins inhibés pour défendre leurs intérêts. Et parce qu’une administration Obama qui aura tant de soucis ailleurs, avec la Russie, la Chine, le Moyen Orient, et l’Asie centrale et bien sûr la crise financière, pourrait ne pas voir trop d’inconvénients à ce que l’Europe s’affirme plus, y compris au sein de l’Alliance, le fameux «pilier européen»!! Si les européens l’osent.
Bien sûr, les Américains auront toujours tendance à voir l’Europe comme un sous-ensemble économique de l’OTAN (ce qui est un contre sens complet), et la «défense européenne» comme une sous-traitance, ce qui est malheureusement moins faux. Rien n’empêche cependant d’imaginer une Europe qui développe sa propre vision (après avoir surmonté ses divergences) sur ce qu’il faut faire à long terme avec la Russie (combiner partenariat et vigilance); comme avec la Chine; comment il faut méthodiquement désamorcer l’antagonisme Islam-Occident; ce qu’il faut faire pour résoudre le problème israélo-palestinien et les perspectives extraordinaires que cela ouvrirait par la suite; comment il faudrait concevoir un partenariat Europe-Afrique, non pas au bénéfice des africains, mais avec eux; comment il faut organiser la mutation de l’économie prédatrice en croissance écologique durable; quelle combinaison à trouver entre des systèmes militaires offensifs, défensifs (boucliers?) et dissuasifs; etc. C’est le scénario optimiste que je développe à propos du «Président durable» du Conseil européen. Il nécessite que l’Union européenne sorte de l’ingénuité béate et conjure le risque d’être ce que j’ai appelé «l’idiot du village global». Des événements extérieurs pourraient les y pousser, par exemple une pression chinoise et autre, pour remettre en cause le rôle du dollar et accroître, de ce fait, celui des Etats-Unis.
Une Europe capable de se comporter en puissance responsable et partenaire des Etats-Unis exercerait directement et indirectement dans le monde une immense influence, ce qui serait une première pour une Europe unie: paradoxalement les européens n’ont jamais tant influencé le monde jusqu’ici (en bien ou en mal) que quand ils étaient divisés et en concurrence entre eux… Leur influence était anglaise, française, espagnole, allemande, etc. pas européenne. Et depuis qu’ils sont unis les Européens suivent pour l’essentiel les Etats-Unis à quelques soubresauts près. Il serait intéressant qu’ils surmontent ce paradoxe! Cela changerait la face de l’Occident et le rendrait plus acceptable par les autres, et plus fort, mais cela suppose qu’ils soient capables de constituer un pôle dans le monde multipolaire.
La question du leadership européen dans les dix à quinze prochaines années se décompose en deux questions distinctes: quelle institution ou quel pays exercera le leadership stratégique au sein de l’UE? Est-ce que l’UE, en tant que telle, exercera un jour un leadership stratégique en ce monde?
1) Il y a eu à partir des années cinquante en Europe un important courant de pensée fédéraliste, influent dans les élites, qui voyait l’Europe engagée dans un processus téléologique de création d’Etats-Unis d’Europe un peu à l’imitation des Etats-Unis d’Amérique. C’est ce courant qui affirmait «l’Europe c’est la paix», alors que chronologiquement c’est plutôt l’inverse: la construction européenne a profité de la paix imposée en Europe à partir de 1945, garantie ensuite par la dissuasion nucléaire. Ces fédéralistes ne voyaient d’avenir à l’Europe que dans le dépassement voire la négation de ses nations, assimilées au nationalisme et à la guerre. En fait, il y a toujours eu une différence fondamentale entre la constitution des Etats-Unis d’Amérique et la construction européenne. Le président George Washington soulignait en 1798 que la force des Etats-Unis était que tous les américains étaient les mêmes: même langue, même religion, même origine, même mode de vie. Ce n’est évidemment pas le cas des Européens. On ne peut pas comparer l’unification des premiers américains déjà homogènes, quoiqu’ils soient répartis dans treize états fédérés, avec celles d’une trentaine de nations européennes séculaires très différentes et longtemps antagonistes. Ce mythe a eu la vie dure parce qu’il était beau et mobilisateur. Mais il s’appliquait à l’unification des allemands par Bismarck ou à celle des Italiens par Cavour, pas à celle des européens en général. A un moment donné, un fossé élites/populations est donc apparu. Les Européens modernes apprécient énormément de vivre en paix, en sécurité, dans la prospérité et la liberté, et de se voir garantis des droits de plus en plus nombreux et nouveaux. Ils n’imaginent plus de vivre autrement. Mais le fait identitaire national résiste aux traités, aux discours, aux illusions et aux théories post nationales. Les Européens se sentent européens en plus d’être français, allemands, espagnols etc, pas à la place. D’où il découle que l’Europe gardera la forme originale qu’elle a atteinte, celle d’une «confédération» (les 27) ou d’une «fédération» (la zone euro) d’états nations.
La négociation institutionnelle poursuivie de façon quasi ininterrompue depuis près de vingt ans pour élaborer les traités d’Acte unique, de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice, le Traité Constitutionnel, le Traité de Lisbonne, confirme ce fait. Chaque traité, laborieusement négocié, a comporté des améliorations, mais pas de révolution. Il y a toujours trois pouvoirs principaux qui s’équilibrent à peu près : le Conseil, encore plus le Parlement européen et la Commission, mais au gré des traités ce sont plutôt le Conseil et le Parlement qui ont été renforcés. Il est clair en 2009 que la Commission ne deviendra pas le gouvernement fédéral et supranational de l’Europe qu’elle pensait préfigurer, même grâce à des alliances circonstancielles avec le Parlement et la connivence de la Cour de Justice. Dans le traité de Lisbonne, le pouvoir des parlements nationaux est même renforcé. Le plus probable est donc la perpétuation de la situation institutionnelle actuelle, sans leadership clair, sauf par éclipses quand le dirigeant énergique d’un pays fort exerce la présidence semestrielle: présidences Merkel en 2007 et Sarkozy en 2008 et cela même dans le cadre du traité de Nice.
On peut néanmoins imaginer d’autres hypothèses.
Le saut fédéraliste. On entend souvent dans les milieux fédéralistes ou européistes, chez les militants européens en général: «l’opinion n’est pas encore prête (au passage à un vrai fédéralisme). Ce sera le fait d’une nouvelle génération, d’un futur traité, etc…». L’analyse des tendances historiques ne confirme pas cette espérance. Les jeunes générations sont européennes comme une évidence, pas par mystique ou ferveur. Dans chaque pays l’Europe, l’intérêt pour les pays voisins (culture, langue, vie politique, géographie) est faible, beaucoup plus faible que pour le reste du monde en dehors de l’Europe: intérêt passionné pour l’élection présidentielle américaine, obamania, intérêt inquiet pour la Russie, la Chine, le monde arabo-musulman, intérêt compassionnel pour l’Afrique. Au référendum de 2005 sur le traité «constitutionnel» les électeurs français de moins de trente ans ont voté «non» en plus grand nombre que les plus de soixante ans.
A l’inverse: le leadership d’un des grands pays. Le leadership de la construction européenne a longtemps été français, puis franco-allemand. Qu’en est-il maintenant? Même si l’Allemagne est pour le moment le pays le plus peuplé, même si le traité de Lisbonne renforce dans le calcul des votes la prise en compte de la démographie (ce qu’Helmut Kohl n’avait pas voulu demander comme trop nationaliste, et que Schroeder a imposé, et que la France a curieusement accepté en 2003, sans contrepartie, ce qui donnera à l’Allemagne 18% des voix au Conseil européen au lieu de 9%, la France passant, elle de 9% à 13%), un pays, même le plus peuplé (80 millions d’habitants) ne peut plus exercer seul ce leadership. L’Allemagne et la France le peuvent-elles ensemble ? Même quand ses leaders s’entendent à nouveau (Chirac et Schroeder dans leur deuxième mandat, Merkel et Sarkozy à partir de 2008), ils n’ont pas, loin de là, sur l’Union à 27 l’autorité extraordinaire que Mitterrand et Kohl ont exercé ensemble sur l’Union à 10, 12 puis 15, de 1984 à 1995, complété par le rayonnement de Delors qu’ils avaient en place à partir de 1985.
Néanmoins, si sur les grandes questions européennes et stratégiques la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne réussissaient à adopter une ligne commune (combinaison de Blaesheim et de Saint Malo), elles constitueraient ensemble ce leadership. Cela ne s’est jamais produit. Cela n’est pas prévisible à court terme. Néanmoins l’hypothèse ne peut être écartée.
Reste l’hypothèse d’une sorte de cercle vertueux qui pourrait s’enclencher comme suit.
Le traité de Lisbonne est finalement ratifié suite à un nouveau vote, positif, des électeurs irlandais. Un Président «durable» et crédible du Conseil est désigné pour deux ans et demi. Il trouve un compromis intelligent avec Merkel, Sarkozy, le Premier ministre britannique, le Président de la commission (Barroso ou son successeur), le Haut représentant pour la PESC (Solana ou son successeur) pour l’exercice de sa prééminence dans un leadership collectif. Il est aidé en cela par l’évolution de l’opinion politique qui comprend que dans la bagarre multipolaire les Européens – tout en gardant leurs identités propres – doivent faire de l’Europe un vrai pôle de pouvoir qui veille à leurs intérêts de façon plus pugnace. Ce Président durable appuyé sur un consensus des leaders européens qu’il aura aidé à formuler devient pour l’administration américaine un interlocuteur et un partenaire naturel dans la grande redéfinition stratégique en cours. Cela ressemble à un rêve européen? Cela ne prouve pas que cela soit impossible. A défaut, il faut revenir à l’hypothèse du leadership à inventer à trois Allemagne, France, Grande Bretagne.
2) La question d’un éventuel leadership européen dans le monde est étroitement liée à cette question du leadership interne à l’Union, mais elle est encore plus problématique. Elle est même en théorie sans objet: les pays d’Europe de l’Ouest ne se sont-ils pas rangés après la guerre de facto et par le traité de 1949 sous le parapluie américain? N’ont-ils pas de ce fait, instruits et causés par les deux tragiques guerres mondiales, renoncé à toute politique de puissance, de défense, et à toute vraie politique étrangère globale autonome? Et cela même si la Grande Bretagne a poursuivi un effort de défense significatif et si la France, pendant longtemps, une politique étrangère loyale à ses alliés mais spécifique, d’abord gaulliste puis gaullo-mitterrandienne et si les deux pays se sont dotés de la dissuasion nucléaire. Pourtant, la question mérite d’être posée, pour plusieurs raisons: la solidité protectrice de l’euro, à la réussite duquel les Etats-Unis ne croyaient pas, ce qui fait qu’ils ne l’ont pas combattu et qui est manifeste dans la crise actuelle. Parce que, dans le domaine commercial et au sein de l’OMC, les européens sont moins inhibés pour défendre leurs intérêts. Et parce qu’une administration Obama qui aura tant de soucis ailleurs, avec la Russie, la Chine, le Moyen Orient, et l’Asie centrale et bien sûr la crise financière, pourrait ne pas voir trop d’inconvénients à ce que l’Europe s’affirme plus, y compris au sein de l’Alliance, le fameux «pilier européen»!! Si les européens l’osent.
Bien sûr, les Américains auront toujours tendance à voir l’Europe comme un sous-ensemble économique de l’OTAN (ce qui est un contre sens complet), et la «défense européenne» comme une sous-traitance, ce qui est malheureusement moins faux. Rien n’empêche cependant d’imaginer une Europe qui développe sa propre vision (après avoir surmonté ses divergences) sur ce qu’il faut faire à long terme avec la Russie (combiner partenariat et vigilance); comme avec la Chine; comment il faut méthodiquement désamorcer l’antagonisme Islam-Occident; ce qu’il faut faire pour résoudre le problème israélo-palestinien et les perspectives extraordinaires que cela ouvrirait par la suite; comment il faudrait concevoir un partenariat Europe-Afrique, non pas au bénéfice des africains, mais avec eux; comment il faut organiser la mutation de l’économie prédatrice en croissance écologique durable; quelle combinaison à trouver entre des systèmes militaires offensifs, défensifs (boucliers?) et dissuasifs; etc. C’est le scénario optimiste que je développe à propos du «Président durable» du Conseil européen. Il nécessite que l’Union européenne sorte de l’ingénuité béate et conjure le risque d’être ce que j’ai appelé «l’idiot du village global». Des événements extérieurs pourraient les y pousser, par exemple une pression chinoise et autre, pour remettre en cause le rôle du dollar et accroître, de ce fait, celui des Etats-Unis.
Une Europe capable de se comporter en puissance responsable et partenaire des Etats-Unis exercerait directement et indirectement dans le monde une immense influence, ce qui serait une première pour une Europe unie: paradoxalement les européens n’ont jamais tant influencé le monde jusqu’ici (en bien ou en mal) que quand ils étaient divisés et en concurrence entre eux… Leur influence était anglaise, française, espagnole, allemande, etc. pas européenne. Et depuis qu’ils sont unis les Européens suivent pour l’essentiel les Etats-Unis à quelques soubresauts près. Il serait intéressant qu’ils surmontent ce paradoxe! Cela changerait la face de l’Occident et le rendrait plus acceptable par les autres, et plus fort, mais cela suppose qu’ils soient capables de constituer un pôle dans le monde multipolaire.