Il y aurait beaucoup à dire, en ce printemps 2008, sur la crédibilité et l’autorité de la fonction présidentielle sous François Mitterrand, comme sur la justesse de sa politique étrangère. Mais l’actualité m’amène à revenir sur deux controverses importantes: Vichy, ou plutôt, François Mitterrand, la résistance et Vichy, et la politique française au Rwanda.
* * *
1- D’abord Vichy. Serge Moati a décidé de réaliser un docu-fiction sur «François Mitterrand à Vichy». Nous pouvons estimer que le sujet a été complètement exploré et est bien connu. Mais c’est son choix. A sa demande, l’IFM lui a fourni quelques précisions, des chronologies, etc. Mais c’est son film, co-écrit avec Christophe Barbier, auteur des Derniers Jours de François Mitterrand, et directeur de l’Express.
Danielle Mitterrand, qui a visionné le film, a exprimé son indignation. A ses yeux, il contient des invraisemblances. Exemple: après avoir osé interpeller salle Wagram le collaborationniste André Masson, François Mitterrand n’est pas resté haranguer la salle, mais a dû évidemment fuir aussitôt, protégé par quelques camarades, tant le danger et le risque pris étaient grands. Mais elle trouve surtout qu’il repose sur un contre-sens (selon elle malveillant): François Mitterrand a été à Vichy, mais n’a pas travaillé pour Vichy. Ses deux chefs successifs, le commandant Favre de Thierens et Maurice Pinot étaient ou ont été des résistants courageux. Les historiens l’attestent. D’autre part, on donnerait à quelques unes des premières lettres de François Mitterrand, écrites en 1942, une signification «pétainiste» ou «vichyste» qu’elles n’ont pas. En tout état de cause, le recours à des cartes ou à des lettres «ouvertes» et la censure obligeaient à des précautions. Danielle Mitterrand renvoie sur ces points à la lecture de l’excellent petit livre de Gérard Guicheteau, François Mitterrand, la Résistance et Vichy, et à ce qu’elle dit dans son propre ouvrage, Le livre de ma mémoire (Jean-Claude Gaswewitch éditeur), aux chapitres 17, 18 et 21.
Pour se forger une opinion, quelques membres du Conseil d’Administration et du Conseil Scientifique de l’Institut ont visionné ce docu-fiction le 11 mars. On y voit un groupe de jeunes gens, anciens prisonniers, évadés ou rapatriés, qui, autour de Maurice Pinot, utilisent d’abord Vichy pour atteindre leur but prioritaire: venir en aide à leurs camarades restés prisonniers (1 million 800 000!). Ils évoluent ensuite très vite vers la Résistance et François Mitterrand devient progressivement leur chef.
L’ IFM a finalement estimé que l’interprétation par Serge Moati (il s’agit bien d’un docu-fiction) de cette période de quelques mois dans la vie de François Mitterrand était celle de son auteur et que même discutable et contestable, elle relevait de la liberté du débat et de la représentation historique. La suite, la résistance courageuse de François Mitterrand, n’a jamais été sérieusement contestée par personne. Le film devrait être diffusé sur France 2 prochainement, suivi d’un film d’analyse et de débats réalisé par Hugues Nancy.
2- Le Rwanda. La controverse rebondit régulièrement sur la politique menée par la France au Rwanda de 1990 à 1994. Pour l’IFM, pour les membres des gouvernements Rocard, Cresson et Beregovoy (1990-1993), pour les membres du gouvernement Balladur (1993-1995) pour quasi tous les dirigeants africains, pour l’immense majorité des analystes, la France a essayé (a-t-elle eu tort d’essayer, c’est une autre question, jamais soulevée), d’arrêter l’engrenage qui, à partir des attaques du petit groupe Tutsi de l’extérieur (mené par Kagamé), soutenu par l’armée ougandaise, qui voulait reprendre le pouvoir par la force, ne pouvait conduire qu’à un bain de sang. Le rapport de la mission parlementaire d’information Quilès qui a certes formulé des critiques sur la mise en œuvre de cette politique, n’a cependant pas remis en cause cette analyse générale.
Cette politique comportait deux volets; l’un militaire: stopper ces attaques déstabilisatrices en sécurisant la frontière Ouganda/Rwanda, pré-condition du second volet, politique: obliger les Hutus et les Tutsis à un compromis et à un partage du pouvoir. Ce qui fut obtenu, croyait-on, avec les Accords d’Arusha en 1993, qui permirent à la France soulagée de retirer ses troupes. C’était sans compter sur les extrémistes des deux bords, les extrémistes hutus bien sûr, mais aussi Paul Kagamé, leader des Tutsis de l’extérieur, qui, si la politique d’Arusha avait réussi, n’aurait jamais pu prendre le pouvoir seul.
D’où l’attentat du 6 avril 1994, qui coûta la vie au président Hutu du Rwanda J. Habyarimana et au président du Burundi C. Ntayarima, et fut immédiatement suivi du déclenchement du génocide, et de la prise de pouvoir à Kigali par Kagamé et ses troupes du FPR. Cet attentat a été attribué, par le juge Bruguière, après une longue enquête, à Kagamé lui-même. Les autorités de Kigali ont violemment réagi en niant cette accusation, en déclenchant des procédures contre les militaires français et en réactivant quelques petits groupes, en Belgique et en France, sincères et/ou manipulés, chargés de relancer les accusations de diversion contre la France, censée avoir «coopéré avec un régime qui préparait un génocide», qui serait donc co-responsable, et devrait, à ce titre, demander pardon, voire, offrir des réparations.
Bernard Kouchner a récusé ces accusations, le 31 janvier dernier, à Kigali. Il a toutefois évoqué «une faute politique» de la France (soit en 1990, soit en 1994, sans préciser laquelle). Il a été immédiatement contré par Alain Juppé (« Quelle faute?»), soutenu par l’IFM.
Les accusations de Kigali et de ses relais sont monstrueuses (coopérer à la préparation d’un génocide!!!) absurdes (pourquoi? pour quel enjeu?), mais surtout fausses.
Pourquoi reparler aujourd’hui de cette terrible tragédie? Parce que la plus haute instance pénale espagnole vient d’inculper 40 responsables de haut rang du régime de Kagamé dont une dizaine de généraux (mais pas le Président Kagamé lui-même, disent-ils, uniquement en raison de l’immunité présidentielle), de génocide et de crime contre l’humanité, pour des faits allant de 1990 (avant le génocide) à 2004 (après), et de dire ce qui a, selon elle, conduit au génocide.
• Pourquoi la justice espagnole s’est-elle saisie du sujet? D’abord, parce qu’elle estime avoir une compétence universelle (ce qui se discute, mais c’est un autre débat). Ensuite, parce qu’elle avait été saisie pour le meurtre d’Espagnols membres d’une ONG, assassinés au Rwanda entre 1994 et 2000, et a voulu reconstituer le contexte.
• Que dit-elle dans ses attendus sur les origines du génocide? Que Kagamé et ses hommes ont délibérément déstabilisé, à partir de 1990, le régime rwandais (régime hutu, comme 85% de la population), en organisant au Rwanda, à partir du territoire de l’Ouganda voisin, des actions criminelles et des actes terroristes, en fomentant des affrontements ethniques afin d’entraîner des représailles et des désordres «afin de s’emparer du pouvoir et de mettre en place un régime de terreur», ce qui a déclenché, selon elle, en réaction, le génocide de mai-juin 1994 contre les Tutsis.
• Que dit-elle sur l’après génocide? Qu’au total, sur l’ensemble de cette période, de 1990 à 2004, au Rwanda et au Kivu (Est du Congo, occupé à partir de 1994 par les armées rwandaise tutsi et ougandaise), ce sont «plus de quatre millions de Rwandais qui ont été assassinés ou ont disparu dans le cadre d’un plan d’extermination, pour des raisons ethniques et/ou politiques»! Ce chiffre effrayant n’avait été évoqué jusqu’ici que par l’International Crisis Group de Bruxelles. On parle le plus souvent, à propos du génocide des Tutsis et des Hutus modérés en 1994, de 800 000 morts.
* * *
Tout cela est atroce. Les mandats d’arrêt émis par la justice espagnole ne valent pas jugement. Mais ils ne pourront pas être ignorés. D’autant que les juges espagnols sont étrangers aux controverses franco-françaises, franco-belges, franco-rwandaises, etc. A tout le moins, peut-on espérer, à partir de ces éléments nouveaux, de la part des gens de bonne foi une autre lecture plus compréhensive et objective de ce que la France a tenté, à partir de 1990, pour enrayer cet engrenage – hélas sans succès – que celle lamentable qui est encore trop souvent colportée.
Il y aurait beaucoup à dire, en ce printemps 2008, sur la crédibilité et l’autorité de la fonction présidentielle sous François Mitterrand, comme sur la justesse de sa politique étrangère. Mais l’actualité m’amène à revenir sur deux controverses importantes: Vichy, ou plutôt, François Mitterrand, la résistance et Vichy, et la politique française au Rwanda.
* * *
1- D’abord Vichy. Serge Moati a décidé de réaliser un docu-fiction sur «François Mitterrand à Vichy». Nous pouvons estimer que le sujet a été complètement exploré et est bien connu. Mais c’est son choix. A sa demande, l’IFM lui a fourni quelques précisions, des chronologies, etc. Mais c’est son film, co-écrit avec Christophe Barbier, auteur des Derniers Jours de François Mitterrand, et directeur de l’Express.
Danielle Mitterrand, qui a visionné le film, a exprimé son indignation. A ses yeux, il contient des invraisemblances. Exemple: après avoir osé interpeller salle Wagram le collaborationniste André Masson, François Mitterrand n’est pas resté haranguer la salle, mais a dû évidemment fuir aussitôt, protégé par quelques camarades, tant le danger et le risque pris étaient grands. Mais elle trouve surtout qu’il repose sur un contre-sens (selon elle malveillant): François Mitterrand a été à Vichy, mais n’a pas travaillé pour Vichy. Ses deux chefs successifs, le commandant Favre de Thierens et Maurice Pinot étaient ou ont été des résistants courageux. Les historiens l’attestent. D’autre part, on donnerait à quelques unes des premières lettres de François Mitterrand, écrites en 1942, une signification «pétainiste» ou «vichyste» qu’elles n’ont pas. En tout état de cause, le recours à des cartes ou à des lettres «ouvertes» et la censure obligeaient à des précautions. Danielle Mitterrand renvoie sur ces points à la lecture de l’excellent petit livre de Gérard Guicheteau, François Mitterrand, la Résistance et Vichy, et à ce qu’elle dit dans son propre ouvrage, Le livre de ma mémoire (Jean-Claude Gaswewitch éditeur), aux chapitres 17, 18 et 21.
Pour se forger une opinion, quelques membres du Conseil d’Administration et du Conseil Scientifique de l’Institut ont visionné ce docu-fiction le 11 mars. On y voit un groupe de jeunes gens, anciens prisonniers, évadés ou rapatriés, qui, autour de Maurice Pinot, utilisent d’abord Vichy pour atteindre leur but prioritaire: venir en aide à leurs camarades restés prisonniers (1 million 800 000!). Ils évoluent ensuite très vite vers la Résistance et François Mitterrand devient progressivement leur chef.
L’ IFM a finalement estimé que l’interprétation par Serge Moati (il s’agit bien d’un docu-fiction) de cette période de quelques mois dans la vie de François Mitterrand était celle de son auteur et que même discutable et contestable, elle relevait de la liberté du débat et de la représentation historique. La suite, la résistance courageuse de François Mitterrand, n’a jamais été sérieusement contestée par personne. Le film devrait être diffusé sur France 2 prochainement, suivi d’un film d’analyse et de débats réalisé par Hugues Nancy.
2- Le Rwanda. La controverse rebondit régulièrement sur la politique menée par la France au Rwanda de 1990 à 1994. Pour l’IFM, pour les membres des gouvernements Rocard, Cresson et Beregovoy (1990-1993), pour les membres du gouvernement Balladur (1993-1995) pour quasi tous les dirigeants africains, pour l’immense majorité des analystes, la France a essayé (a-t-elle eu tort d’essayer, c’est une autre question, jamais soulevée), d’arrêter l’engrenage qui, à partir des attaques du petit groupe Tutsi de l’extérieur (mené par Kagamé), soutenu par l’armée ougandaise, qui voulait reprendre le pouvoir par la force, ne pouvait conduire qu’à un bain de sang. Le rapport de la mission parlementaire d’information Quilès qui a certes formulé des critiques sur la mise en œuvre de cette politique, n’a cependant pas remis en cause cette analyse générale.
Cette politique comportait deux volets; l’un militaire: stopper ces attaques déstabilisatrices en sécurisant la frontière Ouganda/Rwanda, pré-condition du second volet, politique: obliger les Hutus et les Tutsis à un compromis et à un partage du pouvoir. Ce qui fut obtenu, croyait-on, avec les Accords d’Arusha en 1993, qui permirent à la France soulagée de retirer ses troupes. C’était sans compter sur les extrémistes des deux bords, les extrémistes hutus bien sûr, mais aussi Paul Kagamé, leader des Tutsis de l’extérieur, qui, si la politique d’Arusha avait réussi, n’aurait jamais pu prendre le pouvoir seul.
D’où l’attentat du 6 avril 1994, qui coûta la vie au président Hutu du Rwanda J. Habyarimana et au président du Burundi C. Ntayarima, et fut immédiatement suivi du déclenchement du génocide, et de la prise de pouvoir à Kigali par Kagamé et ses troupes du FPR. Cet attentat a été attribué, par le juge Bruguière, après une longue enquête, à Kagamé lui-même. Les autorités de Kigali ont violemment réagi en niant cette accusation, en déclenchant des procédures contre les militaires français et en réactivant quelques petits groupes, en Belgique et en France, sincères et/ou manipulés, chargés de relancer les accusations de diversion contre la France, censée avoir «coopéré avec un régime qui préparait un génocide», qui serait donc co-responsable, et devrait, à ce titre, demander pardon, voire, offrir des réparations.
Bernard Kouchner a récusé ces accusations, le 31 janvier dernier, à Kigali. Il a toutefois évoqué «une faute politique» de la France (soit en 1990, soit en 1994, sans préciser laquelle). Il a été immédiatement contré par Alain Juppé (« Quelle faute?»), soutenu par l’IFM.
Les accusations de Kigali et de ses relais sont monstrueuses (coopérer à la préparation d’un génocide!!!) absurdes (pourquoi? pour quel enjeu?), mais surtout fausses.
Pourquoi reparler aujourd’hui de cette terrible tragédie? Parce que la plus haute instance pénale espagnole vient d’inculper 40 responsables de haut rang du régime de Kagamé dont une dizaine de généraux (mais pas le Président Kagamé lui-même, disent-ils, uniquement en raison de l’immunité présidentielle), de génocide et de crime contre l’humanité, pour des faits allant de 1990 (avant le génocide) à 2004 (après), et de dire ce qui a, selon elle, conduit au génocide.
• Pourquoi la justice espagnole s’est-elle saisie du sujet? D’abord, parce qu’elle estime avoir une compétence universelle (ce qui se discute, mais c’est un autre débat). Ensuite, parce qu’elle avait été saisie pour le meurtre d’Espagnols membres d’une ONG, assassinés au Rwanda entre 1994 et 2000, et a voulu reconstituer le contexte.
• Que dit-elle dans ses attendus sur les origines du génocide? Que Kagamé et ses hommes ont délibérément déstabilisé, à partir de 1990, le régime rwandais (régime hutu, comme 85% de la population), en organisant au Rwanda, à partir du territoire de l’Ouganda voisin, des actions criminelles et des actes terroristes, en fomentant des affrontements ethniques afin d’entraîner des représailles et des désordres «afin de s’emparer du pouvoir et de mettre en place un régime de terreur», ce qui a déclenché, selon elle, en réaction, le génocide de mai-juin 1994 contre les Tutsis.
• Que dit-elle sur l’après génocide? Qu’au total, sur l’ensemble de cette période, de 1990 à 2004, au Rwanda et au Kivu (Est du Congo, occupé à partir de 1994 par les armées rwandaise tutsi et ougandaise), ce sont «plus de quatre millions de Rwandais qui ont été assassinés ou ont disparu dans le cadre d’un plan d’extermination, pour des raisons ethniques et/ou politiques»! Ce chiffre effrayant n’avait été évoqué jusqu’ici que par l’International Crisis Group de Bruxelles. On parle le plus souvent, à propos du génocide des Tutsis et des Hutus modérés en 1994, de 800 000 morts.
* * *
Tout cela est atroce. Les mandats d’arrêt émis par la justice espagnole ne valent pas jugement. Mais ils ne pourront pas être ignorés. D’autant que les juges espagnols sont étrangers aux controverses franco-françaises, franco-belges, franco-rwandaises, etc. A tout le moins, peut-on espérer, à partir de ces éléments nouveaux, de la part des gens de bonne foi une autre lecture plus compréhensive et objective de ce que la France a tenté, à partir de 1990, pour enrayer cet engrenage – hélas sans succès – que celle lamentable qui est encore trop souvent colportée.