Les Français sont embarrassés par ce nouveau gouvernement allemand de «grande coalition». Mis à part les centristes, il n’y a guère de forces politiques qui puissent tirer de cette situation paradoxale et peu fréquente outre-Rhin (la dernière remonte à trente ans) des arguments partisans aisément utilisables. La gauche comme la droite resteront circonspectes. La première réaction des Français est de penser qu’une telle coalition, contre-nature, sera immobilisée par ses contradictions. Mais coalition négociée sous la pression des électeurs n’est pas cohabitation imposée et conflictuelle, et on a pu voir les deux grands partis allemands discuter sérieusement et âprement, point par point, d’un programme. Cela peut marcher, tout au moins tant qu’aucun des deux partenaires ne sera convaincu qu’il remporterait aisément, seul, de nouvelles élections. Les réformes seront-elles suspendues? Là aussi, on aurait tort de le croire (ou pour certains, de l’espérer). Sur les rapports entre le gouvernement fédéral et les Länder, et même en matière économique et sociale, de nouvelles réformes sont probables. Après tout, près des trois quarts des Allemands ont voté pour des partis qui préconisaient la poursuite prudente (SPD) ou l’accentuation (CDU, FDP) des réformes. Le décalage avec la France risque donc de s’accroître, d’autant que les énormes investissements dans l’ancienne Allemagne de l’Est finiront par produire des effets et que l’économie allemande va bénéficier des réformes de Schröder. La tentation existe chez nous de se rassurer: le moteur franco-allemand reste au coeur de l’Europe, entend-on. En réalité, c’est moins vrai dans l’Europe à 25, voire à 27 et plus, qu’avant, en dépit de la bonne entente Chirac-Schröder depuis novembre 2002, plus défensive d’ailleurs que créative. Certains céderont aussi à l’illusion de la «relance», de la «grande initiative» franco-allemande, de l’union, du noyau dur ou autre chimère. Tout cela n’a pas de réalité aujourd’hui ni pour des années et l’Union européenne fonctionnera encore longtemps, qu’elle le veuille ou non, selon les règles de Nice. Le plus utile, d’ici à l’échéance présidentielle de 2007, serait donc d’apprendre à connaître les nouveaux responsables allemands – et notamment de perpétuer l’utile mécanisme d’harmonisation dit de Blaesheim et de chercher à nous mettre d’accord avec eux sur des points précis: 1) le budget; 2) l’adaptation des politiques communes existantes et la réflexion sur telle ou telle nouvelle politique commune (recherche, environnement); 3) la croissance économique dans la zone euro, seul vrai noyau dur pour longtemps, et dont découlent les harmonisations souhaitables; 4) des projets concrets qui seront les Airbus ou les Erasmus de demain. Sans abandonner la réflexion sur l’amélioration des institutions, mais sans tout en attendre.
HUBERT VÉDRINE (1974, promotion de Simone Weil)
Les Français sont embarrassés par ce nouveau gouvernement allemand de «grande coalition». Mis à part les centristes, il n’y a guère de forces politiques qui puissent tirer de cette situation paradoxale et peu fréquente outre-Rhin (la dernière remonte à trente ans) des arguments partisans aisément utilisables. La gauche comme la droite resteront circonspectes. La première réaction des Français est de penser qu’une telle coalition, contre-nature, sera immobilisée par ses contradictions. Mais coalition négociée sous la pression des électeurs n’est pas cohabitation imposée et conflictuelle, et on a pu voir les deux grands partis allemands discuter sérieusement et âprement, point par point, d’un programme. Cela peut marcher, tout au moins tant qu’aucun des deux partenaires ne sera convaincu qu’il remporterait aisément, seul, de nouvelles élections. Les réformes seront-elles suspendues? Là aussi, on aurait tort de le croire (ou pour certains, de l’espérer). Sur les rapports entre le gouvernement fédéral et les Länder, et même en matière économique et sociale, de nouvelles réformes sont probables. Après tout, près des trois quarts des Allemands ont voté pour des partis qui préconisaient la poursuite prudente (SPD) ou l’accentuation (CDU, FDP) des réformes. Le décalage avec la France risque donc de s’accroître, d’autant que les énormes investissements dans l’ancienne Allemagne de l’Est finiront par produire des effets et que l’économie allemande va bénéficier des réformes de Schröder. La tentation existe chez nous de se rassurer: le moteur franco-allemand reste au coeur de l’Europe, entend-on. En réalité, c’est moins vrai dans l’Europe à 25, voire à 27 et plus, qu’avant, en dépit de la bonne entente Chirac-Schröder depuis novembre 2002, plus défensive d’ailleurs que créative. Certains céderont aussi à l’illusion de la «relance», de la «grande initiative» franco-allemande, de l’union, du noyau dur ou autre chimère. Tout cela n’a pas de réalité aujourd’hui ni pour des années et l’Union européenne fonctionnera encore longtemps, qu’elle le veuille ou non, selon les règles de Nice. Le plus utile, d’ici à l’échéance présidentielle de 2007, serait donc d’apprendre à connaître les nouveaux responsables allemands – et notamment de perpétuer l’utile mécanisme d’harmonisation dit de Blaesheim et de chercher à nous mettre d’accord avec eux sur des points précis: 1) le budget; 2) l’adaptation des politiques communes existantes et la réflexion sur telle ou telle nouvelle politique commune (recherche, environnement); 3) la croissance économique dans la zone euro, seul vrai noyau dur pour longtemps, et dont découlent les harmonisations souhaitables; 4) des projets concrets qui seront les Airbus ou les Erasmus de demain. Sans abandonner la réflexion sur l’amélioration des institutions, mais sans tout en attendre.
HUBERT VÉDRINE (1974, promotion de Simone Weil)