Dix ans après le génocide rwandais, votre regard a-t-il changé sur le rôle de la France?
Pour l’essentiel, mon regard n’a pas changé. Je suis frappé de voir que quasiment aucun des articles qui évoquent ce génocide ne rappelle le contexte politique du Rwanda durant les quarante dernières années: les premiers grands massacres de Tutsis au moment de l’indépendance (1962), le départ de nombreux d’entre eux en Ouganda, la volonté de ces Tutsis de l’extérieur de revenir, la peur des Hutus de leur vengeance et de la reprise des terres par les Tutsis. Quasiment aucun n’explique la préoccupation centrale de la politique française depuis qu’elle avait hérité de la coopération avec le Rwanda, du fait du fiasco belge: prévenir le retour des massacres. Ce qui, hélas, a échoué. Comme si expliquer et analyser était déjà justifier, et donc était interdit, comme si l’horreur suffisait. Mais si on ne reste à la stupéfaction épouvantée, comment surmonter, comment résoudre, comment prévenir?
Comment espériez-vous désamorcer les tensions?
D’abord en stabilisant le pays et en l’aidant à se développer, ce qui imposait de sécuriser les frontières contre les incursions de l’Ouganda et du FPR (Front Patriotique Rwandais, formé d’exiles tutsis et dirigé par Paul Kagamé, ndlr). Ensuite, et c’est lié, en faisant pression sur le gouvernement rwandais Hutu, grâce à cette coopération militaire et à l’aide au développement pour qu’il partage le pouvoir avec les Tutsis. Ce que refusaient à la fois les Hutus extrémistes, et les Tutsis de l’extérieur, qui voulaient récupérer ce pouvoir. Dans un premier temps, nos pressions ont été efficaces. Ce furent les accords d’Arusha, qui ont exaspéré les extrémistes.
Cela n’a pas empêché qu’un génocide soit mené?
En effet, cette politique de partage imposé du pouvoir a été stoppée net par ceux qui la refusaient, lors de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana. On sait la suite, horrible. C’est absolument tragique.
Qui, selon vous, a commis cet attentat?
Je ne dispose pas des éléments de l’enquête judiciaire. Mais, depuis l’origine, deux explications sont plausibles: soit des extrémistes hutus refusant tout partage du pouvoir (et des terres?) avaient décider d’éliminer le Président, coupable à leurs yeux d’avoir cédé aux pressions de la France. Soit le FPR, les Tutsis de l’extérieur, qui ne voulaient pas perdre toute chance de reprendre tout le pouvoir. C’est cette seconde piste que privilégie le juge Bruguière, semble-t-il, à partir de confessions et témoignages.
La France n’a-t-elle pas soutenu ce gouvernement Habyarimana – dont certains éléments préparaient le génocide – au delà de ce qui était nécessaire?
C’est le cœur du malentendu et de la controverse. La France, comme tout le monde, savait très bien que le FPR voulait reconquérir le pays et que certains Hutus, au gouvernement ou ailleurs, étaient prêts à tout, y compris en massacrant leurs compatriotes Tutsis, pour empêcher au pouvoir des Tutsis de l’extérieur. Mais la France était le seul pays à ne pas accepter cette fatalité et à essayer d’imposer un compromis. Donc la France ne soutenait pas le régime, elle faisait pression sur lui. C’était une course de vitesse entre la France et les extrémistes des deux bords.
Sur le terrain, il y a certainement eu coopération étroite entre des militaires français et rwandais pour la défense des frontières du pays. Comme cela s’était fait au Tchad contre la Libye, et ailleurs. Cela a-t-il été trop loin? Difficile à dire. Mais si le FPR, soutenu par l’armée ougandaise, n’avait pas fait militairement pression sur les frontières rwandaises depuis le début des années 90 et si tous les voisins du Rwanda avaient soutenu notre politique des accords d’Arusha, toute la suite aurait été différente. Pourquoi ne le dit-on jamais? Quant à l’opération Turquoise, la France ne s’est résignée à la faire seule que parce que ses partenaires au Conseil de sécurité de l’ONU ne voulaient pas s’engager .
Après ce qui s’est passé au Rwanda, la France ne devrait-elle pas se faire plus discrète en Afrique?
Si les accusations portées contre la France étaient vraies, oui. Mais elles sont fausses. Au nom de quoi la France aurait-elle dû soutenir, au Rwanda, la prise de pouvoir par la force d’une petite minorité (tutsie, ndlr) appuyée par une armée?
Nombre de dirigeants africains sont très sévères à propos des accusations. Et j’observe que les dirigeants africains, y compris les non francophones, demandent tous à la France de rester présente en Afrique, de soutenir cette dernière au sein de l’Union européenne, ou du G8. C’était vrai sous Mitterrand, cela le reste sous Chirac. J’avais par ailleurs été le premier responsable politique français, en tant que Ministre des Affaires étrangères, à rencontrer Paul Kagamé, en août 2000 à Kigali. Le premier aussi à lancer un rapprochement, en Afrique, entre les politiques britannique, belge et portugaise. Oui, la France doit rester présente et active en Afrique, en liaison avec les Africains eux-mêmes, les Européens et l’ONU.
Dix ans après le génocide rwandais, votre regard a-t-il changé sur le rôle de la France?
Pour l’essentiel, mon regard n’a pas changé. Je suis frappé de voir que quasiment aucun des articles qui évoquent ce génocide ne rappelle le contexte politique du Rwanda durant les quarante dernières années: les premiers grands massacres de Tutsis au moment de l’indépendance (1962), le départ de nombreux d’entre eux en Ouganda, la volonté de ces Tutsis de l’extérieur de revenir, la peur des Hutus de leur vengeance et de la reprise des terres par les Tutsis. Quasiment aucun n’explique la préoccupation centrale de la politique française depuis qu’elle avait hérité de la coopération avec le Rwanda, du fait du fiasco belge: prévenir le retour des massacres. Ce qui, hélas, a échoué. Comme si expliquer et analyser était déjà justifier, et donc était interdit, comme si l’horreur suffisait. Mais si on ne reste à la stupéfaction épouvantée, comment surmonter, comment résoudre, comment prévenir?
Comment espériez-vous désamorcer les tensions?
D’abord en stabilisant le pays et en l’aidant à se développer, ce qui imposait de sécuriser les frontières contre les incursions de l’Ouganda et du FPR (Front Patriotique Rwandais, formé d’exiles tutsis et dirigé par Paul Kagamé, ndlr). Ensuite, et c’est lié, en faisant pression sur le gouvernement rwandais Hutu, grâce à cette coopération militaire et à l’aide au développement pour qu’il partage le pouvoir avec les Tutsis. Ce que refusaient à la fois les Hutus extrémistes, et les Tutsis de l’extérieur, qui voulaient récupérer ce pouvoir. Dans un premier temps, nos pressions ont été efficaces. Ce furent les accords d’Arusha, qui ont exaspéré les extrémistes.
Cela n’a pas empêché qu’un génocide soit mené?
En effet, cette politique de partage imposé du pouvoir a été stoppée net par ceux qui la refusaient, lors de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana. On sait la suite, horrible. C’est absolument tragique.
Qui, selon vous, a commis cet attentat?
Je ne dispose pas des éléments de l’enquête judiciaire. Mais, depuis l’origine, deux explications sont plausibles: soit des extrémistes hutus refusant tout partage du pouvoir (et des terres?) avaient décider d’éliminer le Président, coupable à leurs yeux d’avoir cédé aux pressions de la France. Soit le FPR, les Tutsis de l’extérieur, qui ne voulaient pas perdre toute chance de reprendre tout le pouvoir. C’est cette seconde piste que privilégie le juge Bruguière, semble-t-il, à partir de confessions et témoignages.
La France n’a-t-elle pas soutenu ce gouvernement Habyarimana – dont certains éléments préparaient le génocide – au delà de ce qui était nécessaire?
C’est le cœur du malentendu et de la controverse. La France, comme tout le monde, savait très bien que le FPR voulait reconquérir le pays et que certains Hutus, au gouvernement ou ailleurs, étaient prêts à tout, y compris en massacrant leurs compatriotes Tutsis, pour empêcher au pouvoir des Tutsis de l’extérieur. Mais la France était le seul pays à ne pas accepter cette fatalité et à essayer d’imposer un compromis. Donc la France ne soutenait pas le régime, elle faisait pression sur lui. C’était une course de vitesse entre la France et les extrémistes des deux bords.
Sur le terrain, il y a certainement eu coopération étroite entre des militaires français et rwandais pour la défense des frontières du pays. Comme cela s’était fait au Tchad contre la Libye, et ailleurs. Cela a-t-il été trop loin? Difficile à dire. Mais si le FPR, soutenu par l’armée ougandaise, n’avait pas fait militairement pression sur les frontières rwandaises depuis le début des années 90 et si tous les voisins du Rwanda avaient soutenu notre politique des accords d’Arusha, toute la suite aurait été différente. Pourquoi ne le dit-on jamais? Quant à l’opération Turquoise, la France ne s’est résignée à la faire seule que parce que ses partenaires au Conseil de sécurité de l’ONU ne voulaient pas s’engager .
Après ce qui s’est passé au Rwanda, la France ne devrait-elle pas se faire plus discrète en Afrique?
Si les accusations portées contre la France étaient vraies, oui. Mais elles sont fausses. Au nom de quoi la France aurait-elle dû soutenir, au Rwanda, la prise de pouvoir par la force d’une petite minorité (tutsie, ndlr) appuyée par une armée?
Nombre de dirigeants africains sont très sévères à propos des accusations. Et j’observe que les dirigeants africains, y compris les non francophones, demandent tous à la France de rester présente en Afrique, de soutenir cette dernière au sein de l’Union européenne, ou du G8. C’était vrai sous Mitterrand, cela le reste sous Chirac. J’avais par ailleurs été le premier responsable politique français, en tant que Ministre des Affaires étrangères, à rencontrer Paul Kagamé, en août 2000 à Kigali. Le premier aussi à lancer un rapprochement, en Afrique, entre les politiques britannique, belge et portugaise. Oui, la France doit rester présente et active en Afrique, en liaison avec les Africains eux-mêmes, les Européens et l’ONU.