Guy Sorman a longtemps été dédaigné par une certaine intelligentsia, si ce n’est par les lecteurs. Trop libéral, trop pro américain, voire reaganien, s’obstinant à préconiser obstinément la «sortie du socialisme» et ne reconnaissant le statut de «vrais penseurs de notre temps» qu’aux théoriciens de l’économie globale de marché. Pourtant il a fini par conquérir un large respect intellectuel par l’honnêteté de sa méthode et de sa démarche – peu d’essayistes ont autant que lui depuis vingt ans vraiment enquêté dans le monde réel -, par sa foi toujours intacte dans le progrès scientifique et humain, par son ouverture d’esprit universaliste qui va de pair avec un refus du communitarisme qui lui vaut aujourd’hui la vindicte de ceux qu’indignent les quelques pages navrées de son livre consacrées à «l’erreur sioniste».
Cette fois-ci Guy Sorman prend tranquillement le contre-pied de plusieurs ouvrages pessimistes ou alarmistes sur l’islam, redouté comme un tout, parus en rafale depuis le 11 septembre. Il ne s’attarde pas sur le terrorisme et se garde bien de céder aux élucubrations géo-politiques occidentalistes ou aux appels angoissés à la mobilisation judéo-chrétienne. Non, il va au cœur du sujet et se demande si islam et modernité sont compatibles. Et pour cela, il nous entraîne à la recherche des «enfants de Rifaa». Rifaa était un jeune imam égyptien envoyé en France de 1826 à 1831»par le grand Mohamed Ali pour découvrir les secrets de la supériorité technique et scientifique de l’Occident, révélé par l’expédition de Bonaparte.» Au terme de son séjour, Rifaa conclut que la synthèse entre islam et progrès était possible et que rien – ou peu de choses – dans le Coran ne s’opposait à ce que «le monde musulman se modernise». C’est encore aujourd’hui la conviction de Guy Sorman et le fil conducteur de son enquête. On en mesure l’actualité, l’audace, la nécessité. Peut être redonnera-t-elle espoir à Jean Lacouture, Ghassan Tueni et Gérard Khoury, qui, tout au long d’une remarquable conversation à trois se retournent, avec lucidité, amertume et colère sur l’échec de la renaissance arabe du XIXème siècle, sur le jeu des puissances et les convulsions stériles du moyen-orient au XXème siècle. Dans douze pays arabes, ou musulmans d’Asie, Guy Sorman a rencontré et fait parler des hommes et des femmes, ces descendants de Rifaa qui s’ingénient, à faire progresser, dans leur infinie diversité, la modernité dans l’islam. De façon pratique, empirique, comme par des trouvailles conceptuelles ou religieuses… parfois grâce à une meilleure connaissance du Coran que les intégristes-perroquets. Les points de blocage, les avancées varient d’ailleurs d’un pays à l’autre: le Coran est utilisé pour verrouiller; mais il n’est pas plus un verrou en soi que les autres grands textes révélés. Le mouvement est tangible.
Pourtant notre enquêteur ne sous estime pas les résistances: «j’exposais mes vues sur les musulmans, positives si on les rapporte à ce que les Occidentaux en pensent d’ordinaire. La démocratie, le progrès économique, les droits de l’homme et des femmes me semblaient compatibles avec l’islam; seules les circonstances historiques et l’influence d’idéologie récentes interdisaient aux musulmans de retrouver leur juste place dans un monde de coexistence, et non de conflit entre les civilisations. J’exprimai ma crainte que la diversité des mondes musulmans ne le cède à une uniformisation appauvrissante de type Waahhabit. Je m’attendais aux remerciements d’usage. Mal m’en prit (…) Je subis une leçon de catéchisme islamique». Cette péripétie de Dacca n’est pas représentative de l’ensemble, et Guy Sorman rentre de ses pérégrinations raisonnablement optimiste. A condition que nous soyons plus activement solidaires de ces musulmans modernes qui sont la vraie cible des islamistes, même ceux ci s’en prennent aussi à l’Occident. A condition également que nous soutenions les musulmans démocrates contre leurs gouvernements tyranniques ou despotiques qui concourent à figer ces pays dans un statu quo insupportable, à en faire des «prisonniers du temps». Vaste programme! Sorman n’a aucune indulgence pour les dirigeants arabes et leurs amis occidentaux. Mais il y a là un problème explosif de mise en œuvre qu’il escamote, beaucoup de ces pays étant politiquement et socialement des bombes à retardement. Que l’on se souvienne de l’Iran de 1979 et des espoirs de libéralisation placés dans la chute du shah. Mais il faut en sortir.
Au moment où l’administration Bush fait miroiter sans convaincre la perspective de la démocratisation par la guerre, qui ne souhaiterait trouver la clef de la porte magique vers la démocratie en terre d’Islam sans drames supplémentaires provoqués par des apprentis sorciers. Les islamistes se nourrissent du statu quo; il ne faudrait pas qu’un changement raté imposé de l’extérieur les fasse triompher. C’est là où l’optimisme sormanien est intéressant, Sorman qui tient aussi à affirmer que nous résoudrons mieux «notre problème arabe» – appelons les choses par leur nom – en formant des imams et des islamologues français et en pratiquant sans le dire la discrimination positive qu’en s’épuisant à rechercher d’introuvables «musulmans représentatifs».
L’ensemble de ces remarques et de ces réflexions forme une politique. On sent que c’est la bonne; qu’il faut lui donner toutes ses chances. On voudrait qu’elle soit menée avec constance, et qu’elle ne soit pas compromise par des événements calamiteux au Moyen-Orient, où s’annonce un mauvais film passé à l’envers.
Guy Sorman a longtemps été dédaigné par une certaine intelligentsia, si ce n’est par les lecteurs. Trop libéral, trop pro américain, voire reaganien, s’obstinant à préconiser obstinément la «sortie du socialisme» et ne reconnaissant le statut de «vrais penseurs de notre temps» qu’aux théoriciens de l’économie globale de marché. Pourtant il a fini par conquérir un large respect intellectuel par l’honnêteté de sa méthode et de sa démarche – peu d’essayistes ont autant que lui depuis vingt ans vraiment enquêté dans le monde réel -, par sa foi toujours intacte dans le progrès scientifique et humain, par son ouverture d’esprit universaliste qui va de pair avec un refus du communitarisme qui lui vaut aujourd’hui la vindicte de ceux qu’indignent les quelques pages navrées de son livre consacrées à «l’erreur sioniste».
Cette fois-ci Guy Sorman prend tranquillement le contre-pied de plusieurs ouvrages pessimistes ou alarmistes sur l’islam, redouté comme un tout, parus en rafale depuis le 11 septembre. Il ne s’attarde pas sur le terrorisme et se garde bien de céder aux élucubrations géo-politiques occidentalistes ou aux appels angoissés à la mobilisation judéo-chrétienne. Non, il va au cœur du sujet et se demande si islam et modernité sont compatibles. Et pour cela, il nous entraîne à la recherche des «enfants de Rifaa». Rifaa était un jeune imam égyptien envoyé en France de 1826 à 1831»par le grand Mohamed Ali pour découvrir les secrets de la supériorité technique et scientifique de l’Occident, révélé par l’expédition de Bonaparte.» Au terme de son séjour, Rifaa conclut que la synthèse entre islam et progrès était possible et que rien – ou peu de choses – dans le Coran ne s’opposait à ce que «le monde musulman se modernise». C’est encore aujourd’hui la conviction de Guy Sorman et le fil conducteur de son enquête. On en mesure l’actualité, l’audace, la nécessité. Peut être redonnera-t-elle espoir à Jean Lacouture, Ghassan Tueni et Gérard Khoury, qui, tout au long d’une remarquable conversation à trois se retournent, avec lucidité, amertume et colère sur l’échec de la renaissance arabe du XIXème siècle, sur le jeu des puissances et les convulsions stériles du moyen-orient au XXème siècle. Dans douze pays arabes, ou musulmans d’Asie, Guy Sorman a rencontré et fait parler des hommes et des femmes, ces descendants de Rifaa qui s’ingénient, à faire progresser, dans leur infinie diversité, la modernité dans l’islam. De façon pratique, empirique, comme par des trouvailles conceptuelles ou religieuses… parfois grâce à une meilleure connaissance du Coran que les intégristes-perroquets. Les points de blocage, les avancées varient d’ailleurs d’un pays à l’autre: le Coran est utilisé pour verrouiller; mais il n’est pas plus un verrou en soi que les autres grands textes révélés. Le mouvement est tangible.
Pourtant notre enquêteur ne sous estime pas les résistances: «j’exposais mes vues sur les musulmans, positives si on les rapporte à ce que les Occidentaux en pensent d’ordinaire. La démocratie, le progrès économique, les droits de l’homme et des femmes me semblaient compatibles avec l’islam; seules les circonstances historiques et l’influence d’idéologie récentes interdisaient aux musulmans de retrouver leur juste place dans un monde de coexistence, et non de conflit entre les civilisations. J’exprimai ma crainte que la diversité des mondes musulmans ne le cède à une uniformisation appauvrissante de type Waahhabit. Je m’attendais aux remerciements d’usage. Mal m’en prit (…) Je subis une leçon de catéchisme islamique». Cette péripétie de Dacca n’est pas représentative de l’ensemble, et Guy Sorman rentre de ses pérégrinations raisonnablement optimiste. A condition que nous soyons plus activement solidaires de ces musulmans modernes qui sont la vraie cible des islamistes, même ceux ci s’en prennent aussi à l’Occident. A condition également que nous soutenions les musulmans démocrates contre leurs gouvernements tyranniques ou despotiques qui concourent à figer ces pays dans un statu quo insupportable, à en faire des «prisonniers du temps». Vaste programme! Sorman n’a aucune indulgence pour les dirigeants arabes et leurs amis occidentaux. Mais il y a là un problème explosif de mise en œuvre qu’il escamote, beaucoup de ces pays étant politiquement et socialement des bombes à retardement. Que l’on se souvienne de l’Iran de 1979 et des espoirs de libéralisation placés dans la chute du shah. Mais il faut en sortir.
Au moment où l’administration Bush fait miroiter sans convaincre la perspective de la démocratisation par la guerre, qui ne souhaiterait trouver la clef de la porte magique vers la démocratie en terre d’Islam sans drames supplémentaires provoqués par des apprentis sorciers. Les islamistes se nourrissent du statu quo; il ne faudrait pas qu’un changement raté imposé de l’extérieur les fasse triompher. C’est là où l’optimisme sormanien est intéressant, Sorman qui tient aussi à affirmer que nous résoudrons mieux «notre problème arabe» – appelons les choses par leur nom – en formant des imams et des islamologues français et en pratiquant sans le dire la discrimination positive qu’en s’épuisant à rechercher d’introuvables «musulmans représentatifs».
L’ensemble de ces remarques et de ces réflexions forme une politique. On sent que c’est la bonne; qu’il faut lui donner toutes ses chances. On voudrait qu’elle soit menée avec constance, et qu’elle ne soit pas compromise par des événements calamiteux au Moyen-Orient, où s’annonce un mauvais film passé à l’envers.