Un film sur Mitterrand ! Moins de dix ans après sa mort ! Pour certains de ses proches, c’est perturbant. Et puis, comment faire revivre Mitterrand à l’écran, quelle que soit la qualité du cinéaste et de l’acteur ?
Il ne peu s’agir que de création, pas de reconstitution. En ce qui me concerne, j’estime que Robert Guédiguian a parfaitement le droit de donner son interprétation de la dernière année de François Mitterrand. C’est un moment bref, comparé à cinquante ans de vie politique. Et nécessairement marqué par les polémiques de la fin du second septennat et l’outrance des attaques d’alors. Mais pourquoi pas ? Robert Guédiguian est un très bon metteur en scène, humaniste et sensible. Il s’est en partie affranchi du livre de départ, controversé, contestable, et qui avait choqué, pour développer sa propre vision. Difficile de ne pas être remué par son film. Ce n’est pas toujours ressemblant, mais c’est prenant, souvent émouvant, cela fait réfléchir. Et le talent de Michel Bouquet est saisissant, sa composition fera date. Ce sera le Mitterrand de Guédiguian et de Bouquet.
A partir de ce film, les questions pleuvent, les proches de l’ancien Président, l’Institut François Mitterrand sont interpellés. A-t-il dit cela ? Est-ce vrai ou non ? Qu’en pensez-vous en tant que « gardien de l’image? » Chacun peut donner son avis, mais personne ne peut donner de brevets d’authenticité, ni d’ailleurs de blâmes. Bien sûr, Danielle Mitterrand, ses enfants, Mazarine, détentrice du droit moral, ses proches sont très attachés et attentifs à son image. Mais cela ne peut pas conduire à un contrôle tatillon, impraticable et inopportun. Aujourd’hui, c’est dans la mémoire des Français, de tous ceux pour qui il a incarné la gauche enfin au pouvoir, que vit son image. Le rôle de l’Institut n’est pas de s’indigner constamment, mais de faire connaître son action politique en la remettant sereinement en perspective, en luttant contre l’anachronisme qui rend tout inintelligible, en favorisant le passage de la politique partisane et des passions à l’Histoire.
« Mais quand même, disent certains, Vichy, Bousquet ? ». Eh bien, justement, rappelons-nous l’acharnement incroyable de ces années 1994/1995, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, et laissons l’historiographie remettre les choses en place. Les vacheries contre les socialistes ? Il est de notoriété publique que ce fut le climat des rapports entre Mitterrand et les socialistes à partir du congrès de Rennes, de part et d’autre. Ce qui n’a pas empêché Mitterrand d’appeler à voter Jospin, ni celui-ci, de résumer un jour ses rapports avec Mitterrand par le mot « gratitude ». Et la préférence de Mitterrand pour Chirac ? Ah, en fait, c’était surtout quand Balladur caracolait en tête. Au fond, cela ne lui déplaisait pas que la compétition reste ouverte au sein de la droite. Une fois encore, ne confondons pas livre, film et réalité.
La réévaluation du bilan de François Mitterrand se poursuit. Ainsi, le livre d’un historien allemand, qui va paraître prochainement en français, le premier à avoir eu accès à toutes les archives françaises et étrangères, porte-t-il un jugement très positif sur l’ensemble de la politique allemande de l’ancien Président, et ne laisse intacte aucune des critiques françaises de l’époque (« Mitterrand n’a rien vu ». « Il était contre a réunification », etc). C’est un exemple.
Approuvé ou contesté, le bilan politique de François Mitterrand est toujours débattu. C’est normal. Au sein du Parti socialiste, et sans doute plus largement dans la classe politique, le stratège de la conquête du pouvoir et de l’alternance, le maître des cohabitations impressionne toujours. A gauche, partisans du oui ou du non au traité constitutionnel européen l’invoquent. Sa personnalité fascinante est, à l’évidence, placée très haut par l’opinion dans la hiérarchie des grands hommes politiques et des présidents de notre époque. Tous ceux dans le monde qui ont eu à traiter avec lui en ont été frappés. Leurs mémoires en attestent.
Pour ceux qui l’ont connu, François Mitterrand avait quelque chose de différent, de … transperçant. Regard pénétrant, intelligence aigue, vision historique. Rares sont ceux qui n’ont jamais été surpris par une de ses remarques incisives, saisis par son ironie, glacés par une de ses colères froides, subitement éclairés par un de ses propos, devinés sur un simple coup d’œil, désarmés par ses attentions.
C’était aussi, un grand acteur. Mais, en plus, il irradiait le pouvoir. Depuis sa jeunesse, d’ailleurs, ses plus vieux compagnons en ont témoigné. Cela captivait, séduisait ou glaçait. Il communiquait à chaque moment, y compris dans la vie quotidienne, une intensité, une saveur qui manque encore à ceux qui les ont connues.
Faut-il opposer cette magnifique vie romanesque au bilan des cinquante années de vie politique, sur lesquelles les avis ne peuvent être que divers ? Un film, des livres. L’image s’épure sans se figer. Il n’y a jamais de point final dans le jugement historique. Cela ne lui déplairait pas de voir renaître, à son propos, cette curiosité intriguée.
Propos recueillis par Pascale Amaudric
Un film sur Mitterrand ! Moins de dix ans après sa mort ! Pour certains de ses proches, c’est perturbant. Et puis, comment faire revivre Mitterrand à l’écran, quelle que soit la qualité du cinéaste et de l’acteur ?
Il ne peu s’agir que de création, pas de reconstitution. En ce qui me concerne, j’estime que Robert Guédiguian a parfaitement le droit de donner son interprétation de la dernière année de François Mitterrand. C’est un moment bref, comparé à cinquante ans de vie politique. Et nécessairement marqué par les polémiques de la fin du second septennat et l’outrance des attaques d’alors. Mais pourquoi pas ? Robert Guédiguian est un très bon metteur en scène, humaniste et sensible. Il s’est en partie affranchi du livre de départ, controversé, contestable, et qui avait choqué, pour développer sa propre vision. Difficile de ne pas être remué par son film. Ce n’est pas toujours ressemblant, mais c’est prenant, souvent émouvant, cela fait réfléchir. Et le talent de Michel Bouquet est saisissant, sa composition fera date. Ce sera le Mitterrand de Guédiguian et de Bouquet.
A partir de ce film, les questions pleuvent, les proches de l’ancien Président, l’Institut François Mitterrand sont interpellés. A-t-il dit cela ? Est-ce vrai ou non ? Qu’en pensez-vous en tant que « gardien de l’image? » Chacun peut donner son avis, mais personne ne peut donner de brevets d’authenticité, ni d’ailleurs de blâmes. Bien sûr, Danielle Mitterrand, ses enfants, Mazarine, détentrice du droit moral, ses proches sont très attachés et attentifs à son image. Mais cela ne peut pas conduire à un contrôle tatillon, impraticable et inopportun. Aujourd’hui, c’est dans la mémoire des Français, de tous ceux pour qui il a incarné la gauche enfin au pouvoir, que vit son image. Le rôle de l’Institut n’est pas de s’indigner constamment, mais de faire connaître son action politique en la remettant sereinement en perspective, en luttant contre l’anachronisme qui rend tout inintelligible, en favorisant le passage de la politique partisane et des passions à l’Histoire.
« Mais quand même, disent certains, Vichy, Bousquet ? ». Eh bien, justement, rappelons-nous l’acharnement incroyable de ces années 1994/1995, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, et laissons l’historiographie remettre les choses en place. Les vacheries contre les socialistes ? Il est de notoriété publique que ce fut le climat des rapports entre Mitterrand et les socialistes à partir du congrès de Rennes, de part et d’autre. Ce qui n’a pas empêché Mitterrand d’appeler à voter Jospin, ni celui-ci, de résumer un jour ses rapports avec Mitterrand par le mot « gratitude ». Et la préférence de Mitterrand pour Chirac ? Ah, en fait, c’était surtout quand Balladur caracolait en tête. Au fond, cela ne lui déplaisait pas que la compétition reste ouverte au sein de la droite. Une fois encore, ne confondons pas livre, film et réalité.
La réévaluation du bilan de François Mitterrand se poursuit. Ainsi, le livre d’un historien allemand, qui va paraître prochainement en français, le premier à avoir eu accès à toutes les archives françaises et étrangères, porte-t-il un jugement très positif sur l’ensemble de la politique allemande de l’ancien Président, et ne laisse intacte aucune des critiques françaises de l’époque (« Mitterrand n’a rien vu ». « Il était contre a réunification », etc). C’est un exemple.
Approuvé ou contesté, le bilan politique de François Mitterrand est toujours débattu. C’est normal. Au sein du Parti socialiste, et sans doute plus largement dans la classe politique, le stratège de la conquête du pouvoir et de l’alternance, le maître des cohabitations impressionne toujours. A gauche, partisans du oui ou du non au traité constitutionnel européen l’invoquent. Sa personnalité fascinante est, à l’évidence, placée très haut par l’opinion dans la hiérarchie des grands hommes politiques et des présidents de notre époque. Tous ceux dans le monde qui ont eu à traiter avec lui en ont été frappés. Leurs mémoires en attestent.
Pour ceux qui l’ont connu, François Mitterrand avait quelque chose de différent, de … transperçant. Regard pénétrant, intelligence aigue, vision historique. Rares sont ceux qui n’ont jamais été surpris par une de ses remarques incisives, saisis par son ironie, glacés par une de ses colères froides, subitement éclairés par un de ses propos, devinés sur un simple coup d’œil, désarmés par ses attentions.
C’était aussi, un grand acteur. Mais, en plus, il irradiait le pouvoir. Depuis sa jeunesse, d’ailleurs, ses plus vieux compagnons en ont témoigné. Cela captivait, séduisait ou glaçait. Il communiquait à chaque moment, y compris dans la vie quotidienne, une intensité, une saveur qui manque encore à ceux qui les ont connues.
Faut-il opposer cette magnifique vie romanesque au bilan des cinquante années de vie politique, sur lesquelles les avis ne peuvent être que divers ? Un film, des livres. L’image s’épure sans se figer. Il n’y a jamais de point final dans le jugement historique. Cela ne lui déplairait pas de voir renaître, à son propos, cette curiosité intriguée.
Propos recueillis par Pascale Amaudric