Aider Obama à réussir
Alors même que le président Obama a entrepris de sortir l’Occident de l’impasse Bush, l’Europe parait curieusement absente.
Jusqu’en 2008 presque personne en Europe n’osait croire que les Américains puissent élire un «Noir» (en fait un métis). Peu avaient lu l’admirable discours de Philadelphie par lequel le candidat Obama s’affirmait «post racial». Après son élection, ils se sont enthousiasmés: «Extraordinaire! Ils ont élu un noir!» En fait le plus saisissant est que les électeurs américains, cherchant le meilleur pour les sortir de la crise, aient élu… un intellectuel, un réaliste très intelligent, doté d’une vision globale du monde. Barack Obama est en avance sur son électorat, pour ne rien dire des républicains, qui se crispent dangereusement face au défi multipolaire.
Les opinions européennes ont vu en Barack Obama un européen post-historique et multilatéral. Malentendu de groupies? En fait, il est tout à fait américain, enrichi par l’Asie et l’Afrique, pas par l’Europe, président des Etats-Unis, pas du monde. C’est clair: l’Europe n’est pour lui ni un problème (tant mieux) ni une solution (dommage, mais c’est de notre fait). Il n’a pas l’obsession des commémorations qui a saisi l’Europe depuis qu’elle doute de son avenir. Barack Obama n’avait pas de raison impérative d’aller à Berlin, ni de participer à des sommets sans enjeu. Il a d’autres priorités. Inutile de se vexer. Le temps devrait être passé de l’époque où nous dépendions des projets des Américains à notre sujet.
Ensuite à Copenhague, les Européens ont pris leurs désirs pour des réalités. Le président américain n’avait pas de marge de manœuvre. Son plan assurance-maladie n’était pas encore passé. La conjonction bloquante Etats-Unis / BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) peut se reproduire.
L’appel, à Prague, du président Obama à un monde dénucléarisé a inquiété la France. Pourquoi? Selon son propre aveu c’est une utopie. Il relance la réduction des armements stratégiques, peut être ensuite celle des armes tactiques. Cela conforte la France, adepte de la dissuasion au plus bas niveau possible, qui a épuré son concept stratégique (sous Mitterrand) et réduit son arsenal (sous Chirac), plus que toute autre puissance nucléaire.
Sa politique de relance des relations avec la Russie marque des points. C’était prévisible. La relation ne sera pas toujours chaleureuse, mais elle fonctionnera.
Sa politique de la main tendue à l’Iran a été prise par certains à Paris, mais aussi à Washington, pour de la faiblesse. A tort. Il s’agit plutôt d’un nouveau volet, sophistiqué, d’une stratégie d’ensemble venant s’ajouter aux sanctions, qui en trente ans n’ont toujours pas fait disparaître le régime, et aux menaces d’intervention militaire qui planent, et peuvent être utiles tant ….qu’elles restent des menaces. C’est cette main tendue qui a commencé à déstabiliser ou à inquiéter le régime. Il s’agit maintenant pour Obama, et pour nous, d’être tenaces, patients et fins. Au sein de l’administration Obama certains doutent. Mais y a-t-il une autre bonne solution?
Exiger de Netanyahou un gel des colonies, sans être prêt à le lui imposer, était un faux pas. Il faut réserver le crédit de l’Amérique aux pressions décisives, inéluctables. Barack Obama est exaspéré, dit-on, par l’obstruction du gouvernement israélien alors que les Israéliens continuent d’accepter, à plus de 60%, la solution des deux Etats, que leurs dirigeants actuels se refusent à enclencher, et dont les Palestiniens commencent à désespérer, puisque tout est fait pour la vider de son contenu. Les chefs militaires américains viennent de dire que ce blocage met en danger les forces américaines dans la région (lien que le Likoud et les néoconservateurs se sont évertués à occulter, mais qui est évident). Barack Obama, qui s’est saisi d’emblée de ce dossier, ne va pas renoncer. Des avancées restent possibles, y compris avec Netanyahou. Ou un autre Premier Ministre.
Sur l’AFPAK (Afghanistan-Pakistan) autre héritage pourri, il a pris son temps et a décidé, sans choisir entre les diverses stratégies, préservant l’avenir. Que faire d’autre à ce stade?
Les commentaires négatifs sur son «bilan» avaient commencé au bout de neuf mois dès novembre: Il n’avait pas fait de miracles… Précipitation absurde. Et hostilité. Où en étaient Roosevelt, Kennedy, Reagan ou Clinton au bout de neuf mois? Ou d’un an?
Beaucoup de néoconservateurs à Washington, à Paris, et ailleurs, déjà moquaient sa naïveté, pronostiquaient – souhaitaient? – son échec. Mais voilà qu’Obama, libéré par le vote sur l’assurance-maladie, déploie une politique étrangère d’ensemble, intelligente et réaliste, que certains commentateurs américains commencent à juger (positivement) «Kissingerienne» dans son approche des problèmes enkystés, et de celle des relations avec les partenaires/adversaires de l’Occident. Son style, sa méthode – sérier les problèmes, réfléchir avant d’agir –, sa calme ténacité, apparaissent. Sa vision historique aussi. Pourquoi un discours du Caire si ce n’est pour arrêter l’engrenage du clash Islam-Occident, sortir ce dernier – nous tous – de l’impasse, concentrer ses forces sur la gestion du nouveau grand jeu multipolaire?
Barack Obama, une chance pour l’Occident tout entier, se heurte à des oppositions enragées, idéologiques et politiques. Les Européens partagés jusqu’ici, entre l’adulation béate des opinions et l’embarras paradoxal des gouvernements, devraient cesser de se comporter en enfants protégés, apeurés, geignards ou jaloux, et se montrer des protagonistes actifs. Cela suppose qu’ils élaborent de vraies stratégies globales: relation avec les grands pôles du monde, problèmes transversaux (le seul domaine où c’est un peu le cas est celui de la régulation financière dans le G20). A ce moment ils deviendront des partenaires évidents, et même indispensables pour Obama, et pourront alors prétendre à décider en commun avec les Etats-Unis des grandes orientations de l’Occident.
Hubert VEDRINE
Aider Obama à réussir
Alors même que le président Obama a entrepris de sortir l’Occident de l’impasse Bush, l’Europe parait curieusement absente.
Jusqu’en 2008 presque personne en Europe n’osait croire que les Américains puissent élire un «Noir» (en fait un métis). Peu avaient lu l’admirable discours de Philadelphie par lequel le candidat Obama s’affirmait «post racial». Après son élection, ils se sont enthousiasmés: «Extraordinaire! Ils ont élu un noir!» En fait le plus saisissant est que les électeurs américains, cherchant le meilleur pour les sortir de la crise, aient élu… un intellectuel, un réaliste très intelligent, doté d’une vision globale du monde. Barack Obama est en avance sur son électorat, pour ne rien dire des républicains, qui se crispent dangereusement face au défi multipolaire.
Les opinions européennes ont vu en Barack Obama un européen post-historique et multilatéral. Malentendu de groupies? En fait, il est tout à fait américain, enrichi par l’Asie et l’Afrique, pas par l’Europe, président des Etats-Unis, pas du monde. C’est clair: l’Europe n’est pour lui ni un problème (tant mieux) ni une solution (dommage, mais c’est de notre fait). Il n’a pas l’obsession des commémorations qui a saisi l’Europe depuis qu’elle doute de son avenir. Barack Obama n’avait pas de raison impérative d’aller à Berlin, ni de participer à des sommets sans enjeu. Il a d’autres priorités. Inutile de se vexer. Le temps devrait être passé de l’époque où nous dépendions des projets des Américains à notre sujet.
Ensuite à Copenhague, les Européens ont pris leurs désirs pour des réalités. Le président américain n’avait pas de marge de manœuvre. Son plan assurance-maladie n’était pas encore passé. La conjonction bloquante Etats-Unis / BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) peut se reproduire.
L’appel, à Prague, du président Obama à un monde dénucléarisé a inquiété la France. Pourquoi? Selon son propre aveu c’est une utopie. Il relance la réduction des armements stratégiques, peut être ensuite celle des armes tactiques. Cela conforte la France, adepte de la dissuasion au plus bas niveau possible, qui a épuré son concept stratégique (sous Mitterrand) et réduit son arsenal (sous Chirac), plus que toute autre puissance nucléaire.
Sa politique de relance des relations avec la Russie marque des points. C’était prévisible. La relation ne sera pas toujours chaleureuse, mais elle fonctionnera.
Sa politique de la main tendue à l’Iran a été prise par certains à Paris, mais aussi à Washington, pour de la faiblesse. A tort. Il s’agit plutôt d’un nouveau volet, sophistiqué, d’une stratégie d’ensemble venant s’ajouter aux sanctions, qui en trente ans n’ont toujours pas fait disparaître le régime, et aux menaces d’intervention militaire qui planent, et peuvent être utiles tant ….qu’elles restent des menaces. C’est cette main tendue qui a commencé à déstabiliser ou à inquiéter le régime. Il s’agit maintenant pour Obama, et pour nous, d’être tenaces, patients et fins. Au sein de l’administration Obama certains doutent. Mais y a-t-il une autre bonne solution?
Exiger de Netanyahou un gel des colonies, sans être prêt à le lui imposer, était un faux pas. Il faut réserver le crédit de l’Amérique aux pressions décisives, inéluctables. Barack Obama est exaspéré, dit-on, par l’obstruction du gouvernement israélien alors que les Israéliens continuent d’accepter, à plus de 60%, la solution des deux Etats, que leurs dirigeants actuels se refusent à enclencher, et dont les Palestiniens commencent à désespérer, puisque tout est fait pour la vider de son contenu. Les chefs militaires américains viennent de dire que ce blocage met en danger les forces américaines dans la région (lien que le Likoud et les néoconservateurs se sont évertués à occulter, mais qui est évident). Barack Obama, qui s’est saisi d’emblée de ce dossier, ne va pas renoncer. Des avancées restent possibles, y compris avec Netanyahou. Ou un autre Premier Ministre.
Sur l’AFPAK (Afghanistan-Pakistan) autre héritage pourri, il a pris son temps et a décidé, sans choisir entre les diverses stratégies, préservant l’avenir. Que faire d’autre à ce stade?
Les commentaires négatifs sur son «bilan» avaient commencé au bout de neuf mois dès novembre: Il n’avait pas fait de miracles… Précipitation absurde. Et hostilité. Où en étaient Roosevelt, Kennedy, Reagan ou Clinton au bout de neuf mois? Ou d’un an?
Beaucoup de néoconservateurs à Washington, à Paris, et ailleurs, déjà moquaient sa naïveté, pronostiquaient – souhaitaient? – son échec. Mais voilà qu’Obama, libéré par le vote sur l’assurance-maladie, déploie une politique étrangère d’ensemble, intelligente et réaliste, que certains commentateurs américains commencent à juger (positivement) «Kissingerienne» dans son approche des problèmes enkystés, et de celle des relations avec les partenaires/adversaires de l’Occident. Son style, sa méthode – sérier les problèmes, réfléchir avant d’agir –, sa calme ténacité, apparaissent. Sa vision historique aussi. Pourquoi un discours du Caire si ce n’est pour arrêter l’engrenage du clash Islam-Occident, sortir ce dernier – nous tous – de l’impasse, concentrer ses forces sur la gestion du nouveau grand jeu multipolaire?
Barack Obama, une chance pour l’Occident tout entier, se heurte à des oppositions enragées, idéologiques et politiques. Les Européens partagés jusqu’ici, entre l’adulation béate des opinions et l’embarras paradoxal des gouvernements, devraient cesser de se comporter en enfants protégés, apeurés, geignards ou jaloux, et se montrer des protagonistes actifs. Cela suppose qu’ils élaborent de vraies stratégies globales: relation avec les grands pôles du monde, problèmes transversaux (le seul domaine où c’est un peu le cas est celui de la régulation financière dans le G20). A ce moment ils deviendront des partenaires évidents, et même indispensables pour Obama, et pourront alors prétendre à décider en commun avec les Etats-Unis des grandes orientations de l’Occident.
Hubert VEDRINE