La France va prendre dans quelques semaines la présidence du G20 et du G8. A-t-elle les moyens de peser dans ces instances?
Hubert Védrine: Bien sûr! France n’est plus la force dominante qu’elle a été autrefois. Mais en termes économique, militaire ou culturel, elle est entre le 5° et le 7°rang mondial (sur 192!). Membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies, présente au G7-G8, au G20, dotée d’une force de dissuasion nucléaire, de capacités militaires réelles, d’une économie robuste, d’une langue répandue. Elle est une «puissance d’influence mondiale». Elle garde un grand prestige.
Quelle capacité d’influence a-t-on comme président du G20?
Celle d’influer sur l’agenda, les thèmes, de fixer l’ordre du jour. Durant toute la phase de préparation des sommets, on peut suggérer des pistes, esquisser des compromis. On est bien placé pour comprendre à l’avance quelles sont les positions des uns et des autres, vérifier sur qui s’appuyer pour forger une majorité d’idées ou au contraire créer une minorité de blocage contre une idée à laquelle on est hostile.
Mais le G20, ce n’est pas le gouvernement du monde. C’est une enceinte au sein de laquelle la compétition continue. C’est pourquoi il est particulièrement important que les Européens y arrivent avec des positions homogènes. L’idéal serait que la France, en tant que présidente parvienne avec doigté à mettre en accord les Européens, puis à trouver une base commune avec Obama. Ensuite, il faut chercher un accord sujet par sujet avec, à chaque fois, au moins un grand pays émergent, en commençant par les deux grands émergents démocratiques, l’Inde et le Brésil, sans exclure les autres, Chine, etc. C’est ça le mode d’emploi du G20.
Quels sont les objectifs prioritaires?
Le G20 a été constitué il y a deux ans face à la crise financière et économique. C’est la violence de la crise, l’affaiblissement de George W. Bush et l’activité de Nicolas Sarkozy, alors que la France assumait la présidence du conseil de l’Union européenne, qui ont permis de rehausser cette instance; qui n’existait jusqu’alors qu’à un niveau technique au sommet. Dès lors, la priorité pour le G20 est d’abord d’être le cadre qui favorise et accélère la régulation de cette économie mondialisée et financiarisée, qui a dégénéré en économie-casino. Il faut réglementer le capitalisme contre lui-même pour le sauver. Il y a beaucoup d’autres thèmes, mais attention à ne pas se disperser!
Ce débat se mène d’abord entre Occidentaux, car c’est chez eux que se trouve l’essentiel des marchés devenus fous. Les Américains pris de l’avance. Il faut que les Européens se mettent vite en phase. On pourra ensuite peser sur les pays émergents, qui n’ont pas trop envie de réglementation, mais ce ne sont pas la source du problème. Mais maintenant qu’ils sont dans le G20, ils sont obligés d’y inscrire leur stratégie de puissance. C’est un progrès.
Avec la crise, les grands dossiers de politique étrangère sont devenus économiques. A-t-on autant besoin qu’avant de diplomates?
Bien sûr les thèmes varient. Mais les diplomates, comme des internistes en médecine, sont des spécialistes de l’ensemble des négociations et des interactions. La négociation requiert un savoir-faire en soi. La puissance et l’influence d’un pays découle donc d’une bonne combinaison de ses capacités diplomatiques, avec son expertise technique. Surtout dans un monde de compétition permanente et de bagarre multipolaire où on est obligé de négocier tout, avec tous, tout le temps. Cela demande des spécialistes.
Est-ce que cela ne doublonnera pas, à terme, avec le service diplomatique européen qui se met en place depuis cette année à Bruxelles?
Cela se combinera. Les fédéralistes pensent qu’un jour, les nations européennes se fondront dans des États-Unis d’Europe, et que les diplomaties nationales fusionneront en une diplomatie européenne. Je ne le crois pas. Je pense que l’Europe restera une confédération ou une «fédération d’Etats-nations», comme dit Jacques Delors. Dans ce cadre, il y aura une partie diplomatique commune plus grande qu’aujourd’hui mais les éléments fondamentaux de sécurité nationale, les intérêts vitaux, resteront gérés par les États. Le service diplomatique commun ne saurait arbitrer les intérêts nationaux à la place des dirigeants politiques élus dans chaque pays. Il y aura donc une synthèse.
La France et l’Allemagne ont-elles encore la capacité et la volonté de surmonter leurs égoïsmes nationaux?
Ce ne sont pas des «égoïsmes», mais des intérêts normaux entre lesquels on peut trouver des compromis. Un pays n’est pas «altruiste». Ce sont des pays différents. Cela a été longtemps masqué par le fait que l’Allemagne, dans l’attente de la réunification, devait adopter une politique ultra-européiste. L’intérêt de l’Allemagne, c’était d’atteindre un jour la réunification, celui de la France, c’était qu’elle se passe dans les meilleures conditions. Mais même là, l’harmonie n’était pas spontanée. Il fallait une volonté politique très forte pour ne pas exploiter les différences, les surmonter, fixer des objectifs communs, les atteindre. Après la réunification, c’est différent. L’Allemagne fonctionne dorénavant plus visiblement en fonction de ses intérêts.
Il n’y aura donc plus de moteur franco-allemand?
Mais si, mais au cas par cas, et pour les Allemands, ce n’est plus une obsession. Cela reste une option intéressante car même l’Allemagne ne peut pas imposer sa ligne unilatéralement. C’est pourquoi il faut sur chaque sujet essayer d’abord de recourir au moteur franco-allemand. Le domaine le plus évident c’est la régulation financière, au G20. Mais ce pourrait être aussi pour bâtir une politique à long terme par rapport à la Russie, à la Chine, aux questions d’énergie, d’environnement. Cela demanderait une volonté, une conviction qu’à mon avis, ne se manifeste aujourd’hui qu’à éclipses.
La France va prendre dans quelques semaines la présidence du G20 et du G8. A-t-elle les moyens de peser dans ces instances?
Hubert Védrine: Bien sûr! France n’est plus la force dominante qu’elle a été autrefois. Mais en termes économique, militaire ou culturel, elle est entre le 5° et le 7°rang mondial (sur 192!). Membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies, présente au G7-G8, au G20, dotée d’une force de dissuasion nucléaire, de capacités militaires réelles, d’une économie robuste, d’une langue répandue. Elle est une «puissance d’influence mondiale». Elle garde un grand prestige.
Quelle capacité d’influence a-t-on comme président du G20?
Celle d’influer sur l’agenda, les thèmes, de fixer l’ordre du jour. Durant toute la phase de préparation des sommets, on peut suggérer des pistes, esquisser des compromis. On est bien placé pour comprendre à l’avance quelles sont les positions des uns et des autres, vérifier sur qui s’appuyer pour forger une majorité d’idées ou au contraire créer une minorité de blocage contre une idée à laquelle on est hostile.
Mais le G20, ce n’est pas le gouvernement du monde. C’est une enceinte au sein de laquelle la compétition continue. C’est pourquoi il est particulièrement important que les Européens y arrivent avec des positions homogènes. L’idéal serait que la France, en tant que présidente parvienne avec doigté à mettre en accord les Européens, puis à trouver une base commune avec Obama. Ensuite, il faut chercher un accord sujet par sujet avec, à chaque fois, au moins un grand pays émergent, en commençant par les deux grands émergents démocratiques, l’Inde et le Brésil, sans exclure les autres, Chine, etc. C’est ça le mode d’emploi du G20.
Quels sont les objectifs prioritaires?
Le G20 a été constitué il y a deux ans face à la crise financière et économique. C’est la violence de la crise, l’affaiblissement de George W. Bush et l’activité de Nicolas Sarkozy, alors que la France assumait la présidence du conseil de l’Union européenne, qui ont permis de rehausser cette instance; qui n’existait jusqu’alors qu’à un niveau technique au sommet. Dès lors, la priorité pour le G20 est d’abord d’être le cadre qui favorise et accélère la régulation de cette économie mondialisée et financiarisée, qui a dégénéré en économie-casino. Il faut réglementer le capitalisme contre lui-même pour le sauver. Il y a beaucoup d’autres thèmes, mais attention à ne pas se disperser!
Ce débat se mène d’abord entre Occidentaux, car c’est chez eux que se trouve l’essentiel des marchés devenus fous. Les Américains pris de l’avance. Il faut que les Européens se mettent vite en phase. On pourra ensuite peser sur les pays émergents, qui n’ont pas trop envie de réglementation, mais ce ne sont pas la source du problème. Mais maintenant qu’ils sont dans le G20, ils sont obligés d’y inscrire leur stratégie de puissance. C’est un progrès.
Avec la crise, les grands dossiers de politique étrangère sont devenus économiques. A-t-on autant besoin qu’avant de diplomates?
Bien sûr les thèmes varient. Mais les diplomates, comme des internistes en médecine, sont des spécialistes de l’ensemble des négociations et des interactions. La négociation requiert un savoir-faire en soi. La puissance et l’influence d’un pays découle donc d’une bonne combinaison de ses capacités diplomatiques, avec son expertise technique. Surtout dans un monde de compétition permanente et de bagarre multipolaire où on est obligé de négocier tout, avec tous, tout le temps. Cela demande des spécialistes.
Est-ce que cela ne doublonnera pas, à terme, avec le service diplomatique européen qui se met en place depuis cette année à Bruxelles?
Cela se combinera. Les fédéralistes pensent qu’un jour, les nations européennes se fondront dans des États-Unis d’Europe, et que les diplomaties nationales fusionneront en une diplomatie européenne. Je ne le crois pas. Je pense que l’Europe restera une confédération ou une «fédération d’Etats-nations», comme dit Jacques Delors. Dans ce cadre, il y aura une partie diplomatique commune plus grande qu’aujourd’hui mais les éléments fondamentaux de sécurité nationale, les intérêts vitaux, resteront gérés par les États. Le service diplomatique commun ne saurait arbitrer les intérêts nationaux à la place des dirigeants politiques élus dans chaque pays. Il y aura donc une synthèse.
La France et l’Allemagne ont-elles encore la capacité et la volonté de surmonter leurs égoïsmes nationaux?
Ce ne sont pas des «égoïsmes», mais des intérêts normaux entre lesquels on peut trouver des compromis. Un pays n’est pas «altruiste». Ce sont des pays différents. Cela a été longtemps masqué par le fait que l’Allemagne, dans l’attente de la réunification, devait adopter une politique ultra-européiste. L’intérêt de l’Allemagne, c’était d’atteindre un jour la réunification, celui de la France, c’était qu’elle se passe dans les meilleures conditions. Mais même là, l’harmonie n’était pas spontanée. Il fallait une volonté politique très forte pour ne pas exploiter les différences, les surmonter, fixer des objectifs communs, les atteindre. Après la réunification, c’est différent. L’Allemagne fonctionne dorénavant plus visiblement en fonction de ses intérêts.
Il n’y aura donc plus de moteur franco-allemand?
Mais si, mais au cas par cas, et pour les Allemands, ce n’est plus une obsession. Cela reste une option intéressante car même l’Allemagne ne peut pas imposer sa ligne unilatéralement. C’est pourquoi il faut sur chaque sujet essayer d’abord de recourir au moteur franco-allemand. Le domaine le plus évident c’est la régulation financière, au G20. Mais ce pourrait être aussi pour bâtir une politique à long terme par rapport à la Russie, à la Chine, aux questions d’énergie, d’environnement. Cela demanderait une volonté, une conviction qu’à mon avis, ne se manifeste aujourd’hui qu’à éclipses.